Madame la présidente, madame la secrétaire d’État, mes chers collègues, lors de leur réunion du 29 et du 30 juin prochain, les chefs d’État et de gouvernement de l’Union européenne vont devoir traiter d’un ensemble de sujets qui concernent tous trait, peu ou prou, la situation et le positionnement de l’Union européenne dans un environnement géopolitique particulièrement difficile, ainsi que sa capacité, dans ce contexte, à préserver ses intérêts et affirmer ses valeurs.
La guerre en Ukraine, malheureusement, figurera de nouveau au premier rang des préoccupations. Les pays alliés de l’Ukraine sont confrontés à un dilemme : ils doivent tout faire pour mettre fin aux hostilités et favoriser la survenance rapide de la paix, sans paraître toutefois faire la moindre concession sur le droit de l’Ukraine à recouvrer l’intégralité de son territoire national.
Il faut espérer, en tout cas, que l’admirable cohésion dont ont fait preuve les États membres de l’Union jusqu’à présent ne commencera pas à se fissurer.
L’approbation d’un onzième paquet de sanctions européennes contre la Russie fait, à cet égard, figure de test. Les propositions de la Commission, récemment débattues, reposent sur une préoccupation légitime : celle d’éviter que les nombreuses sanctions déjà adoptées ne soient contournées par la Russie avec la complicité de pays ou d’entreprises, y compris européennes, qui y trouveraient un intérêt politique ou économique. Des États membres, dont la Hongrie et la Grèce, ont déjà manifesté leur franche opposition à certains éléments importants du paquet, tandis que l’Allemagne fait, une fois de plus, montre de frilosité à l’égard de tout ce qui pourrait contrarier la Chine et remettre en cause les fructueuses relations commerciales qu’elle entretient avec ce pays.
Madame la secrétaire d’État, quelle sera la position de la France ? Pensez-vous que les divergences entre États puissent être aplanies et qu’un accord puisse être trouvé ?
Le Conseil européen sera par ailleurs invité à se pencher sur les futures réparations par la Russie des dommages de guerre causés à l’Ukraine et sur la mobilisation à cette fin des avoirs russes gelés en Europe. Ces questions pourraient sembler prématurées à certains, mais j’estime que, outre le souci des intérêts fondamentaux de l’Ukraine, ses alliés européens doivent aussi avoir celui de ne pas se faire exclure par d’autres du grand chantier de reconstruction qui ne manquera pas de s’ouvrir une fois le conflit terminé. Les possibilités économiques offertes devront être à la mesure des efforts consentis par notre pays dans les domaines militaire, diplomatique, financier et humanitaire.
En ce qui concerne la perspective européenne de l’Ukraine, j’incite chacun à la prudence. Il est compréhensible que l’Union européenne n’ait pas voulu fermer totalement la porte à une telle perspective dans le contexte actuel. Toutefois, il convient de réaffirmer que les conditions d’accès à l’Union européenne pour tout pays candidat sont inscrites dans les traités ; elles ne sont pas négociables. La marche à suivre pour toute nouvelle adhésion doit donc être respectée.
Il nous faut également tenir compte du fait que d’autres pays figurent déjà sur la liste d’attente et que notre opinion publique, en l’état actuel des choses, n’est pas favorable à un nouvel élargissement.
Incontestablement, l’un des effets de la guerre en Ukraine a été de relancer le débat sur la politique commune de sécurité et de défense et sur la coopération entre l’Union européenne et l’Otan. En cohérence avec la boussole stratégique, adoptée l’année dernière par le Conseil européen, les chefs d’État et de gouvernement devront rapidement faire adopter de nouveaux instruments pour renforcer les industries européennes de défense, notamment en mutualisant les moyens de production et l’approvisionnement en munitions.
Surtout, il convient d’éviter que les efforts budgétaires notablement accrus de plusieurs États membres en matière de défense ne profitent aux fournisseurs des pays tiers.
Par ailleurs, une discussion sur les questions de migrations est prévue à l’agenda du Conseil européen. Elle est évidemment indispensable pour progresser enfin sur cette question très sensible. Faute de s’entendre sur des quotas ou des mécanismes de répartition des migrants, nos pays doivent au moins unir leurs efforts pour organiser le renvoi effectif des migrants clandestins et des déboutés du droit d’asile vers leur pays d’origine.
Cela implique de mettre la pression sur les pays concernés, notamment ceux de la rive sud de la Méditerranée, par tous les moyens à la disposition de l’Union européenne : octroi de visas, préférences commerciales, aides financières… À cet égard, les récentes critiques du pacte migratoire européen formulées par le président tunisien, qui a affiché son refus de coopérer avec les pays de l’Union européenne, sont inacceptables. Nous attendons une réaction ferme de la France et de ses partenaires à l’occasion de la prochaine réunion du Conseil européen.
Celle-ci se tiendra, comme chaque année, à la fin du premier semestre. Il y sera question de coordination des politiques économiques et d’approbation des recommandations par pays de la Commission européenne et du Conseil européen. Il est attristant, à la lecture de ces documents, de constater que la France est, encore une fois, pointée du doigt pour des déséquilibres macroéconomiques importants, une dette publique excessive et insoutenable « à moyen terme », des problèmes sérieux de compétitivité et une faible progression de la productivité du travail.
Par ailleurs, les réformes structurelles nécessaires pour remettre en ordre les finances publiques à plus long terme sont considérées comme insuffisantes à ce stade, et des doutes sont émis sur la capacité du Gouvernement d’en entreprendre de nouvelles.
Ce diagnostic et les recommandations dont il est assorti sont évidemment à prendre très au sérieux, non pas parce qu’ils émanent des institutions européennes, mais parce qu’il y va de l’intérêt et de la crédibilité de notre pays et de sa capacité à faire face à tous les défis qui se présentent à lui.