Séance en hémicycle du 17 février 2009 à 16h00

Résumé de la séance

Les mots clés de cette séance

  • d’amendement
  • l’opposition

La séance

Source

La séance, suspendue à douze heures trente-cinq, est reprise à seize heures cinq, sous la présidence de M. Gérard Larcher.

Debut de section - PermalienPhoto de Gérard Larcher

M. le président. Mes chers collègues, j’ai le très grand plaisir, au nom du Sénat tout entier, de saluer la présence dans notre tribune officielle de Mme Simoneschi-Cortesi, présidente du Conseil national de la Confédération suisse.

M. le secrétaire d’État, Mmes et MM. les sénateurs se lèvent.

Debut de section - PermalienPhoto de Gérard Larcher

Notre collègue Pierre Hérisson, qui préside le groupe interparlementaire d’amitié France Suisse, et des membres de ce groupe ont accueilli la délégation conduite par Mme la présidente.

Nous sommes particulièrement sensibles à cette visite, qui illustre la qualité des relations que le Sénat entretient avec le Parlement fédéral ainsi qu’avec la chambre haute de la Confédération, le Conseil des États.

Une délégation du groupe d’amitié sénatorial devrait se rendre à Berne en avril prochain, à l’invitation du Parlement fédéral.

Je me félicite que le peuple suisse, consulté par référendum, ait répondu favorablement, le 8 février dernier, à la reconduction de l’accord sur la libre circulation des personnes entre la Suisse et l’Union européenne, montrant ainsi son attachement à la qualité des relations avec l’Union.

Je suis certain que le conseiller fédéral Pascal Couchepin, qui présidait la Confédération en 2008 et qui a rencontré hier le Premier ministre, M. François Fillon, a pu constater une nouvelle fois la qualité de notre relation bilatérale.

Samedi 14 février, il assistait au Centre culturel suisse de Paris au vernissage d’une exposition, première manifestation de la nouvelle programmation qui permettra à notre capitale d’être encore un peu plus à l’heure suisse !

Madame la présidente, au nom du Sénat tout entier, je vous souhaite la bienvenue et un excellent séjour en France, qui contribuera, je n’en doute pas, à renforcer les liens d’amitié existant entre nos deux pays.

Applaudissements

Debut de section - PermalienPhoto de Gérard Larcher

La parole est à Mme Marie-France Beaufils, pour un rappel au règlement.

Debut de section - PermalienPhoto de Marie-France Beaufils

Monsieur le président, mon rappel au règlement se fonde sur l’article 36 de notre règlement.

Le secrétaire d’État chargé de l’outre-mer, M. Yves Jégo, a été auditionné ce matin sur le projet de loi n° 496 pour le développement économique de l’outre-mer.

Il a indiqué à cette occasion que le projet de loi n’était pas encore complètement au point. Or, compte tenu de la nouvelle procédure d’examen des textes, il nous est demandé de déposer nos amendements dès aujourd’hui, avant seize heures, avant l’examen de ce texte par la commission.

Il me semble quand même difficile de déposer des amendements sur un projet de loi qui n’est pas encore complètement formalisé ! Des règles doivent être mises en œuvre pour nous permettre de jouer véritablement notre rôle de parlementaire ; je regrette que tel n’ait pas été le cas sur ce texte.

Applaudissements sur les travées du groupe CRC-SPG et du groupe socialiste.

Debut de section - PermalienPhoto de Gérard Larcher

Madame, je vous donne acte de votre rappel au règlement ; dans cette période de transition, ce problème n’a pas échappé à la conférence des présidents.

Debut de section - PermalienPhoto de Gérard Larcher

L’ordre du jour appelle la suite de la discussion du projet de loi organique, adopté par l’Assemblée nationale, relatif à l’application des articles 34-1, 39 et 44 de la Constitution (nos 183 et 196).

Conformément à la décision de la conférence des présidents, le Sénat va examiner par priorité les articles 13, 13 bis et 13 ter du projet de loi organique, ainsi que l’amendement tendant à insérer un article additionnel après l’article 13 ter, avant d’en revenir à l’article 7.

Les règlements des assemblées peuvent, s'ils instituent une procédure impartissant des délais pour l'examen d'un texte en séance, déterminer les conditions dans lesquelles les amendements déposés par les membres du Parlement peuvent être mis aux voix sans discussion.

Lorsqu'un amendement est déposé par le Gouvernement ou par la commission après la forclusion du délai de dépôt des amendements des membres du Parlement, les règlements des assemblées, s'ils instituent une procédure impartissant des délais pour l'examen d'un texte, doivent prévoir d'accorder un temps supplémentaire de discussion, à la demande d'un président de groupe, aux membres du Parlement.

Debut de section - PermalienPhoto de Jean-Pierre Bel

Monsieur le président, monsieur le secrétaire d’État, mes chers collègues, l’article 13 constitue la clé de voûte de ce projet de loi.

Nous avons tous bien compris la consigne qui s’applique à cet article : il faut un vote conforme. Mais, ajoute-t-on, que personne ne s’inquiète, cet article ne s’appliquera pas, en tout cas pas au Sénat.

Décidément, depuis le souhait du Président Jacques Chirac de voir voter la disposition relative au contrat première embauche, ou CPE, tout en proposant de ne pas la mettre en œuvre, il semblerait que cette étrange vision de l’élaboration de la loi soit devenue une référence.

Mes chers collègues, cela fait maintenant des semaines, voire des mois, que chacun a fait valoir ses arguments. Nous avons vu comment les échanges se sont passés à l’Assemblée nationale…Depuis, nous faisons tous des efforts pour nous écouter, pour entendre les différents points de vue.

Je crois avoir compris moi aussi : tout vient de l’obstruction qui serait pratiquée et qui bloquerait donc notre mode de fonctionnement. Ce serait là le fléau qui autoriserait à réduire le temps d’expression des parlementaires quitte, même, à les empêcher de défendre leurs amendements.

Je crois, monsieur le secrétaire d’État, que vous vous trompez de cible et, mes chers collègues, vous le savez bien : ce n’est pas le Parlement qui retarde les réformes ; le Gouvernement s’en charge très bien tout seul ! À qui sont imputables la boulimie de réformes, l’inflation législative, l’empilement d’ordonnances qui désorganisent le travail ? Au Gouvernement, quelle que soit d'ailleurs sa couleur politique, et non aux parlementaires ! La véritable obstruction vient de là, et non d’une opposition sur laquelle on cherche trop souvent à se défausser.

Nous ne reconnaissons pas ce mode de gouvernance, cette « omniprésidence », qui considère que le temps du Parlement est du temps perdu. Pour nous, le temps du Parlement est le temps de la démocratie.

D’ailleurs, les expériences dans d’autres parlements le montrent : plus l’opposition dispose de moyens pour intervenir dans le processus législatif, moins elle se trouve contrainte de recourir à l’obstruction.

Et même quand la loi est plus rapidement votée, elle n’est pas mieux ni plus rapidement appliquée.

Le contrôle d’application des lois, que le Sénat a mis en place depuis 1972 et dont certains s’aperçoivent enfin de l’utilité, montre sans contestation que trop de lois, parfois bâclées, ne sont pas appliquées faute de décrets, souvent difficiles à rédiger du fait des termes trop imprécis de la loi.

Le droit d’amendement est constitutionnellement attribué et reconnu aux parlementaires. Il existe donc une contradiction fondamentale entre la globalisation du temps de parole et le droit d’amendement qui est garanti à tout parlementaire, individuellement, et qui est protégé par la Constitution.

Limiter la durée du débat parlementaire a une conséquence directe : cela revient à interdire la défense des amendements dès lors que la discussion aura dépassé le temps imparti.

Pour nous, il est clair que cette limitation des débats en séance publique conduirait à remettre en cause le droit individuel de chaque parlementaire à amender un texte en séance publique.

On aurait pu imaginer que la dureté de ce dispositif serait contrebalancée par la possibilité de le décider par consensus. C’était là, au fond, le véritable sens des propositions que j’avais pu faire dans un rapport élaboré lors de la dernière campagne des élections présidentielles et dont il a été souvent question ; nous aurons certainement l’occasion d’y revenir.

Les belles promesses de la révision, qui devait « renforcer les droits du Parlement et ceux de l’opposition », sont aujourd’hui bien loin !

S’exprimant devant le Congrès le 21 juillet 2008, le Premier ministre évoquait, s’agissant de la révision constitutionnelle, une « réforme qui tempère les pouvoirs de l’exécutif en renforçant ceux du législatif » et défiait « quiconque de trouver dans un seul de ces articles un recul pour les libertés ! » « Tous convergent pour élargir les champs de notre démocratie et mieux équilibrer les pouvoirs », affirmait-il.

La révision du 23 juillet 2008 va donc, sous couvert d’une prétendue rationalisation du droit d’amendement, aboutir à un recul de la démocratie parlementaire, alors que tout devrait être fait, au contraire, pour s’efforcer de parvenir à des consensus afin d’améliorer l’efficacité des débats en séance publique.

Monsieur le secrétaire d’État, mes chers collègues, on aurait évité la dramatisation des débats autour de cet article 13 si vous aviez retenu cette idée de consensus, si vous aviez cherché à renforcer les droits de l’opposition, en reprenant par exemple l’idée de « charte des droits de l’opposition », qui était proposée dans le rapport Balladur et qui devait « garantir les bonnes pratiques d’une démocratie respectueuse des opinions et des personnes », ou si les mesures d’application de l’article 51-1 de la Constitution, qui évoque des « droits particuliers » en faveur de l’opposition et des groupes minoritaires, avaient été adoptées avant la discussion de ce texte.

Parce qu’elle élude la vraie question des droits de l’opposition, parce qu’elle constitue une atteinte au droit constitutionnel d’amendement, cette nouvelle procédure, que le groupe socialiste récuse de la façon la plus nette, contribue à abaisser encore davantage les droits du Parlement.

Mes chers collègues, ce que nous défendons dans ce débat, ce sont non pas nos seuls droits, mais ceux de l’ensemble des parlementaires, de la représentation nationale, le droit du peuple souverain à s’exprimer par l’intermédiaire de ses représentants.

Encore une fois, ce que nous défendons, ce sont les grands principes qui fondent notre République.

Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et du groupe CRC-SPG, ainsi que sur certaines travées du RDSE.

Debut de section - PermalienPhoto de Nicole Borvo Cohen-Seat

Mes chers collègues, nous participons cet après-midi non à une simple bataille sur un article obscur que nos concitoyens ne pourraient comprendre, mais à un débat important pour la défense des libertés parlementaires et, partant, des libertés publiques.

Je vais me référer aux propos tenus par le Président de la République, puisque c’est lui, avec, semble-t-il, un certain nombre de parlementaires de son entourage, qui inspire la conception de cet article 13, que la majorité s’obstine à maintenir. Le Président de la République a précisé le 7 février dernier, en présentant ses vœux aux parlementaires, le sens de la révision constitutionnelle et les conséquences qu’il entendait en tirer : « c’est un grand pouvoir qui vous a été confié par cette révision constitutionnelle. Mais qui dit grand pouvoir, dit grande responsabilité. »

Le Président de la République s’arroge donc le droit de dire aux parlementaires, qui pourraient être des irresponsables, qu’il faut exercer ce pouvoir avec « responsabilité » ! Qu’entend-il par là ?

Je ne peux m’empêcher de rapprocher ces propos de ceux que Mme Rachida Dati avait tenus aux élèves de l’École nationale de la magistrature : l’indépendance des magistrats se mérite. Cela signifie que l’indépendance n’a pas une valeur absolue.

Le Président de la République a donc indiqué aux parlementaires que si de nouveaux droits leur étaient octroyés, ils ne devaient pas en abuser, et ne pas gêner son action ! Il a poursuivi ainsi : « cela implique que le Parlement se donne les moyens d’améliorer ses méthodes de travail », tout en affirmant s’y connaître sur le sujet, puisqu’il a été parlementaire. Et il a terminé ainsi : « qui peut dire que le problème de l’amélioration du travail du Parlement en France ne se pose pas, qui peut le dire, qui sérieusement peut dire cela ? » À cette question, on ne peut bien évidemment répondre que positivement.

Mais le véritable problème est ailleurs : quels sont les causes, les modalités et les responsables des dysfonctionnements éventuels du fonctionnement du Parlement ?

Pour le Président de la République, « il n’y a pas un Gouvernement qui gouverne de son côté et un Parlement qui parlemente du sien ». Les parlementaires sont ainsi ramenés à des gens qui « parlementent », terme quelque peu péjoratif ! « Il y a deux pouvoirs imbriqués, deux acteurs de la réforme ».

Pour ma part, je continue à penser qu’il y a séparation des pouvoirs, avec, d’une part, un gouvernement et, d’autre part, un parlement.

Au fond, tout cela résume bien le problème auquel nous sommes confrontés aujourd’hui.

Le chef de l’État a imprimé la marque de sa pensée institutionnelle sur la révision constitutionnelle : la séparation des pouvoirs était peut-être un bon principe au XVIIIe siècle et pour nos anciens parlementaires illustres, mais nous sommes aujourd’hui à l’ère de l’efficacité. Il faut donc permettre au pouvoir exécutif d’agir plus vite, de s’adapter à l’opinion qu’il fabrique, en s’en tenant à des échanges télévisuels entre le pouvoir exécutif et le peuple. Parallèlement, il faut soumettre le Parlement et brider son autonomie, bien qu’elle soit constitutionnelle.

On comprend alors mieux le sens de la révision constitutionnelle que mon groupe n’a eu de cesse de dénoncer. Derrière l’annonce des nouveaux pouvoirs supposés du Parlement, notamment le partage de l’ordre du jour, on voit bien que s’organise un présidentialisme sur mesure, à la française, avec une confusion extrême des pouvoirs. Comment ne pas être inquiet ?

On a aussi vu le Président de la République, lors de son entretien télévisé du 5 février dernier, annoncer aux Français que la nomination du président de France Télévisions serait beaucoup plus démocratique dans la mesure où l’accord des trois cinquièmes des parlementaires serait dorénavant nécessaire.

Debut de section - PermalienPhoto de Nicole Borvo Cohen-Seat

C’était effectivement un pur mensonge, comme j’ai déjà eu l’occasion de le dire. Et ceux qui ont voté le texte savent très bien que, en réalité, une majorité des trois cinquièmes des parlementaires est requise pour s’opposer à la nomination du président de France Télévisions, ce qui suppose un accord entre l’opposition et la majorité. C’est donc exactement l’inverse !

Ce débat sur le droit d’amendement, que tout le monde se plaît à sanctifier en le qualifiant d’« imprescriptible », d’« inaliénable », voire de « sacré » – voilà le sacré qui entre au Parlement ! –, c’est véritablement le triomphe des faux-semblants !

Le Gouvernement, et la majorité avec, est assez mal à l’aise, car, plus il répète que le droit d’amendement doit être respecté, plus on s’aperçoit qu’il ne veut pas le respecter tout à fait.

La Constitution, même après la révision de juillet dernier, prévoit que le droit d’amendement est un droit inaliénable. Selon la jurisprudence du Conseil constitutionnel, il faut, pour que ce droit soit respecté, que l’amendement soit discuté. Une limitation éventuelle du temps de parole serait donc en contradiction avec cette appréciation : les amendements seraient en quelque sorte « mort-nés », inexistants, puisqu’ils pourraient être déposés mais ne seraient pas défendus. Avec ces propositions sans vie, la démocratie serait atone : l’indépendance et la liberté des parlementaires ne seraient qu’un faux-semblant.

La majorité sénatoriale annonce qu’elle n’usera pas de cette possibilité offerte par la loi organique. Elle veut bien voter la disposition, mais elle ne veut pas l’appliquer. Elle considère donc, de fait, que l’article 13 ne respecte pas le droit d’amendement !

L’article 13, qui vise à instaurer le fameux crédit-temps qu’on peut qualifier de « 49-3 » parlementaire, viole à mon avis la Constitution. C’est une injure à l’histoire démocratique française et à ceux qui se sont battus pour que le pluralisme vive et que le pays échappe à toute dérive autocratique, dérive connue par le passé, mais aussi plus récemment, hélas !

À l’issue de ce débat sur cet article-clé pour l’avenir de nos institutions, nous appelons la majorité à aller jusqu’au bout de sa logique – l’inaliénabilité du droit d’amendement – et à avoir le courage de ne pas voter cet article.

Applaudissements sur les travées du groupe CRC-SPG et du groupe socialiste, ainsi que sur certaines travées du RDSE.

Debut de section - PermalienPhoto de Roger Madec

Monsieur le président, monsieur le secrétaire d’État, mes chers collègues, nous sommes réunis cet après-midi pour débattre de l’article 13 du projet de loi organique relatif à l’application des articles 34-1, 39 et 44 de la Constitution, mais surtout pour défendre le Parlement.

Cet article porte atteinte de façon inacceptable à notre Constitution et à l’esprit de notre démocratie. Il bafoue notre légitimité, car le droit d’amendement est une liberté fondamentale du Parlement.

Il est grave de vouloir amoindrir le droit d’amendement dans le but de limiter les travaux de l’opposition, car cela revient à affaiblir le travail parlementaire.

La démocratie implique l’existence d’institutions représentatives, notamment d’un Parlement doté des pouvoirs et des moyens nécessaires pour exprimer la volonté du peuple, c'est-à-dire en légiférant et en contrôlant l’action du Gouvernement

Une opposition parlementaire est un rouage indispensable au bon fonctionnement de la démocratie. L’une de ses fonctions principales est de constituer une alternative politique crédible à la majorité en place en proposant d’autres options politiques au débat public. Elle participe également à la surveillance, à la vérification et au contrôle de l’action et de la politique gouvernementales, contribuant ainsi à défendre l’intérêt public et à prévenir des dysfonctionnements éventuels.

Monsieur le secrétaire d’État, il est abusif de vouloir légiférer sur un tel article qui n’a pour but que de menotter l’opposition. Vous voulez réglementer l’« obstruction », alors que l’exécutif possède un arsenal constitutionnel pour exiger la clarté et la sincérité des débats : les articles 40, 41 et 45 de la Constitution, mais surtout l’article 44, troisième alinéa – le vote bloqué constitue en effet une arme confortable puisqu’elle est à la disposition du membre du Gouvernement présent en séance –, sans oublier l’article 49, troisième alinéa, qui subsiste.

Citez-moi un seul cas où l’obstruction aurait empêché l’adoption d’un texte sous la Ve République !

Debut de section - PermalienPhoto de Roger Madec

Mais puisque l’on évoque les souvenirs, n’oubliez pas les valeurs transmises par nos pairs dans la Déclaration universelle des droits de l’homme et du citoyen, notamment à l’article VI en vertu duquel « la loi est l’expression de la volonté générale ».

Vous pensez que la longueur des débats nuit aux réformes. Mais nombre de ces dernières ont été menées grâce aux débats engagés en amont. Penser le contraire est grave ! En commission ou en séance, le débat est une étude, une confrontation d’idées, que les amendements viennent enrichir.

Retournons dans le passé : je ne contredirai pas Michel Debré lorsqu’il affirmait qu’« aucun retard ne doit être toléré à l’examen d’un texte gouvernemental, si ce n’est celui qui résulte de son étude ». Mais que deviendrait cette étude si le droit d’amendement était limité ?

Nous travaillons à améliorer la loi pour qu’elle soit la plus juste pour nos concitoyens, et c’est ce droit à l’amélioration de la loi que vous souhaitez nous ôter. Pourtant, je rappelle qu’il a fallu deux ans de travail en commission et neuf mois de débats à la Chambre des députés et au Sénat pour que, en 1905, une loi fondamentale de la République soit adoptée : la loi concernant la séparation des Églises et de l’État. En aurait-il été de même si le Parlement avait été muselé par le crédit-temps ? Celui-ci n’est en effet assorti d’aucune garantie assurant à l’opposition qu’elle pourra mener des débats constructifs. Lorsqu’un groupe aura épuisé son temps de parole, il ne pourra plus défendre ses amendements, qui seront alors simplement soumis au vote sans aucune discussion.

