Intervention de François Marc

Réunion du 17 février 2009 à 16h00
Application des articles 34-1 39 et 44 de la constitution — Article 13 priorité

Photo de François MarcFrançois Marc :

Monsieur le président, monsieur le secrétaire d'État, mes chers collègues, je tiens également à exprimer ici mes plus vives inquiétudes, voire mon indignation, à propos du présent projet de loi organique, qui a été déposé à l’Assemblée nationale le 10 décembre 2008. Je pense particulièrement à son article 13, qui vise à limiter sévèrement le droit d’amendement des parlementaires.

D’abord, je trouve pour le moins curieux qu’un projet de loi organique oriente dans le sens de la volonté présidentielle les dispositions relevant des règlements d’assemblées souveraines. À la vérité, il s’agit – nous l’avons bien compris – d’une habilité par laquelle le Gouvernement s’emploie à corseter les « nouveaux droits » qu’il prétendait octroyer au Parlement dans le cadre de la loi constitutionnelle du 23 juillet 2008. C’est très certainement l’opposition qui est visée. Beaucoup de parlementaires ayant voté la révision au moment du Congrès de Versailles s’en mordent aujourd'hui les doigts ; nous avons entendu des remarques en ce sens ici même. Après tout, n’ont-ils pas été victimes des tromperies du Gouvernement ? La question est posée.

En effet, en renvoyant systématiquement aux règlements des assemblées, le projet de loi organique fait de la majorité de chaque chambre l’exécutrice des basses œuvres. Ainsi, la qualification de « textes qui [se] prêtent à une procédure d’examen simplifié », formulation qui figurait dans le projet de loi initial, laissait les coudées franches au Gouvernement pour limiter les amendements sur presque tous les textes.

Pis encore, la possibilité pour les règlements d’imposer un délai pour l’examen d’un texte, assorti d’un vote sans discussion quand il sera expiré, autrement dit le « temps-guillotine », porte atteinte à l’essence même du parlementarisme.

Monsieur le secrétaire d’État, outre la volonté de réduire l’expression de l’opposition et de tenir en laisse votre majorité, la philosophie de l’article 13 contrevient à la dimension individuelle du droit d’amendement des parlementaires. Dois-je le rappeler, aux termes de l’article 44 de la Constitution, ce sont « les membres du Parlement » qui possèdent chacun le droit d’amendement ? La nouvelle procédure fait des groupes et des commissions, donc de votre majorité, les seuls véritables cadres des débats. Elle réduit le travail parlementaire à sa dimension la plus grégaire.

Certes, le travail des commissions est essentiel. Mais au nom de quel principe devrait-il primer sur les séances publiques ? La démocratie se vit au grand jour, et pas uniquement dans des cénacles de spécialistes. Les débats publics sur les amendements permettent la libre confrontation des arguments et la transparence des choix politiques.

Vous nous parlez d’obstruction pour justifier votre dessein. N’avez-vous pas pensé qu’il y va tout simplement du respect du débat démocratique ? Les juristes de cette assemblée connaissent bien le principe du contradictoire, cette règle procédurale en vigueur devant les tribunaux qui permet à chaque partie de faire droit à ses arguments dans les mêmes conditions. Comme diraient les latinistes, « audi alteram partem » : chaque partie doit être entendue, car du débat contradictoire naissent souvent les solutions les plus équilibrées.

C’est sûrement un hasard, mais ce projet de loi organique a été déposé à l’Assemblée nationale le 10 décembre, date anniversaire de l’élection de Louis-Napoléon Bonaparte comme président de la IIe République. Voilà un président qui a berné le peuple en prétendant défendre le suffrage universel ! Lui aussi affirmait garantir les fondements de la démocratie. Mais ses propos rassurants ont été démentis avec fracas deux ans plus tard, lors de son coup d’État. Et l’on sait en quelle estime il tint son Parlement durant son règne ! Plus généralement, monsieur le secrétaire d’État, vous observerez que, au cours de l’histoire des parlements, la limitation du droit d’amendement a été la marque des régimes autoritaires.

Monsieur le secrétaire d’État, ne vous trompez pas de siècle ! Retirez l’article 13 tant qu’il est encore temps! La chambre haute à laquelle nous appartenons n’aspire pas à devenir un Sénat impérial !

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