Celles de la Manche ont connu une diminution du trafic maritime consécutive au Brexit, puis à la crise sanitaire. L'arrivée d'un nouvel opérateur sur les liaisons transmanche a conduit certaines compagnies à abaisser les conditions de travail de leur personnel navigant pour optimiser leurs coûts et diminuer leurs tarifs. Elles ont opté pour des pavillons n'offrant que de faibles garanties en matière de droits sociaux pour les gens de mer.
Monsieur le secrétaire d'État l'a rappelé, le 17 mars 2022, la compagnie P&O Ferries a licencié, avec effet immédiat, 786 marins.
Selon Armateurs de France, les compagnies P&O Ferries et Irish Ferries, dont les navires battent pavillon chypriote, font appel à du personnel international, mais aussi beaucoup européen, dont les salaires de base pourraient être inférieurs de 60 % aux salaires français. En conséquence, leur coût de production du transport serait inférieur de 35 % à celui des navires battant pavillon français.
Alors que Brittany Ferries et DFDS Seaways, dont les navires battent pavillon français ou britannique, appliquent une équivalence entre la durée d'embarquement et le temps de repos à terre, les durées d'embarquement du personnel navigant de ces compagnies sont bien supérieures.
Permises par le droit international et européen, ces pratiques de dumping social sont, hélas ! légales. Elles laissent peu de marges aux États pour les réguler.
La convention de Montego Bay et le droit de l'Union européenne permettent aux compagnies de choisir librement le pavillon de leurs navires et d'appliquer aux contrats de travail la loi de n'importe quel État. Ce sont donc les règles de l'État du pavillon qui prévalent pour les liaisons internationales. Si les navires battant pavillon français sont tenus de respecter le droit du travail français, certains pavillons n'imposent presque aucune garantie sociale. Je l'ai découvert, comme peut-être certains d'entre vous, en étudiant ce texte…
Pour autant, ces pratiques de dumping social ne sont pas acceptables : elles perturbent significativement le marché du transport maritime transmanche, elles se traduisent par des droits sociaux limités pour le personnel employé et elles fragilisent la sécurité de la navigation dans l'un des détroits les plus fréquentés au monde.
Dans cette situation, le droit européen offre la possibilité aux États de prendre une loi de police, qui vise à fixer des dispositions impératives, dont le respect est jugé crucial par un pays pour la sauvegarde de ses intérêts publics, au point d'en exiger l'application à toute situation, quelle que soit par ailleurs la loi applicable au contrat. Pour ma part, je vous avoue que, après dix-neuf ans de mandat, je découvre ce type de loi, que j'appelle un ovni juridique !
L'article 1er impose deux obligations aux employeurs du personnel embarqué sur les navires : d'une part, le versement du salaire minimum horaire de branche applicable en France ; d'autre part, une organisation du travail fondée sur l'équivalence entre la durée d'embarquement et le temps de repos à terre, qui n'est pas une obligation en droit maritime.
Pour être considérées comme des lois de police au regard du droit européen, ces obligations doivent apporter des restrictions aux libertés économiques proportionnées à l'objectif visé, afin de ne pas être censurées par le juge.
Tout en souscrivant pleinement à ces mesures, la commission a donc voulu sécuriser le dispositif, en assurant la stricte proportionnalité des sanctions prévues.
En matière de sanctions pénales, la commission a approuvé les peines prévues de 7 500 euros d'amende par salarié concerné, puis de 15 000 euros d'amende et de six mois d'emprisonnement en cas de récidive.
Ces sanctions sont très dissuasives, comme nous avons pu le constater au cours de nos auditions. C'est pourquoi l'ajout à ces sanctions, à la troisième infraction, d'une interdiction d'accoster dans un port français pour tous les navires de la compagnie fautive a été supprimé par la commission. Cette sanction, qui méconnaît les principes constitutionnels d'individualisation des peines et de légalité des délits et des peines, est manifestement disproportionnée.
Le texte issu de la commission prévoit la possibilité pour l'autorité administrative de prononcer, alternativement à une amende, un avertissement à l'employeur ou à l'armateur en cas de manquement, alignant ainsi le régime de sanctions administratives créé à l'article 1er sur le droit commun du travail.
Nous avons décidé de fixer une date d'entrée en vigueur du texte afin de donner aux employeurs suffisamment de prévisibilité pour tirer les conséquences des nouvelles règles applicables. Ce sera le 1er janvier 2024, cette date coïncidant avec l'entrée en vigueur de la loi votée par le Parlement britannique, qui rendra applicable le salaire minimum horaire britannique sur les navires assurant un service international de transport de passagers.