Mesdames, messieurs les sénateurs, la majorité nous dit que le temps global ne sera pas appliqué au Sénat. Je vous invite donc à rejeter l’article 13. Ne dites pas que cette disposition n’est qu’une faculté donnée aux assemblées et que son application n’est pas obligatoire, car ce serait déshonorer le Parlement : comment s’assurer que le temps programmé qui nous est proposé ne deviendra pas obligatoire si c’est le bon vouloir du prince ?

Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et du groupe CRC-SPG.

Debut de section - PermalienPhoto de Bernard Frimat

Monsieur le président, je me réjouis que la conférence des présidents ait organisé le débat sur cet article à un moment opportun afin qu’il se déroule dans de bonnes conditions.

L’article 13 du projet de loi organique crée la possibilité de recourir à un crédit-temps global et de mettre aux voix un amendement sans qu’il ait été présenté, et donc discuté.

La loi organique dont nous discutons, comme toutes les lois organiques, sera transmise au Conseil constitutionnel. Je suppose que, dans ce cadre, tous nos débats feront l’objet d’une lecture attentive. Or j’ai la profonde conviction que l’exercice du droit d’amendement exige, pour qu’il soit considéré dans sa plénitude, que la présentation de l’amendement en séance publique soit effectuée. Cette présentation n’est à mon avis pas détachable du droit d’amendement.

Peut-on accepter que, lors d’un débat, les parlementaires voient leur activité limitée à la lecture d’amendements non défendus par leurs auteurs, auxquels on aurait retiré toute possibilité de convaincre leurs collègues, et au vote sans discussion ? Ce serait une atteinte profonde au droit d’amendement.

La présentation est-elle détachable du droit d’amendement ou en est-elle une partie constitutive ? Je serais heureux que le Conseil constitutionnel réponde à cette question.

Ma deuxième question a trait au crédit-temps global.

En effet, une telle disposition limitera par nature le nombre d’amendements qu’un parlementaire pourra défendre. Quelle que soit la « générosité » avec laquelle sera attribué ce crédit-temps, les groupes dont l’effectif est faible, même si on les favorise, disposeront d’un temps de parole nettement moins important que les autres groupes. Par conséquent, pour pouvoir défendre tous leurs amendements, devront-ils en déposer moins ?

Les parlementaires, pour exercer la plénitude de leur mandat, doivent avoir le temps de défendre tous leurs amendements. Or, compte tenu du crédit-temps, ils n’auront pas cette faculté. En fait, le projet de loi organique prévoit, sous une forme déguisée, une limitation du nombre d’amendements pouvant être présentés par un parlementaire ! Cela aussi est anticonstitutionnel, à mes yeux.

J’en viens à ma troisième question : le droit d’amendement étant individuel, au nom de quoi pourrait-on enfermer un parlementaire dans le temps imparti à son groupe, d’autant que personne n’est obligé d’appartenir à un groupe politique ?

Le Sénat a la sagesse d’accorder à chaque parlementaire un temps de parole de cinq minutes pour une explication de vote et de cinq minutes pour la présentation d’un amendement. Avec l’instauration d’un temps global, comment le droit individuel de chaque parlementaire sera-t-il respecté ? La loi organique va donc le bafouer. Cette disposition est également susceptible, à mon avis, d’encourir la censure du Conseil constitutionnel.

Voilà les trois points de droit sur lesquels nous aurons l’occasion de revenir dans le débat, débat dont je souhaite qu’il continue à se dérouler dans la sérénité.

Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et du groupe CRC-SPG, ainsi que sur certaines travées du RDSE.

Debut de section - PermalienPhoto de Louis Mermaz

Monsieur le président, monsieur le secrétaire d’État, mes chers collègues, quand tant de questions nous assaillent – la crise, le chômage, la situation qui se détériore aux Antilles, l’indépendance de la France à l’égard de l’OTAN, la justice, les prisons, le sort fait aux libertés publiques (M. Jean-Pierre Sueur acquiesce.) –, certains pourraient se demander ce que nous faisons là. On pourrait croire que ce débat est de pur juridisme, mais il n’en est rien !

Pour le démontrer, je remonterai non pas à la cour des pharaons, mais seulement à la Révolution française. À l’époque où celle-ci commence à s’essouffler, après Thermidor, démarrent les combats autour du droit d’amendement. C’est dire comme la défense des droits du Parlement – sujet universel – est vieille comme la République, même si elle concerne aussi parfois les régimes qui ont renversé la République.

À la fin du XVIIIe siècle, le Directoire voulut restreindre les pouvoirs très importants du Corps législatif, composé de deux assemblées, et s’introduire dans le domaine législatif. Cela a certainement préparé, après des coups d’État secondaires, le coup d’État décisif du 18 brumaire et l’instauration du Consulat.

À cette époque, le Conseil d’État, qui n’a rien à voir avec notre actuelle haute juridiction, prépare les projets de loi et les présente devant le Corps législatif. Le Tribunat, composé de cent députés, discute les projets de loi du Gouvernement, mais n’a surtout pas le droit de les amender. Le Corps législatif, composé de trois cents membres, vote les lois sans pouvoir les discuter. Le Sénat conservateur surveille de près le fonctionnement des assemblées.

La constitution de l’An X, qui instaure le Consulat à vie, abaisse un peu plus les assemblées et confirme le pouvoir de contrôle du Sénat, dont les membres sont très largement nommés par Bonaparte lui-même.

Avec la proclamation de l’Empire, en 1804, et la constitution de l’An XII, les choses deviennent encore plus simples : le Tribunat est supprimé par le Sénat, et le Corps législatif obtient un droit de parole, mais à huis clos.

Sous la Restauration, seul le roi a l’initiative des lois et peut s’opposer à leur promulgation. Il peut refuser tout amendement qui ne lui convient pas. Cependant, l’évolution du droit d’amendement commence à cette époque, où l’on a même parfois le droit de contrôler, de critiquer le gouvernement, ce que ne permettent pas les fameuses résolutions dont nous avons débattu récemment …

Sous la Monarchie de Juillet, après d’âpres batailles parlementaires, les Chambres arrachent un droit d’amendement dont elles usent à nouveau pour critiquer le Gouvernement, pour faire de la politique en somme. C’est probablement pourquoi les résolutions parlementaires inquiètent autant le Gouvernement aujourd’hui …

Après l’intermède de la IIe République, la constitution du 14 janvier 1852, au lendemain du coup d’État de Louis-Napoléon Bonaparte, reprend largement les termes de la constitution de l’An VIII. Le Conseil d’État examine les amendements du Corps législatif, celui-ci n’ayant guère le droit de se mêler des affaires politiques. Sa faculté d’amendement est ainsi réduite. La tribune est même supprimée, monsieur le président, afin d’éviter les « éloquences » jugées superfétatoires par le pouvoir d’alors.

Quant au Sénat, plus que jamais, il contrôle les autres chambres et la législation. D’ailleurs, tenez-vous bien, mes chers collègues, on parlait à l’époque non pas des « dignitaires » du Sénat, mais des « illustrations ».

Sourires

Debut de section - PermalienPhoto de Louis Mermaz

Le décret du 24 novembre 1860 créé les premiers ministres chargés des relations avec les Chambres. Voilà que votre ancêtre apparaît, monsieur Karoutchi.

Sourires

Debut de section - PermalienPhoto de Louis Mermaz

Pour conclure, je dirai qu’il faudrait expliquer aux nombreux élèves qui se pressent dans la salle des Conférences du Sénat que le trône de Napoléon, gloire française, n’est pas celui d’un fondateur de la démocratie !

Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et du groupe CRC-SPG, ainsi que sur certaines travées du RDSE.

Debut de section - PermalienPhoto de Yves Daudigny

Monsieur le président, monsieur le secrétaire d’État, mes chers collègues, en remportant les élections sénatoriales dans l’Aisne, en septembre dernier, j’ai cru gagner le droit de participer de manière effective à l’élaboration des lois et de m’exprimer personnellement à cette fin dans cette enceinte nationale. J’imaginais bien que, à l’instar de nos assemblées locales, ma liberté d’expression s’exercerait dans le cadre des seules limites nécessaires à la tenue d’un débat démocratique.

Nouvel élu, j’ai découvert, lors des premiers textes dont notre assemblée a été saisie au début de la session, que la quantité impressionnante de projets inscrits à l’ordre du jour ainsi que l’urgence déclarée sur presque tous ces textes réduisaient nécessairement les temps de réflexion et de débat parlementaires. Les ministres agitent frénétiquement les réformes au rythme où défile l’actualité, soumettant nos assemblées à un tempo effréné et ininterrompu. Cette fébrilité, ce prurit législatif relèvent-ils d’une méthode stroboscopique destinée à aveugler et à tétaniser le législateur ?

Il serait peut-être de meilleure politique que le Gouvernement, qui maîtrise notre ordre du jour, modère ce staccato au profit de textes plus réfléchis sur le long terme, mieux préparés, mieux rédigés et, par là même, plus utiles, étant entendu en outre que le rythme de publication des décrets nécessaires à l’application de ces lois est loin de suivre celui de leur adoption. Quel baptême en tout cas !

J’ai aussi découvert que le Gouvernement disposait, dans nos enceintes parlementaires, d’un arsenal impressionnant pour contraindre le droit d’amendement et le droit d’expression en séance publique : irrecevabilité financière de l’article 40, irrecevabilité matérielle de l’article 41, vote bloqué de l’article 44, troisième alinéa, auquel s’ajoute l’article 49, troisième alinéa – il subsiste, même si c’est de manière limitée –, utilisation positive de la question préalable, demande de seconde délibération, et j’en passe.

Le Gouvernement n’est donc empêché de rien. L’exécutif dispose de tous les moyens pour passer outre l’opposition parlementaire et pour faire adopter ses projets, sans compter les propositions de loi ou les amendements téléguidés. Et il utilise effectivement ces moyens ! Preuve en est le nombre exponentiel de textes de loi publiés. Preuve en est encore, de manière caricaturale avec cet article 13 qui prétend nous faire taire, le vote bloqué imposé à l’Assemblée nationale.

La révision constitutionnelle du 21 juillet 2008 tendait à rééquilibrer les droits du Parlement. Or je découvre, abasourdi, que ce deuxième projet de loi organique autorise la présentation et le vote de résolutions qui ne sont pas normatives, qui ne peuvent être amendées, qui ne peuvent mettre en cause le Gouvernement ou lui adresser une injonction, et dont la recevabilité dépend du Premier ministre. Il prévoit également d’assortir les projets du Gouvernement d’études d’impact apparemment univoques. Il permettrait surtout de voter les projets de loi sans les discuter. Voila ce que je n’imaginais pas !

Si l’on en croit le discours officiel, cet article 13 se justifierait « parce que l’obstruction est devenue un instrument trop systématique et que cette pratique contribue à distendre le lien entre les citoyens et leurs représentants ».

Le débat d’amendement est en réalité la seule arme dont disposent les parlementaires pour alerter nos concitoyens. Le contrat première embauche, ou CPE, en est un magnifique exemple. Voilà une « obstruction » constructive, un usage du débat parlementaire qui a œuvré dans l’intérêt général et qui a prouvé la force de nos liens avec nos concitoyens face à un pouvoir qui n’a de cesse d’abolir tout ce qui pourrait constituer un contre-pouvoir. Alors, ne venez pas m’expliquer que vous voulez faire taire le législateur en séance publique pour le faire mieux entendre à l’extérieur !

Nous avons pris bonne note des engagements de M. le président du Sénat et de M. le président de la commission des lois de ne pas faire application de l’article 13 ici. Cependant, permettez-moi de ne pas être rassuré : qu’en sera-t-il demain ?

Personne ne conteste le fait que le droit d’amendement est individuel et imprescriptible, et qu’il ne faut pas y toucher. Il est donc pour le moins paradoxal d’appeler à voter conforme une disposition qui y porte atteinte et de dire dans le même temps qu’on ne l’appliquera pas. Ce principe constitutionnel ne vaudrait-il donc que pour le Sénat ? Ce qui serait contraire aux droits du Parlement le serait ici et pas là-bas ?

Cette assertion qui relève de l’oxymoron devient décidément une spécialité. C’est une autre conception du rôle des assemblées que je défends et que vous devriez également soutenir, mes chers collègues, sauf à marquer l’histoire parlementaire d’un lamentable sabordement.

Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et du groupe CRC-SPG.

Debut de section - PermalienPhoto de Éliane Assassi

Monsieur le président, monsieur le secrétaire d’État, mes chers collègues, soyons clairs : le projet de loi organique qui nous est soumis, en particulier son article 13, a fait couler beaucoup d’encre. C’est à juste titre, car il touche aux libertés publiques. Il serait donc souhaitable que notre discussion soit franche et fasse fi de toute hypocrisie ou tentative de dissimulation des réelles intentions des uns ou des autres.

Aux termes de l’article 13, « les règlements des assemblées peuvent, s’ils instituent une procédure impartissant des délais pour l’examen d’un texte en séance, déterminer les conditions dans lesquelles les amendements déposés par les membres du Parlement peuvent être mis aux voix sans discussion ». Le projet est donc sans équivoque : il offre la possibilité à une assemblée de n’autoriser que le dépôt des amendements et de refuser leur présentation.

Ce constat peut paraître simple, mais il mérite d’être précisé et entendu, car, du dépôt du rapport du comité présidé par M. Balladur aux débats de Versailles jusqu’à ce jour, le Gouvernement, notamment par votre entremise, monsieur le secrétaire d’État, a toujours tenté de faire croire que le simple fait de pouvoir déposer un amendement suffisait au respect de l’article 44 de la Constitution, qui, aujourd’hui encore, affirme le droit d’amendement comme un droit individuel et imprescriptible des parlementaires si, conformément à la jurisprudence du Conseil Constitutionnel, il est effectivement assuré.

Monsieur le secrétaire d’État, le 28 mai 2008, vous répondiez ainsi à l’un de nos collègues de l’Assemblée nationale : « Sincèrement, je ne sais plus dans quelle langue m’exprimer pour vous faire comprendre que vous aurez non seulement la possibilité de déposer et de discuter – puisque c’est le mot que vous vouliez entendre – des amendements […]. »

Saviez-vous alors que vous défendriez quelques mois plus tard avec passion, conviction, voire acharnement, un projet de loi organique ouvrant la voie à l’adoption d’amendements « sans discussion » ?

L’alternative est simple : soit, vous avez manipulé le Parlement à l’occasion de la révision constitutionnelle

Protestations sur les travées de l ’ UMP

Debut de section - PermalienPhoto de Éliane Assassi

, soit vous vous êtes fait manipuler au printemps dernier !

Mêmes mouvements.

Debut de section - Permalien
Roger Karoutchi, secrétaire d'État chargé des relations avec le Parlement

C’est lamentable !

Debut de section - PermalienPhoto de Éliane Assassi

Vous n’étiez d’ailleurs pas le seul à dissimuler les véritables intentions du Gouvernement.

Debut de section - Permalien
Roger Karoutchi, secrétaire d'État

Restez dans votre rôle, je resterai dans le mien !

Debut de section - PermalienPhoto de Éliane Assassi

Le même jour, Mme Rachida Dati affirmait ceci : « Je tiens à vous rassurer, le Gouvernement n’a pas l’intention de remettre en cause le droit d’amendement. Non seulement les amendements pourront être librement déposés, mais ils pourront être réexaminés en séance. »

M. Warsmann lui-même, qui fait pourtant de son combat contre ce qu’il appelle « l’obstruction » une question prioritaire, indiquait : « On ne touche pas au droit de déposer des amendements et ceux-ci viendront en séance et y seront discutés ».

Ces citations ne sont pas superflues. Elles éclaircissent notre débat et doivent éclairer le Conseil constitutionnel. Si le constituant a autorisé à légiférer sur une telle base, le droit d’amendement sera intégralement respecté ; cela signifie tout simplement que l’article 13 n’est conforme ni à la lettre ni à l’esprit de la Constitution et de nos institutions.

M. Warsmann, toujours, écrivait à la page 25 de son rapport sur la révision constitutionnelle : « il faut s’interroger sur le principe constitutionnel réservant au parlementaire le droit personnel de déposer des amendements et de les défendre ». Cette interrogation du président de la commission des lois de l’Assemblée nationale est un aveu : le droit d’amendement, c’est le droit d’en débattre.

Il poursuivait d’ailleurs, à la page 26 de son rapport : « on peut légitimement se demander si la protection de l’exercice effectif du droit d’amendement ne s’étend pas également à sa présentation. »

L’article 13 est donc contraire aux principes fondamentaux de notre droit. Le droit d’amender, le droit de multiplier les amendements pour alerter l’opinion et pour résister à une mesure estimée dangereuse, le droit d’opposition puisent leur source dans l’article II de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen, qui prône le droit à l’insurrection.

Je conclurai sur une remarque plus politique : qui peut reprocher aujourd’hui aux parlementaires communistes d’avoir mené à l’Assemblée nationale et au Sénat une bataille parlementaire pour préserver notre système de retraite par répartition ? Cette bataille, avec la mobilisation des acteurs sociaux, a permis de freiner l’ambition de M. Fillon – il ne se prévaut guère de cet épisode aujourd’hui – visant à soumettre les retraites à la loi du marché et des fonds de pension. Ce reproche, ce ne sont certainement pas les retraités ou les futurs retraités qui constatent avec inquiétude le sort de leurs homologues américains ou anglais qui le feront !

Applaudissements sur les travées du groupe CRC-SPG et du groupe socialiste.

Debut de section - PermalienPhoto de Josiane Mathon-Poinat

Monsieur le président, monsieur le secrétaire d’État, mes chers collègues, l’article 13 de ce projet de loi organique constitue un pas significatif vers la présidentialisation du régime, avec cette particularité que cette dernière se fonde non pas sur le respect du principe de la séparation des pouvoirs, mais sur une soumission croissante du pouvoir législatif aux objectifs de l’exécutif.

Cela a été maintes fois rappelé, l’objectif est l’efficacité, la modernité, l’adaptation au monde qui nous entoure. Cette pensée dogmatique de l’efficacité et de la modernité devrait pourtant être maniée avec précaution, car c’est elle qui nous a menés au bord du gouffre.

M. Balladur présentait ses réflexions dans un chapitre intitulé « Moderniser le droit d’amendement ». Moderniser, c’est sans doute, pour la première fois depuis le Consulat, la Restauration, le second Empire ou Vichy, s’attaquer au fondement de la démocratie parlementaire, à savoir le droit d’expression même des parlementaires.

Selon M. Balladur, la procédure dite du « crédit temps » permettrait de limiter l’obstruction parlementaire.

Avant d’examiner les dispositions de l’article 13, il convient de s’arrêter quelques instants sur cette question de l’obstruction. Qui dénature l’activité des assemblées ? Qui pénalise le travail législatif ? Les parlementaires qui exercent leur droit constitutionnel d’amendement ou le Gouvernement qui multiplie les projets de loi aboutissant à une inflation législative incontrôlable, pour ne pas dire incontrôlée ?

Monsieur le secrétaire d’État, comment pouvez-vous parler d’obstruction alors que vous vous êtes vanté devant les députés d’avoir fait adopter par le Parlement cinquante-quatre projets de loi en un an, soit un par semaine, vacances comprises ?

Debut de section - PermalienPhoto de Josiane Mathon-Poinat

Mme Josiane Mathon-Poinat. Pourtant, pour l’année 2006-2007, seuls 10 % des décrets nécessaires à l’application des lois votées ont été pris.

