Intervention de Jean-François Rapin

Réunion du 20 juin 2023 à 21h30
Débat préalable à la réunion du conseil européen des 29 et 30 juin 2023

Photo de Jean-François RapinJean-François Rapin :

Madame la présidente, madame la secrétaire d’État, mes chers collègues, nous débattons ce soir très en amont de la prochaine réunion du Conseil européen, alors même que son ordre du jour n’est pas encore publié sur la page internet qui est lui consacrée. Cela nourrit nos interrogations sur la méthode suivie dans les travaux de notre assemblée en matière européenne.

Grâce à la secrétaire générale du Conseil, que la commission des affaires européennes a auditionnée récemment, nous avons toutefois pu obtenir quelques indications : le prochain Conseil européen devrait principalement parler d’Ukraine, de défense, d’économie, de relations extérieures et d’enjeux migratoires.

À n’en pas douter, la priorité du Conseil européen sera de faire le point sur la contre-offensive ukrainienne. Ce qui est en jeu, c’est la sécurité du continent. À ce titre, le soutien de l’Union européenne ne saurait faillir. La solidarité non plus, et l’on peut à cet égard s’inquiéter de la divergence franco-allemande qui se creuse ostensiblement en matière de défense, notamment en ce qui concerne le bouclier antiaérien.

Le Conseil européen, en mars dernier, a pointé du doigt l’urgence d’un approvisionnement suffisant de l’Ukraine en munitions à ce stade du conflit. C’est pourquoi la Commission européenne, le mois dernier, a proposé un texte destiné à accélérer la production de munitions dans l’Union, mais aussi à assurer leur disponibilité, en surveillant les stocks et leur localisation.

Autant nous soutenons l’urgence d’une relocalisation de la production de munitions sur le sol européen – nous l’avons déjà appelée de nos vœux en amont du Conseil européen de mars –, autant nous sommes inquiets du caractère très intrusif des pouvoirs que la Commission européenne entend se donner à cet effet, dans un domaine éminemment régalien, sur lequel l’information est très sensible et échappe d’ailleurs largement aux parlementaires que nous sommes.

Madame la secrétaire d’État, à la veille de la réunion du Comité des représentants permanents (Coreper) qui devrait examiner ce texte déjà adopté en urgence au Parlement européen, nous tenons à appeler les autorités françaises à la plus grande vigilance sur ce dossier stratégique.

J’ai proposé au président de la commission des affaires étrangères, Christian Cambon, de formaliser ensemble cet appel par un courrier officiel à la Première ministre, auquel je souhaite associer les rapporteurs de la commission des affaires européennes qui nous ont alertés sur le sujet, nos collègues Gisèle Jourda et Dominique de Legge.

Concernant l’Ukraine, le Conseil européen de la fin juin sera informé du rapport que la Commission publiera demain et qui évaluera les progrès des réformes attendues en matière de justice et de lutte contre la corruption et le blanchiment, en Ukraine comme en Moldavie. À cet égard, l’interdiction du parti de l’oligarque prorusse Ilan Shor, décidée hier par le Conseil constitutionnel de Moldavie, constitue une avancée indéniable.

Toutefois, la route est longue vers l’élargissement, même si l’Ukraine réclame d’ouvrir sans délai les négociations pour son adhésion et que la Géorgie entend bien, avant la fin de l’année, se voir reconnaître à son tour le statut de pays candidat.

Nous ne devons pas oublier que, parmi les critères à considérer avant tout élargissement, l’un concerne l’Union européenne elle-même. Il s’agit de sa capacité d’absorption : dans quelle mesure l’Union européenne est-elle capable de se maintenir comme union de paix si elle intègre des États qui sont en guerre, qui abritent des conflits gelés, comme en Transnistrie, ou qui n’ont pas résolu leurs contentieux de voisinage – je pense au Kosovo et à la Serbie ?

En outre, comment l’Union européenne est-elle capable d’assurer la viabilité de ses politiques – politique agricole commune (PAC) ou politique de cohésion, par exemple –, au vu de l’impact budgétaire de l’entrée de nouveaux membres ?

Madame la secrétaire d’État, pouvez-vous nous dire si ces questions fondamentales seront abordées au Conseil européen ?

Même si je doute qu’il aille aussi loin, le Conseil européen ne pourra pas, lors de sa prochaine réunion, ignorer les questions immédiates que soulève déjà la révision à mi-parcours des perspectives financières de l’Union, à l’heure où s’imposent tant de priorités – Claude Raynal en a parlé.

Madame la secrétaire d’État, nous sommes particulièrement inquiets pour nos agriculteurs : déjà soumis à des exigences environnementales croissantes, dont l’impact n’est pas sérieusement évalué, ils se trouvent menacés de subir la concurrence déloyale du Mercosur, avec lequel la Commission européenne et la prochaine présidence espagnole du Conseil semblent pressées de conclure un accord.

Doivent-ils aussi craindre que le budget de la politique agricole commune ne fasse les frais des priorités que la Commission européenne a fait valoir aujourd’hui même, à savoir le soutien à l’Ukraine, la riposte aux subventions que les États-Unis et la Chine consacrent à leur économie pour en assurer la compétitivité, ou encore l’appui financier aux pays de départ pour réguler les flux migratoires ?

De fait, la pression migratoire redouble en Méditerranée centrale et trop de bateaux surchargés font naufrage sous nos yeux. Les avancées enregistrées au Conseil sur le pacte sur la migration et l’asile permettent d’espérer en finir avec l’impuissance. Madame la secrétaire d’État, que peut-on attendre du prochain Conseil européen à ce sujet qui figure expressément à son ordre du jour ?

Moins d’un an nous sépare des élections européennes : il n’est plus temps de tergiverser pour donner à l’Union européenne les moyens de ne pas subir l’avenir.

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