Madame la présidente, madame la secrétaire d’État, mes chers collègues, nous sommes nombreux à avoir évoqué la dernière tragédie en Méditerranée. Nous avons exprimé notre compassion, notre indignation, comme à chaque fois après de tels événements – celui-ci était malheureusement d’une ampleur exceptionnelle –, et puis après, chacun fait comme avant… J’ai été frappé de constater que de nombreuses victimes avaient de la famille en Europe.
Le pacte européen sur la migration et l’asile, s’il avait été en vigueur, aurait-il changé quelque chose et permis d’empêcher une telle tragédie ? L’honnêteté oblige à dire que non. Aucune voie légale n’aurait permis à ces gens d’espérer pouvoir rejoindre leur famille en Europe.
Il n’existe aucune solidarité. Il n’y a aucune affirmation réelle d’une volonté de maintenir un régime d’asile plein et entier, c’est-à-dire qui respecte nos engagements de protéger les personnes, même lorsqu’elles sont sur notre territoire. Un autre drame récent montre combien certains demandeurs d’asile ont besoin que l’on traite leurs traumatismes et que l’on évite d’en créer d’autres avec l’enfermement qui est prévu dans le pacte sur la migration et l’asile.
Ce pacte ne prévoit rien non plus pour permettre aux pays européens riverains de la Méditerranée de respecter le droit de la mer tout en s’appuyant en retour sur la solidarité européenne. Nous devons affirmer le principe selon lequel l’Union européenne doit faire preuve d’une solidarité sans faille à l’égard de l’Espagne, de l’Italie, de la Grèce, de Chypre et de Malte, en échange d’un respect plein et entier du droit de la mer et de leur engagement à accueillir les bateaux de naufragés et de sauvetage en mer.
Bien entendu, cela passe par une réforme du règlement de Dublin d’une autre ampleur que ce qui est prévu : les personnes sauvées en mer devraient non pas dépendre du pays d’arrivée, mais bénéficier, dès le début, d’une solidarité européenne complète, même si elle n’engage que quelques pays.
D’autres sujets montrent l’importance d’avancer vers une reconnaissance mutuelle des instructions de demande d’asile dans les pays européens. Une demande d’asile acceptée dans un pays devrait l’être partout, et un refus opposé par un pays devrait empêcher le dépôt d’une autre demande. Ce mécanisme pourrait entrer en vigueur dans le cadre d’une procédure de coopération renforcée, sur la base d’une convergence des critères et des modalités d’instruction des demandes d’asile. Il me semble absolument impératif d’avancer dans la voie de la reconnaissance mutuelle et de faire évoluer les principes fixés dans le règlement de Dublin.
Il devient possible de mettre en place des voies légales d’entrée, grâce aux évolutions sur les e-visas, à la mise en place du système européen d’autorisation et d’information concernant les voyages (Etias), ou encore à l’entrée en vigueur du système d’entrée/de sortie (EES) de l’Union européenne. Le Canada permet aux ressortissants de certaines nationalités de rentrer sur son territoire avec une autorisation de voyage dès lors qu’ils ont eu auparavant un visa. Une telle évolution est possible en Europe, afin de permettre à toute personne, quelle que soit sa nationalité, dès lors qu’elle a déjà obtenu un visa, de continuer à voyager dans l’Union européenne, pour de courts séjours, mais avec une autorisation de voyage. Il est indispensable de trouver des voies légales pour que des personnes puissent non pas s’installer, mais venir en Europe. Les dispositifs récents que j’ai évoqués y contribueront.
Il est tout aussi nécessaire que l’Europe se dote de tous les outils pour lutter contre les passeurs criminels, les trafics de toutes natures – de stupéfiants, d’êtres humains – et la criminalité organisée. Il conviendrait à cet égard que la jurisprudence de la Cour de justice de l’Union européenne (CJUE) évolue. Pour cela, le droit européen en matière de conservation et d’accès aux données de connexion doit être modifié. De ce point de vue, la législation européenne et la jurisprudence de la CJUE ne sont pas satisfaisantes. Si nous voulons vraiment lutter contre une criminalité grave qui commence à menacer un certain nombre d’États européens, il est indispensable de modifier notre droit. Nous sommes plusieurs à travailler sur le sujet au Sénat.
Enfin, nous avions débattu voilà quelque temps de la situation des enfants ukrainiens déportés de force en Russie. La présidente de la Commission européenne avait annoncé une conférence sur cette question. Qu’en est-il ?
Pourquoi le Gouvernement, lors de l’examen du projet de loi sur la réforme de la justice, n’a-t-il pas souhaité aller jusqu’au bout dans la lutte contre l’impunité ? Pourquoi s’est-il opposé aux amendements tendant à supprimer la double incrimination ? Il est temps de mettre fin à l’impunité de personnes qui peuvent se trouver sur notre territoire, mais qui ne peuvent pas y être poursuivies, soit parce qu’elles ne résident pas habituellement dans notre pays, soit parce que le crime dont elles sont accusées n’est pas puni par la loi de leur pays d’origine. Il convient de faire évoluer les règles si l’on veut lutter contre l’impunité de ceux qui ont commis ou qui sont soupçonnés d’avoir commis des crimes de guerre ou des crimes contre l’humanité.