M. le secrétaire d'État proteste.

Debut de section - PermalienPhoto de Josiane Mathon-Poinat

L’inflation législative est l’une des principales raisons de l’affaiblissement du rôle du Parlement, inflation législative alimentée, pour une bonne part, par la transposition massive des normes européennes.

L’affaiblissement du rôle du Parlement, n’en déplaise aux présidents de la commission des finances et de la commission des affaires sociales, c’est aussi la réduction des pouvoirs en matière budgétaire, qui aboutit à transformer les assemblées en chambres d’enregistrement.

L’utilisation du droit d’amendement a symbolisé, en 1980, le retour de l’initiative parlementaire. Dans une constitution privant les assemblées d’un réel pouvoir d’initiative, l’amendement est devenu un outil d’expression majeur du Parlement, à gauche comme à droite, selon l’étiquette politique du Gouvernement : il permet de présenter une proposition, de la soumettre au vote, mais également de manifester une vive opposition.

Monsieur le secrétaire d’État, vous évoquez souvent avec nostalgie la période, antérieure à 1969, où le temps global s’appliquait à l’Assemblée nationale. Faut-il vous rappeler que c’est à cette époque qu’est née la fameuse expression « parlementaires godillots » ?

L’obstruction, que vous dénoncez tant, a surtout été développée par la droite parlementaire, précurseur en la matière. La loi de nationalisation, la loi sur l’enseignement supérieur ou la loi sur la presse furent l’objet de milliers d’amendements déposés par l’opposition d’alors, devenue aujourd’hui majoritaire.

L’amendement n’était d’ailleurs pas le seul moyen. En 1981, sur les nationalisations, la droite fut la première à utiliser de manière massive le rappel au règlement en en présentant cent huit.

Faut-il donc s’inquiéter des longs débats parlementaires ? Les grands textes qui régissent encore aujourd’hui notre société, comme les lois relatives à l’école ou à la liberté de la presse, ont nécessité plus d’un an de débat.

Aujourd’hui, un débat qui dure une semaine paraît excessif ; s’il dépasse quinze jours, il devient presque intolérable et s’apparente à une déstabilisation de l’exécutif !

Vous avancez des chiffres importants : 11 853 amendements sur le projet de loi portant sur les retraites, 137 665 amendements pour le projet de loi sur la privatisation de Gaz de France, 14 888 amendements sur le projet de loi relatif à La Poste. Or les débats n’ont jamais dépassé un mois, les outils de restriction du droit d’amendement étant déjà très nombreux, de l’irrecevabilité à la clôture des débats, en passant par l’ajout inopiné de séances.

Sur le contrat première embauche, le CPE, nous avions même siégé à l’heure de la messe, le dimanche matin ! Sur ce texte comme sur d’autres, n’aurait-il pas mieux valu prendre le temps du débat ?

Nous réfutons donc cet argument démagogique qui confine à l’antiparlementarisme.

Debut de section - PermalienPhoto de Jean-Pierre Sueur

Mais c’est très intéressant, monsieur le président !

Debut de section - PermalienPhoto de Josiane Mathon-Poinat

Mme Josiane Mathon-Poinat. Pour nous, l’initiative parlementaire est le corollaire indispensable de la démocratie, et le droit d’amendement en est le socle.

Applaudissements sur les travées du groupe CRC-SPG et du groupe socialiste.

Debut de section - PermalienPhoto de Pierre-Yves Collombat

Monsieur le président, monsieur le secrétaire d’État, mes chers collègues, aux termes de l’article 27 de la Constitution, « le droit de vote des membres du Parlement est personnel ». À un droit de vote « personnel » doit normalement correspondre un droit d’expression sur son vote du même ordre. C’est de la suppression de ce droit qu’il est ici question, sous prétexte qu’il peut en être fait mauvais usage.

Ainsi, l’« obstruction » de la procédure parlementaire consécutive à cette inflation verbale serait, nous dit-on, à ranger au rang des « pathologies » du parlementarisme. Certes, mais ne prenons pas le symptôme pour la maladie !

L’obstruction n’est pas une maladie facilement curable par des mesures réglementaires, elle est le symptôme d’une maladie bien plus profonde du parlementarisme français : la réduction comme peau de chagrin du pouvoir dont le Parlement est, en principe, détenteur.

Le parlementarisme « rationalisé » s’est progressivement fait parlementarisme « lyophilisé ». Que l’on me cite une seule disposition non secondaire que le Parlement a pu imposer à l’exécutif ! L’arsenal dissuasif de celui-ci et ses possibilités de contournement sont immenses. Il y a les moyens classiques constitutionnels – je vous en fais grâce – et les autres.

Je citerai deux exemples particulièrement clairs du peu de cas que l’exécutif fait de la prétendue « volonté » du législateur.

Tout récemment, il y eut l’injonction du Président de la République au conseil d’administration de France Télévisions de se passer de recettes publicitaires, alors même que le Parlement en débattait.

Il n’y a pas si longtemps, Jacques Chirac décidait de ne pas appliquer la loi instituant le CPE, alors même qu’elle avait été votée avec l’enthousiasme et la lucidité que l’on sait par sa majorité, et qu’il l’avait promulguée. Avouez qu’il est difficile de faire mieux !

On comprend que, dans ces conditions, pour le Gouvernement et ses zélotes, la discussion parlementaire ne soit que du temps perdu. Il faut certes sauver les apparences, mais pas plus.

L’efficacité du travail parlementaire – entendez par là la correction des fautes de syntaxe, de codification et l’élagage des pousses les plus calamiteuses des projets de loi – serait à ce prix, d’autant que l’essentiel du travail serait désormais fait en commission.

Privé du pouvoir de peser réellement sur le cours des choses par l’exercice régulier des prérogatives qui lui sont théoriquement reconnues, que peut faire le Parlement sinon exercer son pouvoir tribunicien, le seul qui lui reste ? Là est l’origine de l’obstruction parlementaire : une manière de se faire entendre du Gouvernement en prenant l’opinion à témoin, seule chose à laquelle celui-ci est parfois sensible.

Réduire le pouvoir d’expression des parlementaires sans changer la situation en profondeur est un remède pire que le mal, mais dans la logique d’un système qui n’a plus de parlementaire que le nom. Sa dénomination n’existe pas encore, mais l’expression qui le désigne le moins mal serait, selon moi, celle de « régime consulaire ».

Empêcher les représentants du peuple de parler a toujours été, comme l’a rappelé Louis Mermaz, la tentation des régimes consulaires.

Pour la constitution de l’an VIII, « le Corps législatif fait la loi en statuant par bulletin secret, et sans aucune discussion de la part de ses membres ». Que voilà des constituants efficaces ! Puisque, disait Sieyès, « la confiance doit venir d’en bas et le pouvoir d’en haut », inutile de parler pour manifester sa confiance.

Cette volonté de réduire autant que faire se peut le Parlement à un rassemblement de muets est la suite logique d’une révision constitutionnelle censée renforcer ses pouvoirs alors qu’elle marque une étape de plus vers un régime de type consulaire. En reconnaissant un droit de message au Président de la République, celle-ci consacre son rôle de chef de Gouvernement sans responsabilité, mais avec le droit de dissolution. Détenteur de la totalité du pouvoir exécutif, il dispose aussi, à travers ses ministres, d’un réel pouvoir de conduite du processus législatif et, , de l’arme absolue : la dissolution.

Votre tentative de nous faire taire, monsieur le secrétaire d’État, me fait penser à ces sourds qui ne supportent pas que d’autres puissent parler : n’entendant pas ce qu’ils disent, ils en déduisent qu’ils ne disent rien !

Bravo ! et applaudissements sur les travées du groupe socialiste et du groupe CRC-SPG.

Debut de section - PermalienPhoto de Michel Mercier

Monsieur le président, monsieur le secrétaire d’État, mes chers collègues, tout au long de l’histoire de la Ve République, y compris à l’occasion de la réforme constitutionnelle du 23 juillet 2008, le droit d’amendement s’est affirmé comme étant un droit individuel constitutionnellement garanti à tout parlementaire ainsi qu’au Gouvernement. Ce droit est garanti par le Conseil constitutionnel.

L’article 13 dont nous débattons aujourd'hui vise à organiser la discussion parlementaire en permettant la mise en œuvre d’un temps global de discussion. Pourquoi pas ? Il en résulterait néanmoins une limitation du droit d’amendement une fois les délais écoulés.

Quelles sont, brièvement évoquées, les composantes du droit d’amendement dans notre droit public ? C’est la Ve République, avec l’article 44 de la Constitution de 1958, qui a constitutionnalisé le droit d’amendement. Avant, ce droit découlait de l’initiative des lois que reconnaissaient au Parlement les constitutions républicaines depuis 1875.

Le droit d’amendement est devenu essentiel. Le président du Sénat estime qu’il s’agit d’un droit « consubstantiel » au statut de parlementaire, et nous ne pouvons qu’adhérer à cette définition.

Debut de section - PermalienPhoto de Michel Mercier

Le président de l’Assemblée nationale a déclaré ceci : « Il n’y aura jamais, de ma part, de volonté de contenir ou de limiter en quoi que ce soit ce que je crois être l’un des droits les plus fondamentaux des parlementaires, le droit d’amendement ». Cela signifie qu’il n’y portera jamais atteinte.

Le droit d’amendement est devenu très important, et ce pour une raison très simple. Les textes législatifs devenant de plus en plus techniques, le droit d’initiative parlementaire est plus difficile à mettre en œuvre, ce qui n’est pas le cas du droit d’amendement.

L’objet même du droit d’amendement est devenu très large. À cet égard, la disposition que nous avons insérée au premier alinéa de l’article 45 de la Constitution va dans ce sens, puisqu’il est précisé que « tout amendement est recevable en première lecture dès lors qu’il présente un lien, même indirect, avec le texte déposé ou transmis ». Ce droit est donc fondamental ; il est au cœur de la vie parlementaire.

Monsieur le secrétaire d’État, il faut bien remarquer que les seules limites apportées au droit d’amendement sont de nature constitutionnelle. L’article 40 définit les irrecevabilités financières, l’article 41 concerne l’irrecevabilité matérielle, lorsque l’objet d’un amendement ne relève pas du domaine de la loi, le deuxième alinéa de l’article 44 fixe une irrecevabilité procédurale, afin de protéger le droit des commissions d’étudier tout amendement avant son examen en séance publique, et le troisième alinéa de ce même article autorise le Gouvernement à solliciter un vote unique sur l’ensemble d’un texte, ce que l’on appelle communément le « vote bloqué ».

Le droit d’amendement est si large que l’on y a adjoint le droit de sous-amendement, tout aussi essentiel. D’ailleurs, selon la jurisprudence du Conseil constitutionnel, ce dernier obéit aux mêmes règles que le premier.

Au demeurant, le Conseil constitutionnel a garanti à de très nombreuses reprises l’existence du droit d’amendement. Je pense par exemple à une décision du 3 juin 1986 par laquelle cette juridiction a précisé qu’il ne saurait être porté atteinte au droit d’amendement – cela vaut donc également pour le droit de sous-amendement – prévu par l’article 44 de la Constitution.

Il s’agit donc d’un droit constitutionnellement établi, qui, de mon point de vue, a deux composantes.

La première est le droit de présentation d’un amendement par son auteur. D’ailleurs, et cela a été souligné tout à l’heure, c’est ce qu’écrivait M. Jean-Luc Warsmann, président de la commission des lois de l’Assemblée nationale, dans son rapport sur le projet de loi organique. Il me semble donc inutile de continuer cette démonstration, qui est suffisamment parlante par elle-même.

La seconde composante est le droit de discussion et de vote en séance publique d’un amendement. Même lorsque le Gouvernement décide de recourir à la procédure de vote bloqué prévue par le deuxième alinéa de l’article 44, les amendements font l’objet d’une présentation et d’une discussion. Dans ce cas de figure, la seule différence réside dans le vote final, qui porte sur l’ensemble du texte en retenant seulement les amendements déposés ou acceptés par le Gouvernement.

Vous le voyez, le droit d’amendement est bien ancré dans notre droit public positif.

À cet égard, l’article 13 soulève, me semble-t-il, deux questions sur lesquelles je centrerai mon propos, mon collègue Pierre Fauchon intervenant tout à l’heure sur d’autres aspects de notre débat.

Premièrement, le droit d’amendement est un droit individuel. Chaque parlementaire peut déposer autant d’amendements qu’il le souhaite. Et même si l’institution d’un crédit-temps peut avoir ses partisans, peut-on appliquer une mesure collective à un droit individuel ? C’est un véritable problème.

Comme chacun peut déposer autant d’amendements qu’il le souhaite, il arrivera que des parlementaires soient empêchés de présenter ou de défendre certains de leurs amendements tout simplement parce que le temps de parole de leur groupe sera expiré, indépendamment de toute volonté d’obstruction. D’ailleurs, cette dernière notion est quelque peu difficile à définir. Où commence l’obstruction ? Au dépôt d’un seul amendement ou au dépôt de 10 000 amendements ? Vous en conviendrez, il y a un vaste éventail de possibilités entre ces deux options…

Deuxièmement, et il s’agit d’un problème très technique, supposons qu’un amendement soit appelé sans présentation ni discussion. J’indique d’ailleurs que, pour nous, il est impensable qu’un amendement ne soit pas présenté : dans notre esprit, un amendement appelé « sans discussion » fait quand même l’objet d’une présentation. Mais imaginons cependant que, faute de temps de parole, un amendement ne puisse pas être discuté. N’importe quel parlementaire appartenant à un groupe qui n’aurait pas épuisé son crédit-temps pourrait présenter un sous-amendement : nous nous retrouverions donc dans une situation où il serait interdit de discuter d’un amendement, mais pas du sous-amendement visant à le modifier ! Il y aurait là un véritable problème de constitutionnalité.

Les limites du droit d’amendement se trouvent toutes dans la Constitution, et nulle part ailleurs. Peut-on instituer une nouvelle restriction dans un texte qui ne serait pas de nature constitutionnelle ? Je souhaite connaître votre sentiment sur cette question, monsieur le secrétaire d’État.

Certes, le Conseil constitutionnel, qui sera amené à se prononcer sur le présent projet de loi organique, devra décider si le droit d’amendement s’applique dans les conditions qu’il a lui-même fixées ou si son exercice peut être modifié par une simple loi organique. Mais, en attendant, nous aimerions disposer d’une interprétation claire de l’article 13.

Applaudissements sur les travées de l ’ Union centriste, ainsi que sur quelques travées du groupe socialiste.

Debut de section - PermalienPhoto de François Marc

Monsieur le président, monsieur le secrétaire d'État, mes chers collègues, je tiens également à exprimer ici mes plus vives inquiétudes, voire mon indignation, à propos du présent projet de loi organique, qui a été déposé à l’Assemblée nationale le 10 décembre 2008. Je pense particulièrement à son article 13, qui vise à limiter sévèrement le droit d’amendement des parlementaires.

D’abord, je trouve pour le moins curieux qu’un projet de loi organique oriente dans le sens de la volonté présidentielle les dispositions relevant des règlements d’assemblées souveraines. À la vérité, il s’agit – nous l’avons bien compris – d’une habilité par laquelle le Gouvernement s’emploie à corseter les « nouveaux droits » qu’il prétendait octroyer au Parlement dans le cadre de la loi constitutionnelle du 23 juillet 2008. C’est très certainement l’opposition qui est visée. Beaucoup de parlementaires ayant voté la révision au moment du Congrès de Versailles s’en mordent aujourd'hui les doigts ; nous avons entendu des remarques en ce sens ici même. Après tout, n’ont-ils pas été victimes des tromperies du Gouvernement ? La question est posée.

En effet, en renvoyant systématiquement aux règlements des assemblées, le projet de loi organique fait de la majorité de chaque chambre l’exécutrice des basses œuvres. Ainsi, la qualification de « textes qui [se] prêtent à une procédure d’examen simplifié », formulation qui figurait dans le projet de loi initial, laissait les coudées franches au Gouvernement pour limiter les amendements sur presque tous les textes.

Pis encore, la possibilité pour les règlements d’imposer un délai pour l’examen d’un texte, assorti d’un vote sans discussion quand il sera expiré, autrement dit le « temps-guillotine », porte atteinte à l’essence même du parlementarisme.

Monsieur le secrétaire d’État, outre la volonté de réduire l’expression de l’opposition et de tenir en laisse votre majorité, la philosophie de l’article 13 contrevient à la dimension individuelle du droit d’amendement des parlementaires. Dois-je le rappeler, aux termes de l’article 44 de la Constitution, ce sont « les membres du Parlement » qui possèdent chacun le droit d’amendement ? La nouvelle procédure fait des groupes et des commissions, donc de votre majorité, les seuls véritables cadres des débats. Elle réduit le travail parlementaire à sa dimension la plus grégaire.

Certes, le travail des commissions est essentiel. Mais au nom de quel principe devrait-il primer sur les séances publiques ? La démocratie se vit au grand jour, et pas uniquement dans des cénacles de spécialistes. Les débats publics sur les amendements permettent la libre confrontation des arguments et la transparence des choix politiques.

Vous nous parlez d’obstruction pour justifier votre dessein. N’avez-vous pas pensé qu’il y va tout simplement du respect du débat démocratique ? Les juristes de cette assemblée connaissent bien le principe du contradictoire, cette règle procédurale en vigueur devant les tribunaux qui permet à chaque partie de faire droit à ses arguments dans les mêmes conditions. Comme diraient les latinistes, « audi alteram partem » : chaque partie doit être entendue, car du débat contradictoire naissent souvent les solutions les plus équilibrées.

C’est sûrement un hasard, mais ce projet de loi organique a été déposé à l’Assemblée nationale le 10 décembre, date anniversaire de l’élection de Louis-Napoléon Bonaparte comme président de la IIe République. Voilà un président qui a berné le peuple en prétendant défendre le suffrage universel ! Lui aussi affirmait garantir les fondements de la démocratie. Mais ses propos rassurants ont été démentis avec fracas deux ans plus tard, lors de son coup d’État. Et l’on sait en quelle estime il tint son Parlement durant son règne ! Plus généralement, monsieur le secrétaire d’État, vous observerez que, au cours de l’histoire des parlements, la limitation du droit d’amendement a été la marque des régimes autoritaires.

Monsieur le secrétaire d’État, ne vous trompez pas de siècle ! Retirez l’article 13 tant qu’il est encore temps! La chambre haute à laquelle nous appartenons n’aspire pas à devenir un Sénat impérial !

Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et du groupe CRC-SPG, ainsi que sur certaines travées du RDSE.

Debut de section - PermalienPhoto de Jean-Patrick Courtois

Monsieur le président, monsieur le secrétaire d'État, mes chers collègues, l’article 13 du projet de loi organique permet aux règlements des assemblées d’attribuer une durée programmée à certains débats législatifs.

L’objectif visé est de mieux organiser les débats, et non de réduire le temps d’examen d’un texte en séance.

L’enjeu essentiel est que le Parlement ne soit pas paralysé et incapable d’accomplir sa mission essentielle de législateur. Ainsi, quatre constats peuvent être dressés.

Premier constat, la loi organique n’impose rien. Elle ouvre simplement une voie que les assemblées pourront choisir d’emprunter ou non lors de la réforme de leur règlement respectif.

L’objet ultime du projet de loi organique est de permettre à chaque assemblée de fonctionner au mieux, conformément à ses souhaits, à ses traditions et à ses propres règles.

La Haute Assemblée ne connaît pas dans la même mesure les situations d’obstruction auxquelles l’Assemblée nationale peut être confrontée.

Chacun l’aura bien compris, le Sénat, contrairement à l’Assemblée nationale, n’a nullement l’intention d’introduire dans son règlement le temps de parole global.

