Madame la présidente, madame la secrétaire d’État, mes chers collègues, nous devons débattre ce soir de l’ordre du jour de la prochaine réunion du Conseil européen.
Cependant, le contexte économique, social et sociétal que vivent les Européens nous oblige à évoquer également d’autres questions essentielles pour lesquelles la vigilance de chacun doit être de rigueur.
Depuis le début de 2021, l’inflation a vivement augmenté dans les principales économies de la zone euro. Les prix des produits alimentaires ont progressé de 15 % par rapport à 2020 et expliquent à eux seuls près de la moitié de l’inflation, pénalisant les ménages les plus modestes, qui consacrent une part importante de leur budget à l’alimentation.
Une inflation élevée réduit le pouvoir d’achat des citoyens et rend de nombreuses entreprises moins compétitives ; surtout, elle a un impact disproportionné sur les personnes à faible revenu.
Dans un tel contexte, les conséquences de la hausse de 0, 25 point de son taux d’intérêt par la Banque centrale européenne, annoncée le 4 mai dernier, doivent être questionnées.
Tout d’abord, parce que cette hausse prive les plus modestes de l’accès au crédit et vient s’ajouter à la réduction du pouvoir d’achat des Européennes et des Européens.
Ensuite, parce que, aujourd’hui, l’inflation est tirée par les superprofits, la cupidité, l’avidité. Elle est liée au maintien des marges des entreprises. La Banque centrale européenne a également émis des craintes contre cette spirale des prix « qui pourrait appauvrir tout le monde ». La question d’un contrôle temporaire des prix se pose donc pour prévenir les spirales inflationnistes de ces prix abusifs.
Enfin, parce que la hausse des taux d’intérêt va dégrader directement la rentabilité des opérations de rénovation énergétique des logements et des bâtiments ; elle va plus globalement détériorer la rentabilité des investissements de la transition écologique que nous devons financer.
S’il faut saluer l’assouplissement des règles budgétaires proposé par la Commission européenne, l’angle mort de cette réforme demeure la question des recettes pour financer les transitions. Qui va payer pour augmenter les dépenses vitales en vue d’atténuer les émissions de CO2, réduire par là même notre dépendance aux énergies fossiles, largement importées, et nous adapter au changement climatique en cours ?
Ainsi, le récent rapport de France Stratégie sur les incidences économiques de l’action pour le climat a estimé à 66 milliards d’euros par an à l’horizon 2030, soit plus de 2 points de PIB, le nécessaire coût de la transition écologique en France.
Ce n’est malheureusement pas simplement avec une taxe sur les cryptomonnaies, un impôt sur les plastiques, ou encore la taxe sur les transactions financières actuellement bloquée au Conseil que l’on va financer la défense européenne, la transition écologique et l’industrie dont nous avons aujourd’hui terriblement besoin.
Nous avons besoin d’un plan pérenne et de réponses concrètes de la Commission européenne sur ce point. Nous avons besoin d’une capacité budgétaire européenne. Nous avons besoin de justice fiscale, de taxation sur le capital et d’un prélèvement pour le marché unique, parce que, si l’on aime l’Europe, on la finance !
Le 8 juin dernier, un projet d’initiative citoyenne européenne appelant à créer un impôt européen sur les grandes fortunes a été déposé auprès de la Commission européenne par l’eurodéputée Aurore Lalucq et le président du parti socialiste de Belgique Paul Magnette. Ils sont soutenus notamment par Thomas Piketty et l’ancien commissaire européen hongrois Laszlo Andor, ainsi que par plusieurs ONG, comme Oxfam, et par des millionnaires eux-mêmes. Tous plaident pour la création d’un impôt européen sur les grandes fortunes.
Partout dans le monde, les plus riches parmi les plus riches sont beaucoup moins taxés que les autres en proportion de leurs revenus, parce qu’ils bénéficient d’une fiscalité avantageuse sur le capital ou qu’ils ont la capacité de défiscaliser leurs revenus. L’Institut des politiques publiques a montré, dans sa note en date du 6 juin dernier, que, à partir d’un certain seuil de richesse, le taux d’imposition régresse, car les profits que les ultra-riches tirent de leurs sociétés échappent au calcul de l’impôt sur le revenu.
Il est temps de rétablir une fiscalité plus juste et équitable. L’économiste américain Joseph Stiglitz, lauréat du prix Nobel, avait même proposé de mettre en place un taux d’imposition mondial spécial de 70 % sur les revenus les plus élevés, ainsi qu’un impôt sur la fortune de 2 % à 3 %.
Avec mes collègues du groupe Socialiste, Écologiste et Républicain, je ne puis que relayer avec force ces propositions alors que nous plaidons, depuis plusieurs mois maintenant, pour la mise en place d’un impôt sur les superprofits.
Une coopération entre les États est urgente pour lutter, par le biais de la fiscalité, contre la spéculation et pour une juste répartition de la richesse produite. Je forme le vœu que nous parvenions à un accord politique au Conseil européen à l’automne prochain.
Enfin, alors que le prochain sommet des chefs d’État ou de gouvernement de l’Union européenne et de la Communauté d’États latino-américains et caraïbes se tiendra à Bruxelles le 17 et le 18 juillet prochain, je souhaite vous faire part, madame la secrétaire d’État, de nos grandes inquiétudes concernant l’accord de libre-échange entre le Mercosur et l’Union européenne.
Aujourd’hui, de nombreuses organisations telles que l’Institut national de recherche pour l’agriculture, l’alimentation et l’environnement (Inrae), le Centre de coopération internationale en recherche agronomique pour le développement (Cirad), ou encore l’Agence française de développement (AFD) concluent que nous pourrons nourrir les 10 milliards d’habitants que comptera le monde en 2050.
En revanche, pour ce faire, quelques conditions doivent impérativement être respectées : mettre un terme à l’accaparement des terres et les partager ; assurer le renouvellement des générations en garantissant un revenu digne à tous les paysans, partout dans le monde ; enfin, établir un commerce équitable non seulement entre les espaces ruraux et les métropoles, mais aussi entre les pays et entre les continents.
Or, madame la secrétaire d’État, cet accord est archaïque tant sur le fond que sur la forme. On ne peut pas promouvoir une agriculture durable en faisant de la lutte contre le changement climatique une priorité et, dans le même temps, faire venir sa viande de l’autre bout de la planète en favorisant un modèle agricole intensif, responsable à 80 % de la destruction de la forêt amazonienne.
Il s’agit non pas de militer uniquement à des fins protectionnistes, mais d’agir au nom d’une souveraineté solidaire, afin que la France affirme ses valeurs universelles tout en défendant ses propres intérêts, lesquels rejoignent en toute logique ceux de l’humanité.
En effet, cet accord est un désastre pour les éleveurs et agriculteurs des deux côtés de l’Atlantique. Les importations de bœuf en provenance du Mercosur pourraient augmenter de 50 %. Ce sont 99 000 tonnes équivalent carcasse de bœuf sud-américain, potentiellement élevé aux antibiotiques, que nous importerions sans imposer de droits de douane, alors même que nous avons, à raison, banni les antibiotiques de croissance en Europe à compter du 1er janvier 2006.
Comment assurer notre souveraineté alimentaire face à un accord qui menace le bien-vivre de celles et ceux qui nous nourrissent ? C’est en remettant en cause ce traité que nous pourrons, dans les conditions que j’ai exposées, nourrir les 10 milliards d’habitants attendus d’ici à 2050.