Afin de renforcer la sécurité maritime, la commission a également adopté, à l'article 2, l'extension des sanctions pénales en matière d'aptitude des gens de mer au cas d'admission à bord d'un membre d'équipage ayant un certificat médical d'aptitude non valide établi à l'étranger.
En revanche, la commission a supprimé les articles 1er bis et 1er ter, ce que déplore M. le secrétaire d'État. Introduits à l'Assemblée nationale par voie d'amendements en séance publique, ils tendaient à renforcer les sanctions pénales ou administratives pouvant être prononcées sur les liaisons maritimes nationales où s'appliquent les conditions sociales de l'État d'accueil, notamment sur les liaisons entre la Corse et la France continentale.
Il existe sans doute des risques de distorsion de concurrence entre les compagnies battant pavillon français et celles qui opèrent sous le pavillon d'un autre pays européen, notamment italien. Ces dernières bénéficient en effet de conditions fiscales et sociales plus favorables, mais le droit de l'Union européenne l'autorise. Toutefois, le dispositif de l'État d'accueil, prévu par un règlement européen, limite fortement les possibilités de dumping social sur les navires concernés.
Les dispositions légales et les stipulations conventionnelles applicables aux salariés employés sur ces navires sont celles qui sont applicables aux salariés des entreprises de la même branche d'activité établies en France. Elles portent sur le salaire minimum, la durée du travail, la santé et la sécurité au travail ou encore sur les libertés individuelles et collectives dans la relation de travail.
Par ailleurs, les gens de mer bénéficient obligatoirement du régime de protection sociale d'un État membre comprenant une couverture des risques santé, accidents du travail et maladies professionnelles, maternité, famille, chômage et vieillesse.
Dans ce contexte, la commission a considéré que les mesures proposées, qui ne portent que sur les sanctions et ne modifient pas les normes sociales applicables sur les navires concernés, ne sont pas de nature à répondre aux problématiques de concurrence sur le marché des liaisons entre la Corse et le continent. M. le secrétaire d'État vient de nous apprendre à l'instant que les installations éoliennes étaient également concernées par le dumping social...
D'une part, ces enjeux de concurrence relèvent du niveau de l'Union européenne, notamment en ce qui concerne l'harmonisation des règles encadrant l'usage des pavillons internationaux sur les liaisons intraeuropéennes. Alors que la France exclut l'usage du registre international français (RIF) sur les navires transporteurs de passagers assurant des lignes régulières intracommunautaires, l'Italie permet, elle, une utilisation plus large de son pavillon international.
D'autre part, si le respect des règles de l'État d'accueil posait des difficultés, il serait plus efficace de renforcer les moyens de contrôle et d'appliquer effectivement les sanctions existantes. Je rappelle qu'il existe déjà un régime de sanctions pénales et que l'autorité administrative peut également infliger des amendes en cas de non-respect du salaire minimum. Encore faut-il que les contrôles soient effectifs.
Au total, la commission n'a pas été convaincue de la nécessité d'introduire ces mesures. Celles qui concernent le cabotage en Méditerranée, introduites en séance par voie d'amendements, dans un texte visant à lutter contre le dumping social sur le transmanche, risquent de brouiller les intentions du législateur, alors que la situation de ces deux marchés est difficilement comparable. Surtout, et c'est la préoccupation essentielle, elles pourraient fragiliser le texte, ce que personne ne souhaite.
Suivant la position constante du Sénat, la commission a supprimé les articles 3 et 4, qui prévoyaient la remise par le Gouvernement de rapports au Parlement.
Enfin, en cohérence avec l'objet des articles 1er et 2, la commission des affaires sociales a modifié l'intitulé de la proposition de loi pour indiquer qu'elle vise également « à renforcer la sécurité du transport maritime ».
J'espère que vous avez compris que ma préoccupation et celle de la commission ont été d'assurer l'effectivité, la solidité juridique du texte et la proportionnalité de ses dispositions. Cette proposition de loi est d'ailleurs déjà sous les fourches caudines de la Commission européenne alors que le Sénat ne l'a pas encore examinée ni votée.
La situation sur le transmanche nous impose de légiférer en nous assurant que ce texte aura des conséquences réelles, qu'il permettra d'améliorer les conditions de travail des marins et de renforcer la sécurité maritime. Voter une loi d'affichage qui ne s'appliquera pas ferait à mon sens plus de mal que de bien et conforterait les comportements que nous voulons contrôler.
C'est pourquoi je vous invite à adopter le texte issu des travaux de la commission. §