Il eût sans doute été préférable que nous opérions un autre choix, car la nouvelle procédure nous aurait permis de recentrer nos débats autour des sujets fondamentaux qui engagent le destin de notre pays.

Exclamations sur les travées du groupe socialiste et du groupe CRC-SPG.

Debut de section - PermalienPhoto de Jean-Patrick Courtois

Personne ne peut aujourd’hui contester le besoin de rationalisation du travail parlementaire, en particulier des débats. Nos collègues de l’opposition l’ont d’ailleurs réclamé à plusieurs reprises lorsqu’ils étaient dans la majorité, et ils avaient raison de le faire.

Avec l’ordre du jour partagé, il nous faudra traiter en quinze jours les textes que nous discutons aujourd’hui en un mois. L’agenda parlementaire devra être beaucoup plus prévisible, faute de quoi le système tout entier risque d’être menacé de paralysie.

Il me paraît également essentiel de rendre nos débats plus concis et lisibles dans la mesure où, innovation capitale, nous discuterons en séance publique du texte issu des travaux de la commission, et non plus du texte présenté par le Gouvernement. Il ne faudrait pas que l’on assiste à une répétition du débat de commission en séance. Ce serait tout à fait dommageable.

Deuxième constat, contrairement à ce qu’ont pu marteler nos collègues de l’opposition, la procédure établissant la durée programmée des débats n’est pas antidémocratique. En effet, une telle procédure n’est pas inconnue de l’histoire institutionnelle française. Elle a été mise en œuvre à l’Assemblée nationale de 1935 à 1969.

Debut de section - PermalienPhoto de Jean-Patrick Courtois

M. Jean-Patrick Courtois. Par ailleurs, en 2007, notre collègue Jean-Pierre Bel, président du groupe socialiste, avait lui-même suggéré d’introduire un tel dispositif dans sa proposition de loi tendant à réviser la constitution du 4 octobre 1958 afin de rééquilibrer les institutions en renforçant les pouvoirs du Parlement.

Exclamations sur les travées du groupe socialiste.

Debut de section - PermalienPhoto de Jean-Patrick Courtois

Troisième constat, cette procédure existe dans les parlements des démocraties modernes et, au premier chef, au parlement britannique, au congrès espagnol, …

Debut de section - PermalienPhoto de Jean-Patrick Courtois

… ou encore au Parlement européen, qui ne sont pas considérés comme des mauvais exemples de démocratie.

Quatrième constat, cette procédure n’entrave pas le droit d’amendement. Les parlementaires pourront toujours déposer des amendements en commission, puis en séance. Le projet de loi organique prévoit que, si la durée programmée des travaux est achevée, les amendements seront mis au vote, quoi qu’il arrive.

Ainsi, la possibilité pour les règlements des assemblées d’introduire une durée programmée des débats est conforme à la Constitution. Elle n’est en rien antidémocratique, d’autant plus que les nouveaux articles 13 bis et 13 ter imposent expressément le respect des droits de l’opposition, ainsi que le droit d’explication de vote personnelle.

Pour l’ensemble de ces raisons, le groupe UMP votera les articles 13, 13 bis et 13 ter.

Exclamations ironiques sur les travées du groupe socialiste et du groupe CRC-SPG.

Debut de section - PermalienPhoto de Charles Gautier

Nous voilà rassurés ! Nous étions inquiets !

Debut de section - PermalienPhoto de Jean-Patrick Courtois

M. Jean-Patrick Courtois. En effet, il ne nous appartient pas de priver l’Assemblée nationale de la possibilité de recourir, si elle le souhaite, à de telles dispositions dans le cadre des garanties fixées par la loi organique.

Applaudissements sur les travées de l ’ UMP.

Debut de section - PermalienPhoto de Gérard Larcher

Monsieur Bel, je vous rappelle que l’article 36 du règlement du Sénat prévoit que la parole ne peut être accordée qu’en fin de séance au sénateur qui la demande pour un fait personnel.

Néanmoins, pour la clarté de nos débats et en vertu du pouvoir discrétionnaire du Président, à condition naturellement que votre intervention soit brève, je vous donne la parole.

Debut de section - PermalienPhoto de Jean-Pierre Bel

Merci, monsieur le président. Il est en effet plus simple de m’autoriser à répondre immédiatement à l’interpellation de notre collègue Jean-Patrick Courtois.

Il ne faut pas me faire dire ce que je n’ai pas dit ! J’ai en effet adressé à une candidate à la dernière élection présidentielle un rapport contenant des propositions, afin qu’elle puisse choisir celles qui l’intéressaient. Ce rapport faisait état de mesures qui s’imposaient, notamment la suppression du « 49-3 » sauf pour les lois de finances, la limitation des procédures d’urgence et la suppression du vote bloqué.

Cette rénovation profonde du travail parlementaire, qui entraînait un autre équilibre, permettait d’envisager une organisation du temps de parole en conséquence.

Mais les dispositions constitutionnelles dont nous envisagions la suppression étant aujourd'hui maintenues, il est abusif, monsieur Courtois, de prétendre que mes écrits justifieraient ce que vous proposez, c’est-à-dire la limitation du droit d’amendement pour chaque parlementaire. C’est là un argument qui n’est intellectuellement pas recevable, et un excès que je tiens à dénoncer.

Mes chers collègues, nous sommes adultes et capables de comprendre la nécessité d’un rééquilibrage. Mais, en l’absence de ce dernier, vos préconisations conduisent au contraire à accentuer le déséquilibre que nous connaissons depuis longtemps.

Très bien ! et applaudissements sur les travées du groupe socialiste, ainsi que sur certaines travées du RDSE.

Debut de section - PermalienPhoto de Gérard Larcher

La parole est à M. Jean-Pierre Sueur, sur l’article.

Debut de section - PermalienPhoto de Jean-Pierre Sueur

Monsieur le secrétaire d’État, il n’est pas besoin de solliciter de manière totalement inexacte les propos de notre ami Jean-Pierre Bel, comme vous l’avez fait récemment à propos de Léon Blum, pour défendre des thèses indéfendables. Et je tiens, monsieur Courtois, à m’élever contre l’hypocrisie que je perçois dans ce débat, et qui est d’ailleurs facile à percevoir.

Monsieur le président du Sénat, vous avez affirmé à de nombreuses reprises que vous étiez attaché au droit d’amendement et qu’il était hors de question d’y porter atteinte. À l’instant, M. Mercier a dit la même chose, et, avant lui, M. le secrétaire d’État et M. Warsmann.

Alors, mes chers collègues, parlons vrai : si vous êtes attachés au droit d’amendement, …

Debut de section - PermalienPhoto de Jean-Pierre Sueur

… à la possibilité – et je souscris entièrement à vos propos, monsieur Mercier – de déposer des amendements, de les présenter, …

Debut de section - PermalienPhoto de Jean-Pierre Sueur

… d’expliquer votre vote et puis de voter, …

Debut de section - PermalienPhoto de Jean-Pierre Sueur

M. Jean-Pierre Sueur. … ce droit est de toute évidence contradictoire avec l’article 13.

M. le rapporteur proteste.

Debut de section - PermalienPhoto de Jean-Pierre Sueur

Je dis bien que c’est contradictoire !

Pour ma part, comme j’ai eu l’occasion de l’indiquer lors des réunions du groupe de travail que vous avez bien voulu organiser, monsieur le président, si nous voulons faire preuve de logique, de clarté d’esprit et réagir avec évidence, on ne peut, d’une part, affirmer que nous pourrons défendre les amendements, en discuter, que c’est un droit individuel permettant à chacun de s’exprimer, et, d’autre part, dire que, à partir d’un certain moment, le débat sera terminé, que nous ne discuterons plus ni des articles ni des amendements, et que nous voterons dans le silence !

Si quelqu’un peut m’expliquer, ce soir, où est la cohérence entre ces deux affirmations, je lui en serai très reconnaissant.

Si personne ne le peut, et personne ne l’a fait, …

Debut de section - PermalienPhoto de Jean-Pierre Sueur

… alors, il ne faut pas voter l’article 13.

Et, de grâce, ne nous réfugions pas dans les petits arrangements en déclarant, comme M. Courtois : le problème se pose pour l’Assemblée nationale, certes, mais – rassurez-vous, mes chers collègues – pas pour le Sénat!

Mme Nicole Borvo Cohen-Seat rit.

Debut de section - PermalienPhoto de Jean-Pierre Sueur

Non ! Le Sénat vote la loi, qui s’applique à l’ensemble du Parlement et vaudra à l’avenir pour tous les parlements, ainsi que pour tous les gouvernements. Nous, sénateurs, sommes donc dépositaires de ce droit de nous exprimer, de ce droit d’amendement si précieux.

Mes chers collègues, si nous voulons que le Parlement soit le lieu où nous parlons de ce qui se passe dans la société, des souffrances des hommes et des femmes, des luttes sociales, des problèmes éthiques, des convictions, de tous les sujets qui ont fait l’objet des grands débats parlementaires au cours des trois dernières décennies, voire davantage, il faut que nous votions tous ensemble contre l’article 13.

Mais aucun argument ne peut justifier, si ce n’est au prix de contorsions que je qualifierai clairement d’hypocrites, de se déclarer pour le droit d’amendement tel que nous l’avons tous ensemble défini et vécu, tout en votant par ailleurs l’article 13. Ce n’est pas du tout cohérent !

Très bien ! et applaudissements sur les travées du groupe socialiste et du groupe CRC-SPG.

Debut de section - PermalienPhoto de Yannick Bodin

Monsieur le président, monsieur le secrétaire d’État, mes chers collègues, je voudrais dénoncer une incohérence majeure de la période que nous venons de vivre.

Au mois de juillet dernier, nous avons été convoqués en Congrès à Versailles, en vue de réviser la Constitution.

Debut de section - PermalienPhoto de Jean-Jacques Hyest

C’est généralement ce que l’on fait à Versailles !

Debut de section - PermalienPhoto de Yannick Bodin

L’objectif affiché par le Président de la République, le Premier ministre, son gouvernement et sa majorité, était de renforcer les droits du Parlement. C’était naturellement tentant !

Pourtant, nous étions un certain nombre à nous montrer méfiants. Aujourd'hui, la démonstration est faite que nous avions raison.

En effet, comment faire confiance au président du pouvoir d’achat et du « travailler plus pour gagner plus » et croire qu’il suffit de réviser la Constitution pour renforcer les pouvoirs du Parlement, quand, au retour de Versailles, se dresse au coin d’un bois un projet de loi organique qui, sous couvert de renforcer les droits du Parlement, nous invite à nous taire, après nous avoir octroyé un temps de parole limité tout de même ?

L’article 13 du projet de loi organique, en contradiction flagrante avec les principes énoncés lors de l’examen du projet de loi de révision constitutionnelle tant à l’Assemblée nationale et au Sénat qu’au Congrès de Versailles, apporte à lui seul la démonstration que le discours d’alors était un leurre.

M. le président du Sénat estime que le droit d’amendement est un droit « consubstantiel » au statut des parlementaires : c’est le droit de s’exprimer, de défendre une idée nouvelle et d’essayer de la faire partager.

On a même entendu affirmer par certains que le droit d’amendement était « sacré » pour les parlementaires. Mais les défenseurs de l’article 13 disent en substance : « le droit d’amendement est sacré, mais nous avons droit au sacrilège » !

Certes, monsieur le président, lors des réunions du groupe de travail sur la révision constitutionnelle et la réforme du règlement, nous avons entendu des propos à même de nous rassurer quant au règlement intérieur du Sénat applicable à partir du mois de mars. Mais de quelles garanties disposons-nous pour l’avenir, que ce soit d’ici à quelques mois ou à quelques années ?

Déclarer que l’Assemblée nationale peut s’organiser comme elle l’entend et que le Sénat peut faire ce qu’il veut, c’est oublier que les droits et les devoirs des députés et des sénateurs doivent être identiques et traités de la même façon.

Les évolutions à l’Assemblée nationale nous préoccupent autant que celles du Sénat. Dans cette optique, globaliser le temps de parole à l’Assemblée nationale ou au Sénat reviendrait à bafouer le droit d’amendement des parlementaires, tant au niveau des groupes qu’à titre individuel.

Supposons que le temps de parole accordé à un groupe soit épuisé après l’examen de son amendement n° 100 et que l’un de ses membres intervienne au motif que, ayant déposé l’amendement n° 101 et ne s’étant pas encore exprimé, il estime devoir bénéficier du droit que lui confère la Constitution de défendre son texte et de le faire voter : comment appliquer alors un tel règlement pour respecter le droit individuel et inaliénable de ce parlementaire ?

Je le dis résolument, il faut supprimer purement et simplement l’article 13, que vous allez traîner comme un boulet au pied.

À l’occasion de cet article 13, j’ai entendu les intervenants précédents se référer aux périodes de l’histoire où la démocratie était la plus malmenée. Je serais particulièrement peiné, comme nombre de mes collègues, de faire partie d’une assemblée à une époque où le Parlement n’a que le droit de se taire !

Bravo ! et applaudissements sur les travées du groupe socialiste et du groupe CRC-SPG, ainsi que sur certaines travées du RDSE.

Debut de section - PermalienPhoto de Claude Jeannerot

Monsieur le président, monsieur le secrétaire d’État, mes chers collègues, nombre de mes collègues l’ont dit avec éloquence et conviction, l’article 13 visant à fixer par avance la durée d’examen des textes n’est pas acceptable.

Mais revenons aux attendus proposés. L’exposé des motifs du présent projet de loi organique évoque l’objectif de renforcer l’efficacité du travail parlementaire pour améliorer la qualité de la loi. Cet objectif, nous le partageons évidemment, et c’est bien pourquoi nous récusons les dispositions proposées qui nous paraissent précisément contraires à celui-ci.

Le travail législatif exige réflexion, confrontation, échange. Il a besoin de temps et de distance. Ce n’est pas une tâche comme les autres. L’encadrer conduirait à coup sûr à nuire à sa qualité et à son efficacité et, par voie de conséquence à renforcer ce que nous connaissons déjà aujourd’hui, à savoir le caractère d’urgence de quasiment tous les textes. Le résultat serait donc pis que la situation actuelle.

Convenez-en, le fonctionnement d’aujourd’hui est loin d’être satisfaisant. Nous assistons déjà à une inflation législative forte. Le temps des annonces est de plus en plus rapide, au rythme d’une conjoncture elle-même de plus en plus folle.

Le temps parlementaire doit-il en être le reflet ? Sûrement pas ! La frénésie législative dans laquelle nous vivons actuellement conduit déjà à un déferlement de textes.

Pourtant, ce déferlement, présenté comme une nécessité d’agir vite, n’est pas synonyme d’efficacité. Jugez-en au résultat : pour l’année 2007-2008, le taux moyen de mise en œuvre des textes est de 24, 6 % ! On veut contraindre les parlementaires à aller vite, alors que le pouvoir réglementaire prend tout son temps. Aujourd’hui déjà, on marche à l’envers !

Mes chers collègues, en résumé, une seule raison justifie notre opposition. Cette raison est décisive : en réintroduisant la notion de temps global pour la discussion des textes, le Gouvernement remet en cause le pouvoir d’amender, c’est-à-dire de proposer une modification de la loi et d’en discuter devant l’opinion publique.

Y renoncer – de nombreux collègues se sont exprimés sur ce thème –, c’est revenir au Tribunat du premier Empire, qui approuvait les lois sans les discuter.

Le droit d’amendement des parlementaires n’est pas moins essentiel, il n’est pas moins sacré que la liberté d’expression des citoyens. Ces deux principes s’appellent et se complètent réciproquement. Attenter à l’un, c’est attenter à l’autre ! En d’autres termes, le droit d’amendement est par nature sans limite, absolu.

Debut de section - PermalienPhoto de Claude Jeannerot

C’est précisément pour cette raison qu’il permet d’améliorer les textes.

Mes chers collègues, référez-vous à l’expérience sénatoriale. Voyez comment s’est passé le débat sur le Grenelle de l’environnement. Nos discussions ont été de qualité précisément parce qu’elles étaient totalement libres et ouvertes.

A contrario, nous avons gardé le souvenir des conditions d’examen au Sénat du projet de loi relatif à la communication audiovisuelle et au nouveau service public de télévision. Ces conditions sont emblématiques de la volonté d’un pouvoir pressé et impatient de mettre en œuvre des réformes avant même qu’elles ne soient votées. Nous ne voulons plus de cela, mes chers collègues !

Nous avons le devoir de nous opposer au bâillonnement des parlementaires. Nous voulons imposer le temps des parlementaires, qui est celui de la libre confrontation, de l’analyse, de la contre-expertise, c’est-à-dire, en définitive, le temps de la démocratie !

Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et du groupe CRC-SPG, ainsi que sur certaines travées du RDSE.

Debut de section - PermalienPhoto de Raymonde Le Texier

Monsieur le secrétaire d'État, au travers de l’article 13, vous vous attaquez à la liberté de parole de l’opposition. Que vous la baptisiez « temps programmé » ou « rationalisation des débats », cette modification constitutionnelle vise à instituer le pouvoir de faire taire celui qui n’est pas d’accord avec vous !

Le pire est que rien ne justifie une telle remise en cause des droits de l’opposition. Depuis que Nicolas Sarkozy est élu, une nouvelle loi est votée tous les dix jours : c’est du jamais vu !

Debut de section - PermalienPhoto de Raymonde Le Texier

Ce que vous appelez « obstruction » n’est, dans les faits, qu’une mobilisation de l’opposition pour porter un débat. Chacun le sait, une telle mobilisation n’a jamais empêché l’adoption d’un texte.

Êtes-vous à ce point faibles et peu sûrs de vous pour vouloir, en plus de la maîtrise de la décision, le contrôle de la parole ?

Si ce qui motive ce projet de loi est, en revanche, le constat d’une production législative dont la profusion se fait au détriment de la qualité, si ce qui vous anime est le ras-le-bol face à des lois inappliquées parce qu’inapplicables, si vous êtes exaspérés de constater que le taux d’application des lois votées en urgence en 2007-2008 ne dépasse pas 10 % et que seules 55 % des mesures votées en 2006-2007 sont effectives, si vous refusez de continuer à traduire chaque fait divers en loi compassionnelle, alors il faut vous en prendre non pas à l’opposition, mais à la frénésie législative d’un Président de la République qui confond gesticulation et action, et réduit sa majorité au rang d’exécutants !

Que le Président de la République ne réussisse pas à prendre les dimensions de sa charge et vive comme une agression personnelle le fait que l’opposition porte des valeurs différentes, des convictions fortes et une parole autre serait risible si ce n’était pas aussi pathétique et dangereux.

Avoir réduit ses ministres au rang d’attachés de presse, évaluer leur compétence à leur dextérité à manier l’encensoir et leur avenir à la souplesse de leur échine ne lui suffit donc plus : il lui faut également museler l’opposition puisqu’elle a l’outrecuidance de vouloir jouer son rôle.

C’est finalement un hommage involontaire qui nous est rendu, car cette attaque démontre que, au Parlement, l’opposition travaille et dérange. En effet, loin d’être le fruit de l’obstruction, les débats qui mobilisent l’énergie des parlementaires et qui prennent du temps rencontrent toujours un écho fort dans la société, tant ils correspondent à des attentes ou à des craintes profondes et tant ils interrogent sur notre devenir ou interpellent nos principes. École obligatoire, abolition de l’esclavage, laïcité, IVG, peine de mort, PACS : tous ces débats ont été riches, difficiles, houleux, non parce qu’ils étaient instrumentalisés, mais parce qu’ils interpellaient nos consciences.

