Madame la présidente, madame la secrétaire d’État, mes chers collègues, lors de leur prochaine réunion, les chefs d’État et de gouvernement aborderont un sujet fondamental pour notre continent : l’asile et les migrations.
Il semble qu’à cette occasion ils puissent enfin constater non pas seulement des divergences irréconciliables et des blocages insolubles, mais bien quelques avancées concrètes.
En effet, le Parlement européen a adopté en mars et en avril dernier ses positions de négociation sur le pacte sur la migration et l’asile. Le 8 juin, il était imité par le Conseil européen, qui a validé ses dernières approches générales, parvenant à un accord sur deux piliers essentiels de la réforme : la proposition de règlement établissant un cadre commun pour la gestion de l’asile et de la migration et la proposition de règlement sur les procédures d’asile.
Huit ans après la crise de 2015, sept ans après les premières mesures présentées par la Commission Juncker et bientôt trois ans après les propositions de la Commission von der Leyen, il semble que les institutions européennes soient enfin en ordre de marche pour la dernière ligne droite des trilogues. La Commission européenne semble optimiste quant à une issue rapide des débats.
Cependant, l’expérience de ces dernières années nous a appris qu’il fallait toujours mâtiner son optimisme d’une certaine dose de prudence lorsque l’on évoque la question migratoire à l’échelon européen.
Et pour cause : l’horloge tourne ! En raison de la tenue des élections européennes l’an prochain, le Parlement européen interrompra ses travaux au mois d’avril, et rien ne dit que l’assemblée qui lui succédera sera encline à remettre l’ouvrage sur le métier. Il reste donc un temps finalement assez court pour clore une négociation à la fois explosive et enkystée depuis tant d’années. L’aboutissement du processus dépendra essentiellement de la capacité à régler la question qui, jusqu’à présent, a fait dérailler toutes les discussions : celle de la solidarité !
Malgré l’abstention de quatre pays – rien que cela ! – et l’opposition formelle de la Pologne et de la Hongrie, les États membres semblent être parvenus à s’entendre autour d’un mécanisme que l’on pourrait qualifier d’hybride et de flexible. Dans ce cadre, 30 000 demandeurs d’asile au moins devraient être relocalisés chaque année au sein de l’Union européenne. Les États membres pourront refuser cette relocalisation, mais devront soit verser une compensation financière de 20 000 euros par migrant qu’ils refusent d’accueillir, soit contribuer directement au renforcement des capacités d’accueil des autres États membres.
Disons-le clairement, ce dispositif est loin d’être parfait, et sa mise en œuvre soulève encore bien des questions opérationnelles, mais il a le mérite d’organiser une forme de solidarité alternative à la relocalisation obligatoire des demandeurs d’asile. Si cette idée de la relocalisation semblait empreinte d’une certaine logique, elle se heurtait jusque-là au ressenti profond de certains pays européens. Cette situation a été à l’origine de tant de psychodrames au cours des dernières années, que l’on pouvait pensait que la politique migratoire européenne était condamnée à ne jamais voir le jour.
Le compromis trouvé par le Conseil européen fait preuve d’un vrai pragmatisme, ce qui pourrait, peut-être, permettre aux Européens d’aller de l’avant, plutôt que de se déchirer.
Madame la secrétaire d’État, j’ai toutefois une inquiétude. La position adoptée par le Parlement européen semble particulièrement éloignée, dans sa philosophie même, de celle qu’a dégagée le Conseil européen. Les eurodéputés défendent l’idée selon laquelle les engagements annuels de solidarité devraient être obligatoirement constitués, à 80 % au moins, de relocalisations, le reste pouvant prendre la forme de mesures de soutien en matériel ou en personnel. Le Parlement européen semble donc irrémédiablement exclure la possibilité qu’un concours financier puisse se substituer à l’accueil des demandeurs d’asile. L’écart entre les deux législateurs européens sur le cœur du pacte est donc profond, et cette situation laisse présager des trilogues particulièrement difficiles.
Nous ne sommes pas encore au bout du chemin, d’autant que des convergences de vue semblent difficiles à obtenir sur d’autres éléments fondamentaux du pacte tels que les mécanismes de filtrage ou la politique d’asile à la frontière. Ces derniers mettent en place des procédures pertinentes qui permettront de mieux contrôler les flux migratoires et d’accélérer l’examen des dossiers des demandeurs d’asile.
Juridiquement, ces dispositifs sont sous-tendus par la fiction de non-entrée sur le territoire européen. Or, si le Conseil entend à juste titre conforter cette notion, le Parlement européen souhaite, lui, la supprimer. Ajoutons à cela qu’après l’épisode lié à la fin des moteurs thermiques en Europe le caractère hétéroclite de la coalition allemande se rappelle une nouvelle fois à notre bon souvenir. Les Verts allemands, rejoignant leurs homologues européens et une partie des sociaux-démocrates, ont ainsi d’ores et déjà fait savoir sans équivoque qu’ils s’opposeraient au compromis trouvé de haute lutte par les États membres.
Je note avec intérêt que les institutions européennes semblent enfin avancer sur la question fondamentale, existentielle même, de l’asile et de l’immigration. Toutefois, vous l’aurez compris, je suis vraiment très sceptique face à l’ampleur de la tâche qui reste à accomplir.
L’Union européenne a déjà largement entamé sa crédibilité sur le sujet et, disons-le sans ambages, elle a en grande partie perdu la confiance des Européens. Si elle veut la regagner, elle ne peut en aucun cas se permettre le luxe d’une nouvelle législature pour rien sur cette question ; elle doit donc au plus vite maîtriser réellement ses frontières.
Quant à la France, madame la secrétaire d’État, si elle veut se doter d’une nouvelle stratégie nationale en matière d’immigration, elle doit préalablement – ou « en même temps », si vous me permettez… – disposer d’une politique claire et efficace de gestion de ses frontières. Est-ce vraiment possible ? À un an des prochaines élections européennes, il y va de notre avenir commun. Sinon, et je le dis ici clairement, ce sera l’heure des populismes pour l’Europe et pour la France !