Intervention de Cyril Pellevat

Réunion du 20 juin 2023 à 21h30
Débat préalable à la réunion du conseil européen des 29 et 30 juin 2023

Photo de Cyril PellevatCyril Pellevat :

Madame la présidente, madame la secrétaire d’État, mes chers collègues, tous les experts s’accordent pour dire que nous sommes entrés dans une ère multicrises : covid-19, guerre en Ukraine, événements climatiques, crises économiques, la liste continuera sans nul doute de s’allonger.

Face à ce constat, l’Union européenne, habituellement si prompte à se reposer sur les capacités d’autorégulation du marché, s’est décidée depuis quelques années à changer de doctrine. Elle cherche à adapter ses règles pour mieux faire face à ces bouleversements.

Si cette mue, encore inimaginable il y a trois ans, doit nous réjouir, reconnaissons que l’Union se cantonne encore à de la gestion post-crise, plutôt que de créer de véritables outils d’anticipation. Certes, le communiqué publié aujourd’hui par la Commission européenne témoigne d’une volonté de mieux gérer en amont les risques, mais nous sommes encore loin d’avoir atteint cet objectif.

Les divergences d’intérêts des Vingt-Sept et le manque de ressources propres ne nous aident pas à atteindre l’ambition de rapidité et d’efficacité que l’Union européenne affiche. C’est notamment le cas en matière de sécurité et de souveraineté économique, sujet à l’ordre du jour du prochain Conseil européen.

Je ne nie pas que de belles avancées aient été obtenues en la matière, qu’il s’agisse de plan RePowerEU, du Chips Act, du plan industriel du Pacte vert, de l’instrument anti-subvention ou encore de l’accélération des projets importants d’intérêt européen commun (Piiec).

Toutefois, les mesures les plus emblématiques ont une portée limitée. Cela les rend insuffisantes face à la force de frappe de pays comme la Chine, qui a lancé son plan Made in China 2025 dès 2015, ou les États-Unis, dont l’Inflation Reduction Act a été promulgué plus récemment : ce plan, doté d’un montant de 400 milliards de dollars, vise à faire enfin entrer le pays dans une ère écologique, mais en favorisant les entreprises américaines à grands coups de subventions publiques et de crédits d’impôt.

Je ne cherche pas à être défaitiste en disant cela. Bruno Le Maire, ministre de l’économie, a lui-même reconnu l’insuffisance des mesures européennes. Il a ainsi déclaré : « Ce que nous avons fait n’est pas suffisant au niveau européen. Il faut avec beaucoup plus de force et avec des instruments financiers beaucoup plus puissants défendre notre industrie européenne. »

Face aux risques commerciaux, aux menaces de délocalisation d’entreprises du vieux continent vers les États-Unis et à la perte de notre avance technologique en matière d’écologie, l’Europe s’est réveillée, mais bien tard. Qui plus est, les Vingt-Sept se déchirent sur la méthode, en particulier quant à la possibilité d’accorder des subventions publiques aux entreprises.

Les pays scandinaves sont hostiles, par tradition libérale, à ouvrir la manne des subventions. D’autres pays ont décidé de tirer parti de l’assouplissement temporaire des règles d’attribution, mais ils insistent pour que les dérogations soient limitées dans le temps. Enfin, les pays de l’Est sont inquiets de ne pas pouvoir suivre les pays qui disposeraient de plus de moyens qu’eux pour subventionner les entreprises ; ils redoutent qu’une course aux aides ne se mette en place en Europe.

Pour surmonter ces divergences, la présidente de la Commission européenne, Ursula von der Leyen, a proposé la création d’un fonds de souveraineté européen, dont les contours ont été précisés aujourd’hui. Il a été rebaptisé plateforme Technologies stratégiques pour l ’ Europe (Step) : il a pour objectifs de prévoir des financements communautaires pour aider les pays européens qui n’ont pas les moyens de subventionner massivement leurs industries et d’éviter une « fragmentation du marché unique ».

Cependant, la question du financement se pose. Si l’on en croit les annonces d’aujourd’hui, il apparaît que le fonds sera alimenté par les crédits non encore utilisés de NextGenerationEU. Le problème est que, si ces sommes ne sont pas encore décaissées, elles sont bel et bien déjà engagées vers d’autres projets. De plus, certains chercheurs soulignent que le fonds ne pourra être exploité à son plein potentiel que lorsque le marché unique des capitaux aura été définitivement achevé, car l’afflux d’investissements privés ne pourra se produire efficacement que s’il existe de vastes réserves de capitaux privés attendant d’être investis, ce qui manque actuellement dans l’Union européenne.

On peut donc s’interroger sur la pertinence d’un tel fonds. Une autre voie se dessine : l’instauration d’une préférence européenne. Déjà évoquée par le Président de la République, avec sa suggestion d’un Buy European Act, une telle mesure aurait l’avantage de limiter la concurrence des pays tiers et d’inciter à produire sur le territoire européen.

Il serait alors possible, par exemple, de mieux contrôler les investissements réalisés dans des pays tiers, de réformer les conditions d’accès aux marchés publics en favorisant les entreprises implantées dans l’Union européenne ou encore de réviser les droits de douane pour les importations en provenance de pays n’appartenant pas à l’Union européenne. Le mécanisme d’ajustement carbone aux frontières constitue d’ailleurs un premier pas dans le sens d’une préférence communautaire, de même que le règlement relatif aux subventions étrangères faussant le marché intérieur. Il semblerait donc logique de continuer dans cette voie tout en allant plus loin.

J’admets que l’équilibre est difficile à trouver, entre préservation des intérêts des vingt-sept États membres et nécessité de ne pas créer de conflit commercial avec des pays tiers. La préférence européenne me semble toutefois une piste intéressante à explorer dans la mesure où un fonds de souveraineté pourrait devenir un simple échelon supplémentaire des Piiec et perdre ainsi toute valeur ajoutée.

Madame la secrétaire d’État, quelle sera la position de la France quant aux diverses pistes proposées pour défendre l’économie européenne et notre souveraineté ? La balance vous semble-t-elle pencher davantage vers l’une des solutions proposées ? Si oui, vers laquelle ?

Pour conclure, j’ajouterai qu’il ne faut pas perdre de vue l’objectif qui devrait nous guider : réagir rapidement et efficacement face à des risques économiques. N’oublions pas que le plan chinois a sept ans et que l’IRA existe depuis bientôt un an. Nous devons faire en sorte de disposer de nouveaux outils pour défendre nos industries européennes dans les meilleurs délais. À ce stade, la Commission européenne semble chercher non pas à construire une réelle stratégie, mais seulement à ouvrir une réflexion sur la thématique de la sécurité économique. Nous comptons donc sur le Gouvernement pour plaider en faveur d’une accélération du processus.

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