Intervention de Jean-Marie Vanlerenberghe

Réunion du 21 juin 2023 à 15h00
Lutte contre le dumping social dans le transport maritime transmanche — Adoption d'une proposition de loi dans le texte de la commission modifié

Photo de Jean-Marie VanlerenbergheJean-Marie Vanlerenberghe :

Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, la Manche est l'une des mers les plus fréquentées au monde. Quatre ans après le Brexit, elle est au cœur de la relation franco-britannique. Le trafic de passagers et de fret représente en effet une activité importante pour les ports de nos deux pays.

Jusqu'à récemment, le transport transmanche était caractérisé par la bonne qualité des relations entre les principaux concurrents du marché, des compagnies françaises et anglo-saxonnes pour l'essentiel. Cet équilibre garantissait des conditions de travail décentes pour les marins et une sécurité accrue pour les passagers, dans un contexte de trafic dense, où la formation des travailleurs de la mer se doit d'être optimale pour éviter les accidents.

Les choses ont commencé à changer au printemps 2021, lorsque le transporteur irlandais Irish Ferries s'est mis à lancer des traversées France-Angleterre low cost sous pavillon chypriote, en payant ses marins au rabais pour des semaines de travail à rallonge. La compagnie anglaise P&O Ferries lui a emboîté le pas, jusqu'à licencier brutalement, en mars 2022, près de 800 marins britanniques. Grâce au pavillon chypriote, P&O Ferries a ensuite remplacé ces marins par des salariés colombiens et des intérimaires bien moins rémunérés.

Ces pratiques, qui peuvent à juste titre être qualifiées de dumping social, sont une forme de concurrence déloyale nuisant à la compétitivité des transporteurs français sur le marché transmanche. Elles menacent les conditions de travail et les droits sociaux des marins de nos deux pays et, en soumettant les gens de mer les moins qualifiés à des cadences de travail déraisonnables, comme cela a été rappelé, elles multiplient les risques d'accident et de catastrophe écologique.

Or ces abus sont rendus possibles par l'insuffisance du droit en vigueur, qui soumet les navires non pas au droit du travail des pays dans les eaux desquels ils naviguent, mais plutôt à celui, moins protecteur, du pays dont ils battent pavillon.

La présente proposition de loi est donc bienvenue, d'autant qu'elle fait écho à un texte similaire déjà adopté par le Parlement britannique et promulgué le 28 mars dernier. Il était en effet nécessaire que nos pays coordonnent leurs efforts pour proposer un cadre commun qui limite les risques d'insécurité juridique pour les marins et les entreprises de transport transmanche.

L'objet du présent texte est ainsi d'appliquer les garanties essentielles des droits du travail français et britannique, au premier chef le salaire minimum, aux équipages de toutes les compagnies maritimes, quel que soit leur pavillon, effectuant des liaisons régulières de passagers touchant un port français. Je remercie les rapporteures, Catherine Procaccia et Nadège Havet, d'avoir éclairci les dispositions de cette proposition de loi et d'en avoir enrichi le contenu en commission.

Grâce au travail du Sénat, la sécurité de la navigation et la lutte contre les pollutions marines seront mieux prises en compte pour déterminer la durée maximale d'embarquement des marins, et donc leur durée minimale de repos à terre. Non seulement les marins, mais aussi tous les gens de mer, qu'ils soient mécaniciens, cuisiniers, hôtes ou hôtesses de bord, devront disposer d'un certificat d'aptitude médical valide garantissant la plus grande sécurité des passagers.

Avec les membres du groupe Union Centriste, je soutiens l'adoption de la présente proposition de loi, qui permettra de rétablir un juste équilibre entre concurrence et protection des droits des travailleurs sur le trafic transmanche. Il n'est pas tolérable que des entreprises dictent aux États le droit du travail s'appliquant dans leurs propres eaux territoriales.

Restera ensuite au Gouvernement le soin de préciser le cadre d'application de la loi, et notamment les lignes de trafic concernées par ses dispositions. En l'état, le texte prévoit que ces lignes seront déterminées « selon des critères d'exploitation, notamment la fréquence de touchée d'un port français par un navire, fixés par décret en Conseil d'État ». Il pourrait être judicieux, monsieur le secrétaire d'État, que la fréquence de touchée soit alignée sur celle qui est prévue par la loi britannique adoptée en mars, à savoir un minimum de cent vingt touchées par an.

Pour respecter la volonté du législateur, il conviendra également de faire en sorte que ce texte s'applique en priorité au transmanche, et avec discernement aux autres mers ou océans. Je pense en particulier à l'article 1er ter, que le Gouvernement semble vouloir rétablir.

Enfin, un travail de coordination avec le Gouvernement britannique s'imposera pour préciser lequel, du salaire minimum français ou britannique, s'imposera aux transporteurs. Bien que les différences entre les deux salaires soient faibles, évitons de plonger les compagnies dans l'incertitude et limitons les pratiques d'optimisation sociale susceptibles d'en découler.

Au bénéfice de ces observations, mon groupe votera ce texte. §

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