Monsieur le secrétaire d'État, le 10 février dernier, dans votre intervention lors de la discussion générale, vous avez volontairement occulté tout cela. Selon vous, l’article 13 dont nous abordons l’examen ne posait pas de problème au sein du Sénat, raison pour laquelle vous nous exhortiez à le voter tel quel, le président de notre assemblée s’engageant à ne pas le mettre en pratique dans le règlement.

Debut de section - Permalien
Roger Karoutchi, secrétaire d'État

Je n’ai pas dit ça !

Debut de section - PermalienPhoto de Raymonde Le Texier

Notre collègue Bernard Frimat vous a fait alors remarquer que, si vous ne comptiez pas appliquer cette disposition, il était inutile de nous demander de la voter.

Il est vrai que les promesses n’engageant que ceux qui les écoutent, vous aviez beau jeu de nous demander de nous dessaisir d’une garantie constitutionnelle et de nous contenter d’un règlement amendable à volonté et reposant sur l’engagement personnel de l’actuel président du Sénat.

Non, nous ne nous dessaisirons pas de notre droit à débattre et à discuter des amendements, car c’est à l’aune de la garantie des droits accordés à l’opposition que se juge la qualité d’une démocratie ! Si le Gouvernement a oublié cette exigence, c’est à nous qu’il revient de lui rappeler sans cesse !

C’est pourquoi nous nous opposerons de toutes nos forces à cet article.

Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et du groupe CRC-SPG.

Debut de section - PermalienPhoto de Jean-Pierre Michel

Monsieur le président, monsieur le secrétaire d'État, mes chers collègues, nous vivons sous la constitution de 1958, qui a limité considérablement les droits du Parlement. Ce texte fondamental manifestait d’ailleurs une grande défiance à l’égard des parlementaires.

L’article 34 de la Constitution ne fait-il pas de la loi un domaine résiduel laissé aux parlementaires, tout le reste étant du domaine du décret ?

Et, dans ce domaine résiduel, on souhaite encore restreindre notre possibilité de prendre la parole, de débattre, d’apporter une contradiction sur les textes qui nous sont présentés ! Telle est la situation dans laquelle nous sommes !

En faculté de droit, j’avais des cours magistraux et des travaux dirigés ; ni le rapporteur, ni le secrétaire d'État, ni personne ne répondant aux questions pratiques que je pose, je vais à nouveau les présenter.

Comment sera comptabilisé le temps global ? Les suspensions de séance en feront-elles partie ou seront-elles défalquées au fur et à mesure qu’il y en aura ? Monsieur le secrétaire d'État, pourriez-vous répondre à cette question ?

Par ailleurs, comment seront comptabilisés les rappels au règlement ? Faudra-t-il restreindre leur usage ? Dans ce cas, bien entendu, l’opposition aura intérêt à faire de l’obstruction parlementaire pour allonger les débats indéfiniment et, quelquefois, sans raison. L’objectif que vous visez ne sera donc pas atteint.

Comment les services de la séance et les groupes eux-mêmes pourront-ils connaître le temps qu’il restera ? Installerons-nous des écrans électroniques géants pour décompter le temps imparti afin que les responsables de chaque groupe et les parlementaires puissent se concerter avant de décider d’appuyer tel ou tel amendement ou d’avancer plus vite jusqu’à un amendement plus lointain dans le texte, mais risquant, au final, de se faire guillotiner ?

Monsieur le secrétaire d'État, vous haussez les épaules et, s’agissant de ces questions intéressantes qui relèvent de l’application pratique de nos débats, peu vous chaut : on se débrouillera, dites-vous ! Mais vous ne serez peut-être plus là pour le voir, puisque vous serez président de région, …paraît-il !

M. le secrétaire d'État s’esclaffe.

Debut de section - PermalienPhoto de Josselin de Rohan

M. Josselin de Rohan. Karoutchi président ! Bravo !

Sourires sur les travées de l ’ UMP.

Debut de section - PermalienPhoto de Jean-Pierre Michel

Mme Pécresse étant hors-jeu, il ne reste plus que M. le secrétaire d'État !

De plus, comment chaque groupe pourra-t-il anticiper sur la séance ? Le texte qui nous occupe cet après-midi est un peu spécial, mais prenons une séance d’amendements ordinaire, sur un texte normal, par exemple la séance de mercredi dernier, au cours de laquelle nous avons discuté d’une proposition de loi relative à l’exécution des décisions de justice et aux conditions d’exercice de certaines professions réglementées.

L’examen de certains articles nous a pris plus de temps que ce que nous escomptions quand d’autres articles ont été examinés plus rapidement que prévu. Finalement, nous avons passé l’après-midi à discuter de ce texte, alors que certains d’entre nous pensaient qu’une heure ou deux de débat suffiraient !

Eh bien non, nous avons débattu de questions importantes ! Chacun a eu le droit de donner son avis et, au final, l’adoption de certains amendements par la majorité ne s’est jouée qu’à une voix !

Debut de section - PermalienPhoto de Jean-Pierre Michel

Tout à fait ! Celle du président, qui, contre toute attente et contre toute pratique, a voté !

Debut de section - PermalienPhoto de Jean-Louis Carrère

M. Jean-Louis Carrère. À l’insu de son plein gré !

Sourires

Debut de section - PermalienPhoto de Jean-Pierre Michel

J’ai présidé deux fois l’Assemblée nationale et je ne me suis jamais permis de voter, même quand la gauche était en très grande difficulté à la suite de l’obstruction pratiquée par la droite à l’époque !

Que dire également des non-inscrits – pauvres non-inscrits ! – ou de ceux qui, n’étant pas sanctionnés, agissent en francs-tireurs au sein de leur groupe, n’acceptent pas la discipline collective et déposent des amendements à titre individuel ? On nous répond qu’il reviendra à chaque groupe de faire sa discipline. Les présidents de groupe doivent-ils donc se transformer en surveillants généraux de potaches ? Je ne le pense pas !

Les amendements de ces parlementaires seront-ils comptabilisés dans le temps des groupes si ces derniers ne le désirent pas ? Certes, il y aura un temps supplémentaire.

Par ailleurs, monsieur le secrétaire d'État, comme notre collègue Michel Mercier l’a fort opportunément relevé, il est possible à l’heure actuelle de déposer des sous-amendements. Mais nous ne pourrons plus nous livrer à cette pratique si les amendements sont appelés sans être discutés : c’est donc tout le droit parlementaire qui s’effondrera !

En réalité, l’enjeu de l’article 13 est beaucoup plus grave que tout ce qu’on a bien voulu nous faire croire puisqu’il revient à museler le temps de parole de l’opposition. Cet article fait tomber tout un pan du droit parlementaire patiemment établi par la règle constitutionnelle et par la pratique des présidents de séance, des bureaux des assemblées et des groupes politiques parlementaires. Le tout, pour un résultat qui n’est pas à l’honneur de la démocratie ni du Gouvernement, monsieur le secrétaire d'État, un résultat que vous défendez mollement, sans le soutenir.

M. le secrétaire d'État s’esclaffe.

Debut de section - PermalienPhoto de Jean-Pierre Michel

On nous dit que ce texte passera comme une lettre à la poste : eh bien non, ce ne sera pas le cas, y compris au Sénat !

Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et du groupe CRC-SPG.

Debut de section - PermalienPhoto de Martial Bourquin

Monsieur le président, monsieur le secrétaire d'État, chers collègues, je souhaite intervenir brièvement sur l’article 13 pour vous faire part de mon opinion de parlementaire nouvellement élu.

Si je ne maîtrise pas encore totalement toutes les subtilités du droit parlementaire, je me rappelle en revanche très bien le mandat qui m’a été confié par les grands électeurs, voilà maintenant six mois : ils m’ont demandé de défendre des convictions, d’avancer des propositions concrètes chaque fois que cela est possible et de relayer parfois devant la Haute Assemblée des situations spécifiques.

Or le droit d’amendement est l’un des moyens de mener à bien le mandat qui m’a été confié. Il me paraît donc véritablement anormal qu’il soit réduit à la portion congrue.

Amender, mes chers collègues, n’est pas un simple droit d’expression ; amender, c’est proposer ; amender, c’est instaurer un dialogue entre une majorité ouverte et une opposition responsable ; amender, c’est offrir une occasion d’unité nationale d’où peuvent naître des compromis ; amender, c’est discuter en amont des spécificités locales, des cas particuliers, et non les régler à coup de jurisprudence.

Debut de section - PermalienPhoto de Martial Bourquin

Amender est un espace de convictions, et donc de démocratie.

Au fur et à mesure des séances auxquelles j’ai pu assister, j’ai été frappé de constater qu’il pouvait naître beaucoup plus de la discussion d’un amendement qu’un simple avis couperet, adopté ou rejeté. D’un amendement, surgit parfois une étude ou un groupe de travail.

J’ai été frappé que la discussion d’un amendement mette très souvent à jour des difficultés d’application futures d’une loi et soit un instrument précieux d’efficacité législative.

Le groupe socialiste ne défend pas l’obstruction parlementaire.

Debut de section - PermalienPhoto de Josselin de Rohan

M. Josselin de Rohan. Non ! Il ne l’a jamais pratiquée !

Sourires

Debut de section - PermalienPhoto de Martial Bourquin

Pour preuve, il entend limiter la possibilité de disposer d’un temps plus long de discussion au cours d’une session. Les socialistes savent bien que la majorité actuelle, quand elle sera dans l’opposition – cela arrivera ! – et comme elle a su le faire dans le passé, usera de toutes les possibilités pour défendre ses convictions. J’ai, pour ma part, toujours préféré la force de l’argument à l’argument de la force.

Notre très illustre prédécesseur Victor-Hugo mettait cette formule dans la bouche de l’un des héros des Misérables : « Rien n’est stupide comme vaincre ; la vraie gloire est convaincre. » Car, après tout, qu’a-t-on à craindre de la discussion d’un amendement ? De quoi le Gouvernement a-t-il donc si peur ? Craignez-vous seulement de perdre du temps, ou craignez-vous d’être convaincus de la pertinence de telle ou telle argumentation ?

Monsieur le secrétaire d’État, bon nombre de nos concitoyens vivent des moments difficiles et l’engagement de tous est requis. Or vous restreignez les postes dans la fonction publique : des milliers de postes sont supprimés dans l’éducation nationale et l’administration et vous effectuez des coupes sévères dans les budgets. Aujourd’hui, on nous propose une autre version de la RGPP : la révision générale des pouvoirs des parlementaires !

Effectivement, mes chers collègues, nous sommes en crise ! Mais la parole et la vitalité de la démocratie ne doivent pas s’inscrire dans une démarche comptable ; plus la démocratie est forte, plus elle prend le temps de s’exprimer et mieux notre société se porte ! Notre assemblée ne doit pas faire l’économie du temps de la démocratie.

Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et du groupe CRC-SPG. – M. Jacques Mézard applaudit également.

Debut de section - PermalienPhoto de Alima Boumediene-Thiery

Monsieur le président, monsieur le secrétaire d’État, mes chers collègues, permettez-moi de vous rappeler qu’en première lecture du projet de loi constitutionnelle de modernisation des institutions de la Ve République, nous avions supprimé, à l’unanimité, le renvoi à la loi organique la fixation du cadre d’exercice du droit d’amendement des parlementaires.

Voici la teneur des propos tenus par le président de notre commission des lois, lors de ce débat : « La référence faite ici à la loi organique limite la compétence de principe que la Constitution reconnaît aux règlements des assemblées et contredit l’autonomie des assemblées pour fixer les modalités d’exercice du droit d’amendement. Aussi, nous proposons de supprimer cette référence ».

Debut de section - PermalienPhoto de Alima Boumediene-Thiery

Tout est dit : la fixation de limites au droit d’amendement contredit l’autonomie des assemblées et porte un coup intolérable à notre droit sacré de parlementaires de déposer et défendre des amendements.

Finalement, le constituant a maintenu le renvoi à la loi organique et les limitations possibles du droit d’amendement qui lui sont attachés. Peu importe quelle forme prend aujourd’hui cette limitation, qu’elle porte plutôt sur le droit de défendre des amendements que sur celui de les déposer, qu’elle se manifeste par un crédit-temps ou par toute autre formule : avec cet article 13, le droit d’amendement devient une chimère !

Les conclusions du groupe de travail sur la réforme du règlement, dont nous sommes ici plusieurs à faire partie, peuvent laisser penser que nous ne sommes pas concernés par ce crédit-temps. Il s’agirait là, en réalité, d’une mesure disciplinaire à l’égard de députés avides de défendre, à tour de bras, des amendements sans réelle portée pour le débat. J’entends encore ces propos selon lesquels nous ferions beaucoup de bruit pour rien au sujet de cet article 13, puisque le règlement du Sénat pourra prévoir ce qu’il veut, dans la mesure où la loi organique le lui permet…

Mais je vous rappelle, mes chers collègues, que nous faisons la loi pour l’ensemble du Parlement. Alors, pourquoi cette loi organique ? Pour dire que, finalement, il n’y a pas de limite au droit d’amendement ? Certainement pas ! Pour dire qu’il peut, éventuellement, rencontrer des limites dans le cadre fixé par le règlement ? Évidemment, oui ! Et de cette éventualité découle un certain nombre de conséquences qui peuvent mener au musellement des parlementaires, condamnés à voir leurs amendements mis aux voix sans discussion.

Ce procédé est malsain puisqu’il impose une discipline interne, des arbitrages entre des amendements, bref, il oblige à faire un choix.

La première conséquence est simple : il n’y aura plus d’amendements de parlementaires, mais des amendements de groupes parlementaires, puisque c’est au sein de ces groupes que sera centralisée la gestion du crédit-temps.

Ensuite, je souhaite attirer votre attention sur la situation des parlementaires qui, bien que rattachés à un groupe, n’en demeurent pas moins autonomes pour le dépôt et la défense des amendements. Aujourd’hui, les sénateurs Verts jouissent dans ce domaine d’une liberté précieuse que vous voulez transformer en dépendance arithmétique malsaine ! Il faut le reconnaître, grâce au groupe socialiste et à notre mode de fonctionnement, nous avons toujours eu la possibilité de nous exprimer en discussion générale. Mais que se passera-t-il demain, avec votre nouveau dispositif, pour la défense des amendements ? Les sénateurs Verts, qui ne constituent pas un groupe mais sont seulement rattachés au groupe socialiste, seront-ils considérés comme des membres de ce groupe ou un temps spécifique leur sera-t-il accordé ?

Le dispositif que vous nous proposez de voter est une atteinte à notre droit absolu de nous opposer, de nous exprimer et de défendre nos idées dans cet hémicycle ! Ce dispositif est castrateur et vous comprendrez que nous ne puissions pas l’accepter. Au nom de notre droit, au nom de notre responsabilité de parlementaires, nous affirmons que ce système représente un danger, pour notre démocratie parlementaire et pour notre République tout entière ! C’est la raison pour laquelle nous ne pourrons pas voter cet article.

Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et du groupe CRC-SPG.

Debut de section - PermalienPhoto de Bariza Khiari

Monsieur le président, monsieur le secrétaire d’État, mes chers collègues, il me semble important d’intervenir aujourd’hui sur l’article 13 du projet de loi organique. Certes, on nous dit que son objet n’intéressera pas le Sénat, puisqu’il est prévu que cette disposition ne s’appliquera pas à notre chambre. Doit-on pour autant laisser passer sans rien dire un article dont le contenu même est une insulte au travail parlementaire ?

Le droit d’amendement constitue l’une des prérogatives essentielles de la fonction de parlementaire, que nous soyons députés ou sénateurs. L’article 13, qui prévoit une limitation des débats dans le temps, présuppose donc que l’on ne pourra plus discuter certains amendements une fois ce délai dépassé. Il s’agit donc bel et bien d’une atteinte au droit d’amendement, contraire à l’esprit de notre Constitution. Nous ne pouvons que nous élever contre une attaque constituant une remise en cause du rôle du Parlement.

On justifie cette disposition par la nécessité de ne pas retarder le travail gouvernemental. Cette explication, apparemment simple et légitime, ne saurait résister à l’épreuve des faits et je ne puis que m’élever contre une telle mauvaise foi. Plusieurs rapports ont souligné que notre droit devient de plus en plus « bavard » à mesure qu’il tend à intervenir sur un nombre croissant de sujets. Cette inflation législative, dangereuse pour la loi dont elle mine le pouvoir, est le véritable frein à l’action gouvernementale.

Votre gouvernement, monsieur le secrétaire d’État, tend à vouloir légiférer rapidement dans tous les domaines. On voit donc se multiplier des textes mal ficelés, sans étude d’impact préalable. Le vrai frein à une action efficace résulte de cette précipitation qui frise l’agitation pathologique, sous couvert de réformes.

Pire, nous sommes bien placés pour savoir que la plupart des lois votées ne sont pas applicables, faute d’une publication rapide de leurs décrets d’application. On multiplie donc des textes de qualité médiocre, sans les appliquer ensuite, et l’on voudrait nous faire croire que le Parlement, dont le rôle n’est pas d’enregistrer les décisions de l’exécutif mais bien de les discuter, est responsable de cette situation calamiteuse ! De qui se moque-t-on ?

Enfin, alors qu’une révision de la Constitution a été entreprise l’année passée pour reconnaître un rôle plus important au Parlement, voici qu’un texte censé mettre en application cette révision tâche de limiter le droit d’amendement, donc le droit du Parlement. Il y a donc une contradiction majeure, et inacceptable, entre l’esprit de la révision constitutionnelle et ce projet de loi organique. Bien des parlementaires de la majorité auraient sans doute refusé de voter la révision constitutionnelle s’il leur avait été annoncé qu’elle aboutirait à cet article 13 !

Après toutes les atteintes aux libertés publiques, après tous ces textes liberticides fondés sur des réactions émotionnelles et non sur l’intérêt général, vous vous attaquez maintenant à un droit consubstantiel à la fonction de parlementaire !

Cet article 13 est un déni de démocratie puisque le droit d’amendement du parlementaire est la manifestation, voire le prolongement, de la liberté d’expression du citoyen. Nous sommes les dépositaires de ce droit démocratique que le citoyen remet entre nos mains. Je m’adresse donc à mes collègues de la majorité : refusons ensemble cette régression démocratique ! C’est la raison pour laquelle je vous demande, mes chers collègues, de voter unanimement pour la suppression de cet article 13.

Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et du groupe CRC-SPG.

Debut de section - PermalienPhoto de Pierre Fauchon

Monsieur le président, monsieur le secrétaire d’État, mes chers collègues, avec cet article 13, nous voici donc arrivés au point crucial de notre débat.

Point crucial pour des raisons bien différentes, puisqu’elles opposent ceux, dont nous sommes, qui ont voté la révision constitutionnelle et cherchent résolument la voie d’une rénovation parlementaire, à ceux qui, ne l’ayant pas votée, ne voient guère d’inconvénient à la poursuite des errements actuels parce qu’ils n’en imaginent guère d’autres ! Ou peut-être parce qu’ils peinent à surmonter leur regret d’avoir rejeté une réforme qui, en fait, répondait souvent à leurs attentes…

Très bien ! sur les travées de l ’ UMP.

Debut de section - PermalienPhoto de Pierre Fauchon

Peut-être aussi, enfin, parce qu’ils ne sont pas suffisamment associés au fonctionnement de nos assemblées pour en souhaiter l’amélioration. À cet égard, je souscris à certaines des réflexions formulées par M. Bel.

Cependant, cette rénovation – avouons-le, chers amis – relève de l’intérêt général ! Je me plais à citer ici notre collègue Jean-Pierre Michel, que j’ai entendu dire, la semaine dernière : « La seule question qui vaille, c’est bien celle de la revalorisation de nos travaux ! » Qui ne souscrit à ce souhait ? Mais revaloriser suppose de changer quelque chose, figurez-vous !

