Monsieur le président, monsieur le secrétaire d'État, mes chers collègues, la décision de la compagnie maritime P&O Ferries de procéder, en mars 2022, au licenciement de 786 marins britanniques pour les remplacer par des salariés venant de pays à bas coût de main-d'œuvre a provoqué un avis de tempête sur le transmanche.
Celui-ci, depuis quelques années, n'en est pas à son premier coup de tabac. La fin du duty free l'avait obligé à revoir son modèle économique. L'entrée en service du tunnel sous la Manche, en 1994, l'avait fait douter de sa pertinence. Les dispositions de la convention internationale pour la prévention de la pollution par les navires (Marpol) sur la teneur en soufre du fuel-oil utilisé à bord des navires, puis la nécessaire réduction des émissions de CO2, l'ont obligé à revoir la motorisation des navires. Le risque terroriste et le covid ont conduit à canaliser et à sécuriser les flux de passagers et de marchandises. Enfin, le Brexit a complètement reconfiguré les échanges entre le continent, le Royaume-Uni et l'Irlande.
Touchées mais pas coulées, les compagnies transmanche, dont Brittany Ferries, ont su faire face aux aléas, se maintenir à flot et repartir.
Le coup de force de P&O Ferries, qui a utilisé l'arme du dumping social, s'apparente à un acte de piraterie contre le modèle que nous souhaitons construire en Europe.
On le sait, la libre concurrence peut être faussée, d'une part, par le dumping social et, d'autre part, par le dumping environnemental.
Concernant ce dernier, on ne peut que se féliciter des avancées faites par l'Europe, notamment via l'instauration d'une taxe carbone aux frontières de l'Union afin de rétablir, pour certains produits, un équilibre environnemental dans les échanges.
Cette proposition de loi visant à lutter contre le dumping social est un premier point d'ancrage, certes très limité, mais elle est aussi un marqueur et traduit la volonté politique française de promouvoir et de préserver un modèle européen respectueux de son modèle social, qui, au-delà des tenants de l'ultralibéralisme, apporte une protection statutaire aux salariés.
En effet, ne l'oublions pas, la directive sur les travailleurs détachés avait oublié les gens de mer, et l'Europe a, jusque-là, marqué son impuissance face à certains États ayant cédé leur pavillon national dérégulé à des armateurs sans scrupules.
En réglementant les droits des salariés, notamment le temps de repos, cette proposition de loi apporte aussi une garantie sur le plan de la sécurité maritime.
De fait, comme cela a été mentionné, la mer de la Manche est la plus fréquentée du monde. Plus de 350 navires de fort tonnage, souvent chargés de matières dangereuses, circulent chaque jour dans les sens montant et descendant de cette véritable autoroute maritime. Ce flux est cisaillé par les milliers de liaisons annuelles des opérateurs maritimes transmanche.
Enfin, cette mer se caractérise par des flux qui résultent des usages multiples de la mer, issus des activités de pêche ou de plaisance, d'extractions de granulats, de pose de câbles sous-marins ou encore d'implantation de champs d'éoliennes offshore. Cette mer est dangereuse à en juger par les 3 400 interventions annuelles de la préfecture maritime.
C'est donc aussi au regard de la sécurité maritime qu'il convient d'examiner ce texte, que les élus du groupe Socialiste, Écologiste et Républicain, dans leur ensemble, voteront, en veillant à ce qu'un élargissement de son périmètre ne le rende pas caduc ou ne retarde son application, car il y a urgence à agir en mer de Manche.