Debut de section - PermalienPhoto de Jean-Pierre Michel

Supprimer la procédure d’urgence, par exemple !

Debut de section - PermalienPhoto de Pierre Fauchon

Qui, dès lors, n’est pas conscient de la nécessité de mesures fortement incitatives pour que cette revalorisation soit effective ?

Sans doute serait-il infiniment préférable que ces mesures soient arrêtées dans le cadre de chaque assemblée, en fonction de son caractère propre et dans un consensus aussi large que possible – le Sénat est d’ores et déjà bien engagé dans cette voie. Mais enfin, nous légiférons pour l’ensemble du Parlement et pour un avenir dont la connaissance nous échappe.

Les habitudes étant ce qu’elles sont, il faut bien évidemment des incitations fortes, et c’est le rôle que peut jouer l’article 13 en prévoyant, comme ultime recours – d’ailleurs facultatif –, la limitation globale du temps d’un débat, limitation pouvant comporter des « rallonges », lorsque celles-ci seraient justifiées. On oublie un peu tous ces détails et on caricature ainsi le projet de loi !

N’est-ce pas une sage mesure, comme le rappelait tout à l’heure mon ami Jean-Patrick Courtois ? D’autant plus sage que sa mise en œuvre éventuelle se traduirait par un crédit de temps réparti proportionnellement entre les groupes politiques. Personnellement, j’y vois un progrès, car ces groupes se trouveraient, du même coup, associés à une gestion responsable du débat, privilégiant les points réellement significatifs de celui-ci et réduisant la part faite aux manœuvres et discours qui l’encombrent trop souvent et qui font que le débat parlementaire, détourné de sa légitime raison d’être pour la satisfaction de quelques-uns – dont je suis parfois, je l’avoue ! – a cessé d’intéresser nos concitoyens. Il a en effet cessé d’être le forum majeur de notre vie publique, au profit des multiples débats offerts par les moyens de communications modernes : télévision, radio, réseau internet. Telle est la réalité, mes chers collègues !

Pour autant, pouvons-nous ignorer le risque que, les groupes organisant le débat à leur convenance, le point de vue particulier de tel ou tel parlementaire soit privé de toute possibilité d’expression ? Or il s’agit bien d’un droit élémentaire – on l’a qualifié d’inaliénable, mais il n’est pas question de le vendre ! Cela me conduit à une seconde réflexion visant la formule passablement lapidaire selon laquelle, après expiration du temps global, les amendements pourraient être « mis aux voix sans discussion ». Je ne peux m’empêcher de penser au « sans dot ! » de Molière !

Sourires

Debut de section - PermalienPhoto de Pierre Fauchon

Je n’oublie pas – mais presque tous l’oublient – que la révision constitutionnelle prévoit que tout amendement est aussi examiné en commission. Nous ne sommes pas assurés cependant que cet examen présente toutes les garanties souhaitables. En particulier, parce que tous les sénateurs ne sont pas présents en commission…

Debut de section - PermalienPhoto de Pierre Fauchon

Il faut donc prévoir un dispositif de sécurité qui empêche que la discussion des amendements, en fin de séance, soit expédiée d’une manière excessivement sommaire, c’est-à-dire plus ou moins escamotée. On n’a pas tort de s’en inquiéter ! Il faudrait, à tout le moins, que tout amendement soit présenté, entraînant automatiquement l’exposé de l’avis de la commission et de celui du Gouvernement. C’est un minimum. Il m’a d’ailleurs semblé que cette analyse n’était pas très éloignée de celle qu’a développée tout à l’heure notre collègue Bernard Frimat.

Dans mon esprit et – sauf erreur – dans la langue française usuelle, la discussion n’englobe pas la présentation d’un texte, qui n’en est que le point de départ. Elle commence après cette présentation.

Si le Gouvernement – auquel je m’adresse à travers vous, monsieur le secrétaire d’État –, auteur du texte, souscrit clairement à mon interprétation, l’ensemble des membres de mon groupe se tiendront pour satisfaits, car l’efficacité nécessaire de la mesure comportera dès lors un correctif légitime et acceptable, la présentation de l’amendement suivie de l’avis de la commission et de celui du Gouvernement, qui ne devrait pas alourdir excessivement le temps consacré à l’examen du texte.

Telle est la question que je me permets de vous poser, monsieur le secrétaire d’État, en mon nom et en celui de la plupart des collègues de mon groupe.

À défaut de réponse de votre part, nous serions obligés de faire valoir notre point de vue par la voie d’un sous-amendement et, bien entendu, de nous interroger sur notre vote final.

Applaudissements sur les travées de l ’ Union centriste.

Debut de section - PermalienPhoto de Catherine Tasca

Monsieur le président, monsieur le secrétaire d'État, mes chers collègues, nombre de bonnes raisons de ne pas voter l’article 13 ont été évoquées ici.

On aurait aimé faire crédit aux auteurs de ce projet de loi d’une ambition de moderniser notre Parlement, de rendre ses débats plus efficaces et plus intelligibles pour l’ensemble de nos concitoyens, ce qui doit être notre préoccupation constante.

Or, si notre Parlement est un, les parlementaires, qui sont ici par la volonté des électeurs, représentent toute la diversité des opinions de notre pays. Chaque loi, qui s’impose à tous, doit tout au long de son élaboration tenir compte de cette diversité, rendre compte de la réalité des débats qui engagent la responsabilité de nos groupes et de chaque parlementaire.

C’est pourquoi le droit d’amendement est, comme l’a dit M. le président du Sénat, « consubstantiel » aux droits du Parlement. Vouloir contraindre ce droit, le limiter sous le fallacieux prétexte d’un risque d’abus du temps de parole, c’est de fait refuser l’expression de notre diversité, c’est stériliser a priori le travail législatif.

La définition d’un temps global n’est certainement pas la réponse aux attentes que nous partageons d’un meilleur travail parlementaire. La vraie réponse serait une autre méthode de gouvernement, respectueuse de la séparation des pouvoirs, précédant la présentation des projets de loi d’une sincère et véritable concertation avec les citoyens, les partis, les associations, les syndicats et toutes les forces vives de la société. C’est à ce prix, mes chers collègues, que nous aurions de bons débats parlementaires.

Or, nous le constatons chaque jour, ce n’est pas la manière d’agir de ce gouvernement et moins encore du Président de la République. Aux nombreux passages en force qu’il tente d’imposer par des annonces imprévues et imprévisibles : suppression de la publicité sur la télévision publique, suppression du juge d’instruction, suppression de la taxe professionnelle, il veut maintenant ajouter cet article 13, qui ampute gravement l’expression parlementaire.

Le droit d’amendement n’est pas un privilège des parlementaires. Il est pour nos concitoyens une des garanties du pluralisme. Il est donc un droit dont nous sommes les garants et c’est ce qu’exprimera notre vote contre l’article 13.

Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et du groupe CRC-SPG.

Debut de section - PermalienPhoto de Odette Herviaux

Monsieur le président, monsieur le secrétaire d'État, mes chers collègues, sur cet enjeu du temps des débats législatifs, il convient de dépasser les affichages et les promesses, qui ont pour unique objectif, me semble-t-il, de diviser le Parlement en opposant le fonctionnement de l’Assemblée nationale et celui du Sénat.

La vraie question, mes chers collègues, est celle de notre conception du travail parlementaire.

Depuis de trop nombreuses années, et de façon encore plus criante depuis la dernière élection présidentielle, le Parlement est réduit à une chambre d’enregistrement, sous la pression permanente d’un exécutif agité d’une frénésie législative et réglementaire. De là naît le cercle vicieux que l’article 13 tend à concrétiser : quand on attend du Parlement une adoption express de textes qui se succèdent à une vitesse effrénée, il serait sûrement dangereux de lui laisser trop de temps pour débattre.

À travers un dispositif intellectuellement et politiquement coercitif, cet article 13 méconnaît et rejette dans les oubliettes de l’Histoire certaines vérités qui sont le fondement de notre pacte républicain : la rationalisation n’a jamais été synonyme de rationnement, ni l’urgence de précipitation.

Sans vouloir ignorer les difficultés que traverse notre société, il semble pourtant que non seulement l’immédiateté de la réponse politique est une illusion, qui ferait croire que pour chaque problème il existe une solution miracle disponible dans l’instant, mais qu’également elle peut à long terme remettre en cause la crédibilité même du pouvoir politique.

En effet, la première responsabilité de l’action politique n’est pas de satisfaire une à une toutes les revendications particulières qui peuvent se faire jour en se fondant souvent sur des émotions exacerbées mais fugaces, elle est de fixer un cap, de mettre en mouvement la société tout entière et de veiller à sa cohésion en répondant aux besoins collectifs.

Au-delà de ce nécessaire rappel, notre mobilisation constitue aussi un avertissement adressé à tous ceux qui croient ou qui espèrent que l’action solitaire et arbitraire pourrait seule sauver le pays, voire le monde tout entier... Ceux-là devraient connaître plus sérieusement, parfois même plus concrètement les exigences, les complexités et la richesse du travail parlementaire pour se rendre compte que le temps n’est pas l’ennemi de la raison et que le nombre ne s’oppose pas à l’efficacité.

À ce titre, le projet de loi Grenelle I a été un exemple éclairant. Ceux qui s’en souviennent savent que le travail parlementaire auquel il a donné lieu a été pleinement respecté et a montré ainsi toutes ses vertus.

Debut de section - PermalienPhoto de Odette Herviaux

L’urgence écologique réclamait, en effet, la patience de la précision législative, dans une ambiance constructive et apaisée, après les nombreux mois d’échanges plus vifs entre l’ensemble des acteurs concernés.

Au Sénat, pendant deux semaines et plus de cinquante heures d’échanges, après des dizaines d’auditions et de longues heures de réunions, les débats en séance publique et le droit d’amendement ont montré toute leur pertinence, leur utilité et leur légitimité. Sur les 825 amendements examinés, 263 ont été adoptés, dont plus du tiers provenait des groupes d’opposition, qui ont démontré ainsi face aux doutes de certains leur sens des responsabilités et leur capacité à construire un élan commun au service de tous.

Nous le voyons bien, mes chers collègues, quand le Gouvernement calme ses convulsions législatives, quand il est disposé à écouter le Parlement, à lui laisser une liberté d’expression et d’argumentation pleine et entière, c’est toute notre République qui en sort grandie et renforcée.

C’est cet esprit que l’article 13 condamne et renie, en dépit des tentatives désespérées du Gouvernement pour justifier ce bâillonnement démocratique. Ce projet de loi vise non seulement à museler l’opposition parlementaire, mais aussi en fin de compte – c’est le plus grave – à faire taire la diversité des avis et des positions qui s’expriment sur tous les bancs de nos assemblées.

En réduisant à leur plus simple expression l’autonomie d’analyse et l’indépendance d’esprit de tous les parlementaires, le projet du Gouvernement s’éloigne de l’idéal républicain.

Face aux dangers du monde et aux menaces permanentes qui pèsent sur la vie de nos démocraties, cette régression est inacceptable. C’est donc en tant que gardiens des héritages démocratiques et en tant que sentinelles des valeurs de la République que nous nous opposerons à ces tentations autoritaires concentrées dans l’article 13 et que nous vous demandons, mes chers collègues, de voter la suppression de cet article.

Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et du groupe CRC-SPG.

Debut de section - PermalienPhoto de Jean-Louis Carrère

Puisque M. le rapporteur nous dit que cela va être un grand moment, je vais essayer de m’appliquer ! Je suis obligé de dire que quand je l’écoute, ce n’est pas toujours un grand moment...

Debut de section - PermalienPhoto de Jean-Jacques Hyest

Forcément, pour vous, ce ne peut jamais être un bon moment !

Debut de section - PermalienPhoto de Jean-Louis Carrère

J’en viens à cet article 13.

Qui a peur du Parlement ? Vous, les parlementaires de la majorité ? Non, vous réussissez peu ou prou malgré vos divisions que vous arrivez à camoufler ici ou là, à faire passer les textes. La peur, à mon sens, vient d’ailleurs.

Qui ici peut penser un seul instant que l’intérêt général ne prévaudra pas le moment venu ? Même pas Michel Charasse ; je suis sûr qu’il pense, comme moi, que l’intérêt général peut prévaloir à un moment donné.

Debut de section - PermalienPhoto de Jean-Louis Carrère

Qui peut penser que le temps dévolu à l’examen des amendements peut nuire à l’expression de l’intérêt général ?

Par ailleurs – cela me semble absolument extraordinaire – comment la majorité du Sénat peut-elle affirmer qu’il ne sera pas porté atteinte au droit d’amendement dans le règlement intérieur et qu’il ne sera pas institué un temps de parole global et, dans le même temps, vouloir absolument voter cet article ?

Puisque vous ne voulez pas l’utiliser, ne le votez pas et il n’y aura plus aucune suspicion ! Ou alors dites-nous avec loyauté que cela pourrait servir à l’Assemblée nationale, mais que cela pourra également servir à d’autres… Tout cela est d’une incohérence absolument pathétique.

On veut accréditer l’idée auprès du grand public que l’on donne du pouvoir à l’opposition, que l’on démocratise le Parlement et qu’on lui permet d’exercer ses pouvoirs. Mais, mes chers collègues, c’est le contraire qui a lieu : on veut faire taire le Parlement et l’empêcher de s’exprimer !

En voici un bref exemple.

La commission des affaires étrangères, de la défense et des forces armées – au sein de laquelle j’ai l’honneur de siéger – a auditionné des ministres sur le changement de cap de notre pays par rapport à l’OTAN. Mes chers collègues, rendez-vous compte, ils sont arrivés, à leur convenance, à midi.

Exclamations amusées sur les travées de l ’ UMP.

Debut de section - PermalienPhoto de Jean-Louis Carrère

La moindre des courtoisies, monsieur le rapporteur, si j’allais chez vous – rassurez-vous, je ne viendrais pas sans invitation – serait de ne pas arriver à midi.

Debut de section - PermalienPhoto de Jean-Jacques Hyest

M. Jean-Jacques Hyest, rapporteur. Mais je vous inviterais à déjeuner !

Rires

Debut de section - PermalienPhoto de Jean-Louis Carrère

Mes chers collègues, mes invitations, je les réserve à mes amis ! Ce n’est pas pour ceux qui me combattent à longueur de journée ou qui combattent l’idéal que j’essaie de promouvoir…

Mais revenons à notre débat. Mes chers collègues, vouloir accréditer l’idée qu’il faut voter un tel article donnant apparemment au Parlement la possibilité de réduire une éventuelle obstruction est tellement pernicieux que vous devez accepter de voter sa suppression.

Cet article 13 contredit totalement les affirmations du Président de la République et votre volonté de réforme constitutionnelle. Si nous, nous en avons perçu les pièges, vous avez, hélas ! réussi à entraîner dans la spirale de ce vote des gens qui n’auraient pas dû s’y associer.

Mais il est encore temps, mes chers collègues, je vous en conjure, respectez le Parlement, soutenez l’idée que la parole est encore libre dans ce pays et que les parlementaires peuvent individuellement déposer des amendements, les défendre et délibérer utilement !

Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et du groupe CRC-SPG.

Debut de section - PermalienPhoto de Charles Gautier

Monsieur le président, monsieur le secrétaire d'État, mes chers collègues, je n’avais pas du tout l’intention d’intervenir cet après-midi sur l’article 13, mais cela fait maintenant un peu plus de deux heures que nombre de mes collègues défendent les droits des parlementaires, ceux de tous les parlementaires, et pas uniquement de ceux qui appartiennent à l’opposition. Toutes leurs interventions s’inscrivent dans la défense de l’intérêt général. D’ailleurs, comme cela a été rappelé, la majorité d’aujourd'hui sera – c’est bien connu – l’opposition de demain !

Pour ce qui me concerne, je m’attacherai plutôt à vous faire part brièvement de certains commentaires émis par les citoyens électeurs.

Depuis quelque temps, on entend souvent dire à propos de la vie politique et de la vie parlementaire notamment que les élus font preuve d’un manque absolument manifeste de spontanéité et pratiquent la langue de bois.

Ces critiques sont très souvent injustes, mais elles démontrent que la vie parlementaire est très mal comprise. Il faut en tenir compte. Or, avec l’adoption de l’article 13, vous allez aggraver cette incompréhension en creusant davantage le fossé entre les citoyens et leurs représentants.

Comment expliquerez-vous aux Français que leurs représentants n’auront plus ni le droit d’amender ni le droit de s’expliquer ? En supprimant ce droit personnel d’expression du parlementaire, c’est le peuple que vous voulez bâillonner ! Oui, le Parlement est le lieu de la parole ! Le parlementaire est l’avocat du droit du peuple ! Limiter ce droit d’expression ou le droit d’amender, c’est s’attaquer à l’essence même du rôle du Parlement et de la fonction du parlementaire !

Aujourd'hui, la France est encore considérée comme une démocratie, mais cette réputation s’émousse réforme après réforme.

M. le secrétaire d’État s’exclame.

Debut de section - PermalienPhoto de Charles Gautier

Notre ami Louis Mermaz a rappelé tout à l'heure, avec quelques autres de nos collègues, l’évolution historique de cette tendance régressive. Or vous nous invitez aujourd'hui, monsieur le secrétaire d’État, à franchir une étape supplémentaire. Ne comptez pas sur nous !

Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et du groupe CRC-SPG.

Debut de section - PermalienPhoto de François Rebsamen

Monsieur le président, monsieur le secrétaire d'État, mes chers collègues, la démocratie est, on le sait, un bien précieux qui nous est cher à tous. Durement conquise, elle nous donne le droit de penser et de nous exprimer différemment ; c’est ce droit qui la fait vivre. Il en est de même pour la démocratie parlementaire. Quelles que soient les travées sur lesquelles nous siégeons, nous avons le droit de penser, de nous exprimer différemment et de défendre nos idées aussi longtemps que nous le souhaitons.

Or, curieusement, au moment même où le Président de la République a conquis – permettez-moi de le dire ainsi ! – le droit de s’exprimer devant le Parlement, sans qu’aucun parlementaire puisse lui répondre, on veut restreindre le droit des parlementaires à s’exprimer au sein de leur assemblée ! (Avouez, mes chers collègues, qu’il s’agit là d’une bien curieuse conception de la liberté de discussion parlementaire !

Chaque membre de notre groupe l’a exprimé ici avec sa sensibilité et sa conviction propres, nous pensons tous au fond de nous-mêmes que la liberté de discussion parlementaire est incompatible avec ce que d’aucuns ont appelé le « concept du forfait-temps ».

Dans une démocratie, il ne peut y avoir, d’un côté, le temps en quelque sorte illimité – celui de toutes ses annonces –du Président de la République, qui occupe tout l’espace médiatique, et, de l’autre, un temps limité pour le Parlement, essence même de l’expression démocratique, avec notamment une expression restreinte pour l’opposition, quelle que soit bien sûr cette opposition. Avec l’article 13, on va à l’encontre de cette démocratie apaisée qu’on se plaît à invoquer aujourd'hui.

Il n’est vraiment pas possible de limiter les débats au Parlement alors que c’est le lieu même où ils doivent se développer. La procédure du « crédit-temps » les assécherait. Un groupe qui aurait épuisé son temps de parole ne pourrait plus défendre un amendement ! Or, cela a été souligné à maintes reprises, mais je tiens à le répéter car il est important de le redire en permanence, l’exercice du droit d’amendement est essentiel au débat démocratique, certains ajoutant même qu’il est consubstantiel au rôle du parlementaire. Il permet tout simplement à chacun d’exprimer ses positions et de formuler des contre-propositions, sans que cela empêche in fine, vous le savez très bien, monsieur le secrétaire d'État, l’adoption des textes présentés par le Gouvernement.

Nous pensons que l’article 13 du projet de loi organique a pour objectif de scléroser la parole de l’opposition dans le débat parlementaire. Le président du Sénat a réaffirmé que le temps global ne serait pas appliqué ici même. Fort bien ! Mais – et je reprends là des arguments qui ont déjà été développés – si le Sénat vote l’article 13 dans sa rédaction actuelle, nous allons, dans les faits, limiter le temps de parole des députés, en empêchant un nouveau débat sur ce même article, alors même que nous connaissons les conditions dans lesquelles il a été adopté à l'Assemblée nationale.

Pour éviter toute hypocrisie, il faut que les mêmes droits s’appliquent au Sénat et à l'Assemblée nationale. Et, afin de mettre nos actes en conformité avec les déclarations du président du Sénat, la seule chose à faire est tout simplement de ne pas voter l’article 13 du projet de loi organique.

Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et du groupe CRC-SPG.

Debut de section - PermalienPhoto de Bernard Piras

Monsieur le président, monsieur le secrétaire d'État, mes chers collègues, la discussion de l’article 13 du projet de loi organique me donne l’occasion de vous faire part d’une interrogation qui me taraude depuis quelque temps en considérant la pratique actuelle du pouvoir, celle du Président de la République et de l’exécutif.

Dans quelle République vivons-nous ? Vers quelle République allons-nous ? Quel qualificatif faut-il lui attribuer ?

On essaie de museler tous les pouvoirs.

Concernant le pouvoir judiciaire, on nous annonce pour bientôt la suppression des juges d’instruction au profit des procureurs. Le garde des sceaux, le Premier ministre et le Président de la République pourront intervenir et régler les affaires comme ils en auront envie. Pourtant, dans cette période, il y a bien d’autres choses à faire, alors même que l’on apprend que certains juges ne lisent pas leur courrier, que des détenus s’évadent de prison avec des explosifs et que l’on déplore un nouveau suicide en prison, qui s’ajoute à une liste déjà longue !

En ce qui concerne les médias, notre collègue François Rebsamen vient de parler du temps de parole du Président de la République. Mais que dire de la presse écrite, où tous les propriétaires de journaux sont les amis du Président de la République, l’un d’entre eux siégeant même sur les travées de la majorité de notre assemblée ?

S’agissant de la presse télévisée, le débat sur la réforme de l’audiovisuel nous a permis de constater que le CSA a été réduit à un rôle de potiche, le Président de la République s’octroyant le pouvoir de nomination.

Et aujourd'hui, on veut supprimer ou limiter le droit d’amendement des parlementaires, qui est l’essence même, j’oserai dire les tripes mêmes, de la vie parlementaire ! On veut que nous nous fassions hara-kiri ! Mais vous allez, vous aussi, vous faire hara-kiri, mes chers collègues de la majorité, en votant cet article 13, puisque vous êtes l’opposition de demain.

J’en reviens à ma question : quel qualificatif donner à cette République qui intervient dans le fonctionnement de la justice, limite son indépendance, restreint considérablement le pouvoir du Parlement et s’octroie tous les pouvoirs concernant la presse. Autoritaire ? Certainement ! Va-t-on aller au-delà ? Louis Mermaz a rappelé tout à l'heure ce qui s’est passé dans l’histoire ; je crains que nous n’allions dans ce sens.

Quoi qu’il en soit, mes chers collègues, ne votez pas l’article 13 : il se retournera demain contre vous et contre le Parlement !

Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et sur quelques travées du groupe CRC-SPG.

Debut de section - PermalienPhoto de Claude Domeizel

Monsieur le président, monsieur le secrétaire d'État, mes chers collègues, je ne reviendrai pas sur la faille essentielle de l’article 13 en ce sens que l’amendement est un droit individuel de chaque parlementaire. J’ai été élu, comme vous, pour pouvoir m’exprimer, pour expliquer les raisons pour lesquelles je dépose tel amendement, pour lesquelles je vote ou ne vote pas tel ou tel amendement. Et nous ne pouvons nous remplacer les uns les autres pour exercer ce droit !

Au cours de cette discussion, nous avons beaucoup parlé du Parlement, de nous-mêmes aussi, mais peut-être avons-nous un peu trop oublié les citoyens, qui ont le droit de savoir pourquoi nous votons tel ou tel amendement ou tel ou tel texte.

Si l’article 13 était adopté, imaginons ce que deviendrait un débat d’amendements lorsque le temps de parole d’un groupe serait épuisé ?

Dans le cas où ce groupe déposerait un amendement, j’ose espérer que le rapporteur n’expliciterait pas les raisons pour lesquelles la commission a émis un avis favorable ou défavorable, pas plus que le Gouvernement, car cela reviendrait à déséquilibrer le débat, l’auteur de l’amendement n’ayant pas eu le droit de le défendre. Je vous laisse alors imaginer, mes chers collègues, la stupéfaction du public assistant à la séance ou celle du lecteur du Journal officiel, car les débats seraient très limités, comme l’a souligné notre collègue François Trucy, qui, pour l’instant, n’est pas du tout intéressé par mes propos…

Sourires sur les travées de l’UMP

Debut de section - PermalienPhoto de Claude Domeizel

Prenons un exemple.

Le président de séance appellerait en discussion l’amendement n° 152. Le rapporteur, tout comme le Gouvernement se cantonneraient à émettre un avis favorable. Ensuite, le président mettrait aux voix cet amendement et le proclamerait adopté. Aucune explication ne serait donnée sur les raisons pour lesquelles cet amendement serait adopté ! Voilà qui est inadmissible.

N’oublions pas que les amendements déposés permettent de faire avancer les idées. C’est pour nous la possibilité de faire passer des messages, y compris au Conseil constitutionnel dans le cas où il serait saisi.

C’est la raison pour laquelle je demande que cet article 13 soit supprimé.Nous devons respecter nos concitoyens, qui ont le droit de savoir !

Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et du groupe CRC-SPG.

Debut de section - PermalienPhoto de Hugues Portelli

M. Hugues Portelli. En écoutant s’exprimer tous nos collègues de l’opposition les uns après les autres, j’ai finalement trouvé des arguments pour défendre l’article 13 !

Exclamations amusées sur les travées de l ’ UMP.

Debut de section - PermalienPhoto de Hugues Portelli

Soyons un peu sérieux et ne nous focalisons pas sur un seul article du projet de loi organique. Rappelons-nous plutôt que, depuis l’entrée en vigueur de la révision constitutionnelle, le contexte est totalement nouveau. Il est notamment marqué par deux dispositions essentielles.

Premièrement, l’ordre du jour n’est plus totalement entre les mains du Gouvernement. Il est en grande partie maîtrisé par les assemblées. Dès lors, les parlementaires ont l’initiative de déposer non seulement des amendements, mais aussi des propositions de lois, lesquelles peuvent provenir de la majorité comme de groupes minoritaires ou de l’opposition, cette dernière ayant en effet la garantie de disposer d’une partie de l’ordre du jour. Voilà un changement essentiel !

Deuxièmement, le débat en séance publique portera désormais sur le texte issu des travaux de la commission, y compris pour les projets de lois. Ce changement radical est primordial ! En conséquence, l’examen du droit d’amendement doit être revu sous un angle tout à fait nouveau.

Rappelons-nous qu’il a fallu attendre la loi constitutionnelle de 1995 pour que chaque assemblée dispose une fois par mois d’une séance réservée à un ordre du jour fixé par elle ! Il est évident que, avant, le droit d’amendement était la seule et unique façon pour les parlementaires de s’exprimer.

À partir du moment où le travail parlementaire redevient ce qu’il est dans les autres démocraties parlementaires d’Europe, le droit d’amendement change bien évidemment de nature et, du coup, son usage abusif, tel qu’il s’est développé depuis 1981, n’a plus lieu d’être.

Nous, membres de la majorité, ne devons pas oublier que c’est nous qui avons inventé le concept de l’obstruction parlementaire en 1981 et qui l’avons mis en pratique. §

Debut de section - PermalienPhoto de Hugues Portelli

Par conséquent, nous sommes bien placés pour savoir ce que c’est qu’abuser du droit d’amendement !

Lorsque le nombre d’amendements déposés atteint 248 000 comme sous la précédente législature, alors qu’il était à peine supérieur à 5 000 sous la première législature de la Ve République, il est évident que l’usage du droit d’amendement n’est plus normal ; il devient pathologique !

Très franchement, si j’étais député, je voterais l’article 13 sans hésiter une seconde. Trouvez-vous normal qu’en 2006 l’opposition ait déposé 136 000 amendements sur le seul projet de loi relatif au secteur de l’énergie ? Est-ce cela la démocratie ?

Non ! sur les travées de l ’ UMP.

Debut de section - PermalienPhoto de Hugues Portelli

Le problème du temps de parole global doit être considéré à partir de cette situation-là !

Debut de section - PermalienPhoto de Hugues Portelli

Combien de fois avons-nous vu des amendements déposés en cascade, dupliqués en trois ou quatre exemplaires, sans modification de la moindre virgule, sans même que les parlementaires qui devaient les défendre en soient informés !

Debut de section - PermalienPhoto de Jean-Louis Carrère

Est-ce une raison pour limiter le droit d’amendement ?

Debut de section - PermalienPhoto de Hugues Portelli

On avait déposé pour eux des amendements qu’ils présenteraient en séance avant de disparaître.

Debut de section - PermalienPhoto de Hugues Portelli

Est-ce la conception que nous devons avoir du droit individuel de dépôt d’amendements, de la liberté de parole individuelle ? Bien évidemment non ! Le prétendre serait une escroquerie intellectuelle.

Notre position est très simple. Comme nous avons la chance – sauf cet après-midi ! – d’avoir une opposition qui n’abuse pas de son droit de parole et s’exprime de façon mesurée et démocratique, en respectant les points de vue des uns et des autres, nous n’avons aucun intérêt à inscrire dans notre règlement intérieur une disposition de ce genre.

Debut de section - PermalienPhoto de Hugues Portelli

Toutefois, je me mets à la place de nos amis députés. Personnellement, je serais totalement incapable de supporter en séance des situations de ce genre. Par conséquent, je comprends parfaitement qu’ils aient intégré une disposition comme celle-là dans le projet de loi organique.

Soyons honnêtes ! Sous la Ve République, le législateur principal est l’Assemblée nationale et cela pour une raison très simple : elle a le dernier mot en cas de désaccord entre les deux chambres ! Il est donc normal qu’elle veille à ce qu’à l’avenir ses travaux ne soient plus sabotés, car c’est bien de sabotage qu’il s’agit, par le dépôt de dizaines, voire de centaines, de milliers d’amendements sur un texte.

N’oubliez pas, mes chers collègues, le point de départ de notre raisonnement. Ce n’est pas la contestation du droit de parole, c’est la question de l’abus du droit d’amendement.

Debut de section - PermalienPhoto de Hugues Portelli

M. Hugues Portelli. Avec la révision constitutionnelle de 2008, avec le rétablissement de l’initiative parlementaire et l’examen en séance du texte issu des travaux de la commission, cet abus du droit d’amendement n’est plus tolérable !

Applaudissements sur les travées de l ’ UMP et sur certaines travées de l ’ Union centriste.

Debut de section - PermalienPhoto de Jean-Louis Carrère

Les lois de circonstance sont toujours très mauvaises !

Debut de section - PermalienPhoto de Roger Romani

La parole est à Mme Bernadette Bourzai, sur l'article.

Debut de section - PermalienPhoto de Bernadette Bourzai

Monsieur le président, monsieur le secrétaire d’État, mes chers collègues, la qualité d’une loi dépend largement des conditions de son élaboration.

Si l’obstruction parlementaire ne peut empêcher une majorité de faire voter une loi, en revanche l’utilisation par le Gouvernement de manœuvres de procédure pour contourner l’obstruction, comme le vote bloqué ou l’application de l’article 49, alinéa 3, a récemment abouti à de mauvaises lois qui furent censurées par le Conseil constitutionnel ou inappliquées. Souvenez-vous du cas exceptionnel du CPE ! À l’instant même où le Président de la République d’alors promulguait la loi, il s’engageait à ne pas l’appliquer !

Que dire d’ailleurs du présent article ? Le principal argument que l’on nous avance pour le voter est qu’il ne sera pas appliqué. Si l’on n’applique pas une loi, c’est qu’elle est mauvaise, et si on la reconnaît telle avant de la voter, alors il ne faut pas l’adopter !

Sur le fond, l’un des problèmes, et non des moindres, posé par cet article est de n’accorder d’importance qu’à la quantité des lois au détriment de leur qualité. Permettez-moi de confronter ce qui est prévu dans cet article à l’utilité du travail législatif en séance publique.

La conception unanime des acteurs et des commentateurs de la vie politique est qu’un nombre restreint de lois de qualité, bien appliquées et donc utiles à nos concitoyens, est préférable à un grand nombre de lois. Malheureusement, l’actuel Gouvernement multiplie les lois aux seules fins d’affichage. On aboutit ainsi à des lois sans portée normative ou redondantes avec d’autres lois ou règlements, et finalement inappliquées.

Lorsque les gesticulations tiennent lieu d’action, il est fatal que celui qui gesticule en vienne à chercher à crédibiliser son comportement en l’associant à la solennité du passage par le Parlement. Tel est l’objectif visé à l’article 13 !

Les lois qui seraient discutées selon la procédure permise par cet article 13 le seraient dans la négation de ce qui fonde le caractère républicain de la représentation parlementaire, c’est-à-dire la confrontation démocratique des attentes de tous nos concitoyens. Sans doute cette pratique longuement élaborée au cours de l’histoire apparaît-elle ringarde au Gouvernement et à son inspirateur, le Président de la République...

Limiter le temps consacré à l’examen d’un texte aura une conséquence très simple et très grave : toutes les idées, les initiatives, les observations, les propositions et les contre-propositions de nos concitoyens, dont chaque parlementaire est susceptible de se faire le porte-parole pour les traduire dans la volonté générale, ne pourront être exprimées dans toute leur richesse. La loi n’en sera que plus pauvre et plus réductrice. Gageons qu’elle sera plus faite pour le monde que nous renvoient les médias que pour le monde tel qu’il est et dont la représentation démocratique par des assemblées élues est encore la moins mauvaise représentation.

Avec l’article 13, des parties entières de la population seront négligées. Elles seront renvoyées dans l’ombre, parce que les parlementaires chargés de représenter la société française dans sa diversité sociale, politique, géographique ou culturelle ne pourront plus tous avoir accès au débat législatif en séance publique, dès lors que le temps limite sera écoulé.

L’article 13 va introduire une inégalité entre parlementaires et, à travers eux, entre nos concitoyens, en créant une distinction entre les parlementaires qui auront pu participer à l’élaboration d’une loi et ceux qui ne l’auront pas pu, faute de temps.

Au demeurant, prévoir des béquilles par les articles 13 bis et 13 ter, c’est-à-dire un temps minimal pour des orateurs de l’opposition ou des minorités parlementaires, une sorte d’exception qui confirme la règle du bâillonnement, ne changera rien au fait que tous les parlementaires, de l’opposition comme de la majorité, ne pourront pas participer à l’enrichissement du texte dès lors que le temps global sera épuisé. L’article 13 institutionnalise l’absentéisme parlementaire et cette incitation ne revigorera guère l’image de la vie politique aux yeux de nos concitoyens.

L’article 13 revient sur toute la construction du droit parlementaire depuis le XIXe siècle et ce qu’il a tendu à assurer : l’égalité entre chaque parlementaire, dont le rôle individuel est garanti par la Constitution.

L’instauration du temps global que l’on nous propose n’a rien à voir avec l’encadrement du temps de parole individuel lors de la discussion des articles ou des amendements. Cet encadrement vise à ce qu’aucun parlementaire ne puisse monopoliser la parole au détriment des autres. L’encadrement du temps de parole individuel pour chaque disposition examinée ne fait rien d’autre que traduire en droit parlementaire le principe qu’énonce l’article IV de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen de 1789 sur la liberté des uns qui ne doit pas entraver celle des autres. Or c’est précisément ce que l’article 13 est en train de fabriquer, à l’envers !

J’en reviens ici à la question de la qualité de la loi.

Quel sens cela aura-t-il de passer au vote d’amendements sans en avoir débattu de manière publique, en séance ? Contrairement à d’autres assemblées – en tant que députée européenne, je pense au Parlement européen où les réunions de commissions, qui sont publiques, sont très suivies –, les débats en commission ne sont pas publics et chaque parlementaire ne peut siéger que dans une commission.

La séance publique permet à ceux qui le souhaitent d’intervenir sur des sujets qui ne sont pas forcément ceux de la commission dont ils sont membres, mais sur lesquels ils souhaitent réagir. Les amendements de l’opposition sont rarement votés. Mais, en séance, le rôle de l’opposition, comme de chaque parlementaire, sénateur ou député, ne se réduit pas à proposer et à voter ou non des amendements. Il consiste à débattre avec les autres membres de son assemblée et avec le Gouvernement, à conduire celui-ci à préciser sa position sur l’interprétation de ce que l’on est en train de voter, à obtenir de celui-ci des engagements, en échange desquels des amendements sont souvent retirés.

Les parlementaires arrivent peut-être à faire avancer plus d’idées par la discussion d’amendements qui seront retirés au terme de leur discussion que par le vote d’amendements, a fortiori d’amendements dont l’intérêt n’aurait pas été éclairé par un débat.

C’est une autre vertu du débat parlementaire public que de permettre à tous ceux qui ont un doute sur l’interprétation d’une loi obscure, et souvent obscure car votée dans la précipitation, de se référer à son compte rendu pour comprendre l’intention objective du législateur. Le rôle d’éclairage et de prospective du débat parlementaire est si évident que notre Constitution comprend une disposition permettant à chaque parlementaire de faire reculer le domaine de l’ambiguïté en allant au fond des choses, plus que cela est permis à tout citoyen.

L’article 26 de la Constitution précise : « Aucun membre du Parlement ne peut être poursuivi, recherché, arrêté, détenu ou jugé à l’occasion des opinions ou votes émis par lui dans l’exercice de ses fonctions. » La République se donne les moyens d’évoquer ce qu’elle peut vouloir réprouver.

Debut de section - PermalienPhoto de Bernadette Bourzai

Bien volontiers !

Cet article révèle une obsession de la mise au pas et une défiance envers le pluralisme qui, pour ne pas être nouvelles de la part du Gouvernement, n’en sont pas moins préoccupantes.

Ce n’est pas parce que la parole omniprésente du Président de la République ne porte plus dans l’opinion qu’il faut empêcher toute autre parole d’avoir de l’effet.

Ce n’est pas parce que le Président de la République s’agite plus qu’il n’agit qu’il faut empêcher la représentation nationale de faire de bonnes lois, en fixant, par le couperet du temps limite, un numerus clausus de parlementaires pouvant participer à l’élaboration de la loi.

Parce que l’article 13 et ses scories font de la démocratie une exception octroyée, il faut empêcher que ce texte ait sa place dans notre droit.

Applaudissements sur certaines travées du groupe socialiste et du groupe CRC-SPG.

Debut de section - PermalienPhoto de Roger Romani

M. le président. La parole est à M. le secrétaire d'État.

Ah ! sur les travées de l’UMP.

Debut de section - Permalien
Roger Karoutchi, secrétaire d'État chargé des relations avec le Parlement

Monsieur le président, mesdames, messieurs les sénateurs, je ne répondrai pas à chacun d’entre vous. Vous avez été si nombreux à intervenir que, si j’essayais, je pourrais me perdre dans les méandres de la pensée.

Debut de section - Permalien
Roger Karoutchi, secrétaire d'État

Vous parlez des intervenants ?...

J’ai entendu des choses intéressantes, mais aussi des inexactitudes.

Pour commencer, qu’en est-il de l’évolution du débat démocratique ? J’ai entendu beaucoup de choses sur Louis-Napoléon Bonaparte, le Directoire et les débuts de la iiie République.

Debut de section - Permalien
Roger Karoutchi, secrétaire d'État

Chacun a fait sa petite leçon d’histoire. Je pourrais faire la mienne, …

Debut de section - Permalien
Roger Karoutchi, secrétaire d'État

… mais je préfère l’éviter.

À mon sens, la révision constitutionnelle a d’ores et déjà entraîné des conséquences tangibles. Les présidents de groupe, les vice-présidents, les présidents de commission et les questeurs qui siègent à la conférence des présidents du Sénat pourraient d’ailleurs en témoigner.

J’entends souvent dire : « Vous avez prétendu donner plus de pouvoirs au Parlement, mais tout ça, c’est grelots et pipeaux ! »

Debut de section - Permalien
Roger Karoutchi, secrétaire d'État

Peut-être, mais n’empêche que le secrétaire d’État chargé des relations avec le Parlement, qui participe à la conférence des présidents, disposait jusqu’ici de la totalité de l’ordre du jour ; il en a désormais la moitié. L’autre moitié, c’est la conférence des présidents qui en décide : une semaine peut être consacrée au contrôle, une autre à l’initiative législative.

Je n’ai d’ailleurs rien à y redire, puisque j’ai fait voter cette révision constitutionnelle. Je suis donc favorable au nouveau système, qui donne incontestablement plus de pouvoirs au Parlement d’un point de vue matériel.

Debut de section - Permalien
Roger Karoutchi, secrétaire d'État

Monsieur Carrère, je vous ai écouté avec attention sans vous interrompre.

Debut de section - Permalien
Roger Karoutchi, secrétaire d'État

C’est inutile, vous le ferez plus tard !

Le Parlement, et donc le Sénat, disposera d’une semaine de contrôle qu’il organisera comme il l’entend, par exemple en demandant à entendre les ministres, pour faire un bilan des politiques menées. Il organisera également à sa manière la semaine d’initiative législative, sans que le Gouvernement puisse bloquer ou empêcher quoi que ce soit, ce qui n’est d’ailleurs pas son objectif. Naturellement, les membres du Gouvernement seront à la disposition du Sénat comme de l’Assemblée nationale pour l’organisation de cette seconde moitié de l’ordre du jour, décidée par les assemblées elles-mêmes.

À ce moment-là, on nous dit : « Bon ! le Parlement pourra maîtriser la moitié de l’ordre du jour, très bien, n’en parlons plus ! Mais, sur la moitié qui lui reste, le Gouvernement n’accorde rien de plus ».

Et pourtant, un texte ne pourra plus désormais être étudié dans l’hémicycle moins de six semaines après son dépôt par le Gouvernement sur le bureau de l’assemblée concernée. La commission compétente disposera donc, constitutionnellement, de six semaines pour étudier le texte qui lui sera transmis, quel qu’il soit. Aujourd’hui, le délai habituel est en moyenne de deux à trois semaines.

Mieux, c’est le texte élaboré par la commission qui sera examiné dans l’hémicycle et non pas le texte du Gouvernement. Par conséquent, non seulement on donne deux fois plus de temps aux commissions pour examiner un texte, mais on choisit aussi de faire porter le débat en séance publique sur des textes qui auront été modifiés par elles, si l’on excepte le cas des projets de loi de finances et des projets de loi de financement de la sécurité sociale. En commission, il pourra y avoir autant de débats que les commissaires le souhaiteront.

On reproche ensuite au Gouvernement d’avoir « tout en main » au moment où le texte est examiné dans l’hémicycle. Comment dire une chose pareille alors qu’il a choisi de lui-même de restreindre l’utilisation de l’article 49, alinéa 3 !

Debut de section - Permalien
Roger Karoutchi, secrétaire d'État

Je le rappelle, certains prônaient sa suppression pure et simple, tandis que d’autres souhaitaient le conserver en l’état.

Vous dites avoir affaire à un Gouvernement qui « impose », mais puis-je vous faire remarquer, mesdames, messieurs les sénateurs, que, depuis le début de cette législature et la nomination de ce Gouvernement – c'est-à-dire depuis environ vingt et un mois –, l’article 49, alinéa 3, de la Constitution n’a jamais été utilisé ? Il l’avait été dix-sept fois entre 1981 et 2006. Pour un Gouvernement qui impose et ne veut pas débattre, c’est paradoxal !

Debut de section - Permalien
Roger Karoutchi, secrétaire d'État

De la même manière, nous n’avons jamais utilisé le vote bloqué.

Debut de section - Permalien
Roger Karoutchi, secrétaire d'État

Comment pouvez-vous dire que nous diminuons les droits du Parlements ? Voyons ! Nous sommes disposés à encadrer le « 49-3 », nous n’avons pas utilisé le vote bloqué, …

Debut de section - Permalien
Roger Karoutchi, secrétaire d'État

… nous avons instauré un ordre du jour partagé et c’est le texte de la commission qui doit être étudié dans l’hémicycle…

La révision constitutionnelle a prévu qu’une loi organique détermine le cadre dans lequel seront fixées les dispositions relatives au droit d’amendement. Le Gouvernement présente donc ce texte à l’Assemblée nationale et au Sénat. À ce propos, monsieur Frimat – je le rappelle indépendamment de tout souci de préséance – ce n’est pas la conférence des présidents qui a demandé que l’article 13 soit mis à l’ordre du jour d’aujourd’hui, mais bien le Gouvernement.

La révision constitutionnelle avait également prévu que les propositions de résolution devaient faire l’objet d’une loi organique qui prévoit leur dépôt. Cependant, ce sont les règlements du Sénat et de l’Assemblée nationale qui décideront de la manière dont elles seront étudiées. Il en ira de même des procédures simplifiées.

Comme je l’ai dit à l’Assemblée nationale, je suis sincèrement étonné de l’ampleur que prend cet article 13, qui n’avait pas vocation à faire l’objet d’une aussi grande attention.

Je ne reviens pas sur l’article 49, alinéa 3, ni sur tout ce qui a été dit à ce propos. Je souhaite simplement remettre les choses à leur place.

L’article 13 vise simplement à ouvrir une possibilité qui avait été évoquée clairement lors de la révision constitutionnelle et qui faisait l’objet d’une proposition du comité Balladur.

L’avant-projet de modification du règlement de l’Assemblée nationale qui permettra de mettre en œuvre cet article 13 est en cours de négociation. Le groupe de travail doit d’ailleurs se réunir demain sous la présidence de Bernard Accoyer. Si les groupes ne se sont pas définitivement mis d’accord, ils ont au moins donné un accord de principe au texte qui leur a été proposé. Par conséquent, la situation évolue. Et ce n’est pas le Gouvernement qui a les clés de cette négociation !

Il faut aussi considérer que le droit parlementaire – permettez à un ancien membre de la Haute Assemblée de l’affirmer – est un droit vivant, sans doute le plus vivant, fait de pratiques, de précédents, d’usages, de tolérance. Je crois que rien n’est figé par les règlements et que la pratique permettra de donner toute la souplesse nécessaire au bon fonctionnement d’un mécanisme qui peut a priori sembler rigide.

En effet, le temps programmé, qui est sous-entendu dans l’article 13, peut être envisagé de deux manières différentes, qui ne sont pas incompatibles.

La première est celle du mode consensuel. Le temps programmé serait un moyen de répondre à la question : « Comment organiser les travaux en séance ? » J’ai encore l’espoir qu’on puisse trouver un gentlemen’s agreement entre tous les groupes, notamment à l’Assemblée nationale, puisque le Sénat a d’ores et déjà œuvré en ce sens. L’idée est de permettre à chaque groupe, à chaque parlementaire, de mieux s’organiser pour atteindre un seul objectif : valoriser le travail en séance.

Je l’ai dit tout à l’heure, le travail en commission sera plus étendu, donc plus lourd. Je m’en excuse auprès des présidents de commission et de tous les commissaires régulièrement présents.

Sourires

Debut de section - Permalien
Roger Karoutchi, secrétaire d'État

J’entends souvent dire que ces travaux ne seront pas publics. Je précise que la révision constitutionnelle permet aux commissions d’être publiques si elles le souhaitent. Rien ne leur est interdit, chaque commission décidera de la manière dont elle travaillera.

En tout cas, il est évident qu’à l’Assemblée nationale les travaux sont trop souvent déséquilibrés. Vous le savez, beaucoup de temps est consacré aux premiers articles ; on « met en route le texte ». Ainsi, on met quatre jours pour examiner ses dix premiers articles, et puis, après accord entre la majorité et l’opposition – je le dis sans aucune agressivité envers quiconque –, on décide d’en finir et on précipite l’examen des derniers articles. J’ai pu constater que, sans avoir rien demandé, mais à la suite d’une entente intervenue au sein de l’hémicycle, quatre cents amendements pouvaient être « évacués » en deux heures.

Debut de section - Permalien
Roger Karoutchi, secrétaire d'État

Telle est dans certains cas la vraie pratique parlementaire ! Est-ce ce que nous souhaitons ? Non, bien entendu !

Messieurs Fauchon, Mercier, Collin, le Gouvernement estime simplement que chaque règlement intérieur doit permettre un mode de fonctionnement harmonieux qui puisse favoriser un débat démocratique de fond. Personne ne veut empêcher que le débat ait lieu !

Si la durée d’examen des textes par les commissions a été allongée, c’est pour leur permettre d’adopter un texte plus abouti, qui fera l’objet du débat dans l’hémicycle. Le travail effectué par la commission sera ensuite valorisé dans l’hémicycle. Pour cette raison, nous avons précisé que les amendements pourraient être examinés en commission ou dans l’hémicycle. En effet, selon nous, le travail dans l’hémicycle doit porter sur des amendements « lourds », qui donnent lieu à un véritable débat politique de fond et qui intéressent les sénateurs ou les députés.

C’est d’ailleurs par ce biais que les hémicycles se rempliront. Pour ma part, je me bats régulièrement dans les médias contre les critiques portant sur l’absentéisme parlementaire. Je suis en effet convaincu que les parlementaires se dévouent énormément dans les commissions et dans les groupes de travail.

Debut de section - Permalien
Roger Karoutchi, secrétaire d'État

Les juger sur leur simple présence dans l’hémicycle est une aberration.

Debut de section - Permalien
Roger Karoutchi, secrétaire d'État

Cependant, quand on dépose dans une assemblée 1 000, 10 000, 50 000 ou 120 000 amendements, on décourage quelque peu les parlementaires d’assister aux séances, ce qui nuit à la bonne image du Parlement.

Je ne suis pas convaincu que, sur la base de 500, voire de 800 amendements importants, on n’ait pas la capacité d’avoir un vrai débat démocratique. Franchement, je ne pense pas qu’il soit préférable pour le débat d’en examiner 120 000, …

Debut de section - Permalien
Roger Karoutchi, secrétaire d'État

… et que le fait de ne pas tous les défendre étoufferait l’expression démocratique ! N’oublions pas que la Constitution nous impose des délais pour l’examen du projet de loi de finances. Et cela ne marche pas si mal !

Mesdames, messieurs les sénateurs, permettez-moi de vous lire quelques mots qui, je vous rassure par avance, ne me sont pas imputables ; je n’ai pas pour habitude de me citer.

« Le filibustering n’est pas lié à la démocratie parlementaire, il en est la maladie infantile. Il dessert la fonction législative. Le fait que certains de mes prédécesseurs se soient laissés aller à l’organiser lorsque nous étions dans l’opposition n’implique pas que je les comprenne ; encore moins que je les approuve. […]

« L’Assemblée nationale fonctionne mal. Et cela nourrit l’antiparlementarisme. Je comprends que les députés socialistes se lassent de voir leurs emplois du temps bouleversés par l’anticipation de ces moments d’embuscade ou par l’étirement des débats : cette situation entrave le bon exercice de leur mandat.

« L’opposition ne renoncera pas, non à ses droits, mais à son harcèlement : c’est ce qu’on fait quand on n’a rien à dire.

« La majorité voudra-t-elle, non diminuer la nécessaire expression de l’opposition, mais instaurer les conditions d’un fonctionnement normal et plus moderne du débat législatif ? »

Ces propos ne remontent pas à la IVe République ou à des temps plus anciens, ils ont été prononcés par le président Jean-Marc Ayrault, il y a quelques années, alors qu’un gouvernement de gauche dirigeait ce pays ! Le président Ayrault estimait donc, même avant de connaître des textes à 120 000 amendements, que l'Assemblée nationale ne pouvait pas continuer de fonctionner comme elle le faisait alors. Volontairement, je n’ai pas fait référence à la proposition de M. Jean-Pierre Bel, dont je veux bien admettre qu’elle était, à certains égards, plus équilibrée.

J’en reviens au texte.

Monsieur Mercier, le mécanisme du temps programmé est conforme à la Constitution, pour plusieurs raisons.

Tout d’abord, il a été évoqué lors des débats sur la révision constitutionnelle devant les deux chambres. Je l’ai fait moi-même et M. Bernard Accoyer a fait de même lors de la première lecture à l’Assemblée nationale. La proposition n° 33 du comité Balladur prévoyait, quant à elle, que « chaque assemblée aurait la capacité de fixer, de manière concertée, une durée programmée des débats pour éviter l’obstruction ». Pour notre part, nous n’avons pas mentionné ce dernier objectif, le nouvel article 44 de la Constitution disposant que le droit d’amendement « s’exerce en séance ou en commission selon les conditions fixées par les règlements des assemblées, dans le cadre déterminé par une loi organique ». Lors des débats, il a été clairement établi que cette rédaction ouvrirait la voie aux procédures simplifiées et au temps programmé.

Ensuite, je rappelle que cette procédure a existé jusqu’en 1969 sans que le Conseil constitutionnel ait jamais remis en cause sa conformité à la Constitution.

Ce n’est que si ce système avait pour conséquence de bafouer les droits de l’opposition, des groupes minoritaires ou des parlementaires pris individuellement que l’on pourrait douter de sa constitutionnalité. Ce point rejoint les appréciations portées par MM. Fauchon et Mercier, ainsi que plusieurs de leurs collègues.

Je vous rappelle au demeurant que la loi organique sera automatiquement soumise au Conseil constitutionnel.

Debut de section - Permalien
Roger Karoutchi, secrétaire d'État

Exactement, et le Conseil appréciera sans doute sévèrement toute disposition excessive figurant dans le règlement du Sénat ou dans celui de l'Assemblée nationale.

J’entends dire : nous sommes peut-être tranquilles pour aujourd’hui, mais cela ne garantit rien pour demain. D’abord, la loi organique ne permet pas d’aller trop loin, ensuite, le Conseil constitutionnel vérifiera que les règlements, quelles que soient les majorités au pouvoir, respectent effectivement ce droit fondamental qu’est le droit d’amendement.

J’ajoute que le Conseil constitutionnel sera aussi amené à connaître des lois auxquelles on appliquerait le temps programmé. Il censurerait donc vraisemblablement une loi qui aurait été examinée dans des conditions incompatibles avec les droits que je viens d’énoncer. C’est d’ailleurs tout l’intérêt des dispositions de l’article 13 bis, qui imposent clairement aux règlements de respecter les droits des groupes d’opposition et des groupes minoritaires pour ce cas spécifique. Je vous rappelle que le nouvel article 51-1 de la Constitution a, pour la première fois, reconnu l’existence et le travail de ces groupes. Le Conseil constitutionnel disposera ainsi d’une accroche très claire pour censurer tout abus.

Bien évidemment, le droit d’amendement demeure un droit individuel, monsieur Fauchon. Les amendements ne transiteront pas par les groupes. Il appartiendra simplement à ceux-ci d’organiser une sorte d’autodiscipline en leur sein. Cela ne me paraît pas insensé dans une assemblée au sein de laquelle le débat dans l’hémicycle s’engagera sur le texte élaboré par la commission, et non sur celui du Gouvernement. Ce dernier devra alors déterminer son attitude face à un texte qui ne sera pas le sien, et un vrai débat s’engagera. Chaque parlementaire pourra déposer ses amendements sans droit de regard de son groupe et s’exprimer ensuite en séance. Il appartiendra simplement à chacun de faire preuve, sinon d’autodiscipline, du moins d’une certaine rapidité, dans un esprit de courtoisie et de responsabilité.

Reste bien sûr le cas de l’obstruction massive, que l’on peut connaître à l’Assemblée nationale. On prétend que le temps programmé va empêcher les parlementaires de s’exprimer. Mais, rappelez-vous, lorsque 15 000, 20 000 ou 100 000 amendements étaient déposés sur un projet de loi, le Gouvernement n’avait d’autre choix que de recourir à ces armes atomiques que sont l’article 49, alinéa 3, ou le vote bloqué, avec des conséquences bien pires pour le droit d’amendement, puisque le débat était immédiatement interrompu et que bien des amendements ne pouvaient, dès lors, ni être présentés ni être mis aux voix.

Debut de section - Permalien
Roger Karoutchi, secrétaire d'État

Oui, mais, d’une part, le recours à l’article 49, alinéa 3, a été considérablement restreint par la dernière révision constitutionnelle et, d’autre part, en ce qui nous concerne, nous n’avons jamais utilisé ces procédures. On peut toujours me rétorquer que nos successeurs pourront le faire. Certes, c’est une vraie question…

En tout cas, les discussions qui ont lieu aujourd’hui à l’Assemblée nationale autour du président Accoyer montrent que, en dehors des cas d’obstruction massive, le temps qui sera attribué à chaque groupe sera large et profitera, en particulier, aux groupes d’opposition et minoritaires. En effet, un temps identique sera attribué à chacun des groupes, auquel s’ajoutera un temps proportionnel à leur importance. Il s’agit quand même d’une avancée significative.

Debut de section - Permalien
Roger Karoutchi, secrétaire d'État

Les groupes d’opposition et minoritaires n’y perdront pas, y compris les grands groupes. Seul le groupe majoritaire sera légèrement perdant.

Ce matin, lors de la conférence des présidents de l'Assemblée nationale, un accord a été trouvé sur la répartition des questions au Gouvernement. Jusqu’ici, ces questions étaient réparties à la proportionnelle. La majorité et l’opposition se les partageront désormais par moitié. Un équilibre a donc été trouvé, et je vois que le président Louis Mermaz sait de quoi je veux parler.

Si l’on regarde le nombre d’amendements déposés habituellement sur un texte, il est clair, monsieur Mercier, que ceux-ci pourront être normalement discutés et mis aux voix. La présentation des amendements est un élément important du débat. J’insiste sur le fait que l’article 13 n’entend nullement porter atteinte au temps dont disposent les parlementaires pour présenter leurs amendements.

Debut de section - Permalien
Roger Karoutchi, secrétaire d'État

Il ne pourra évidemment pas en aller ainsi si 120 000 amendements sont déposés sur un texte. De toute façon, le recours au vote bloqué ou à l’article 49-3 ne le permettait pas non plus. À condition de rester dans un cadre normal, le temps de discussion des amendements sera donc large à l'Assemblée nationale et ne sera nullement contraint au Sénat, dont le fonctionnement est un peu différent. Qui pourrait d’ailleurs imaginer que les parlementaires de l’opposition, mais aussi et surtout ceux de la majorité, accepteraient une telle restriction ?

L’hypothèse ultime d’une mise aux voix sans discussion est réservée aux cas où des dizaines de milliers d’amendements auraient été déposés. Mais ce problème se posait déjà sans l’article 13.

Je tiens à rassurer chacun d’entre vous et à réaffirmer l’importance du droit d’amendement et la nécessité de pouvoir discuter aussi bien en commission qu’en séance.

De même, le droit de sous-amender demeure, évidemment. Dans le cas de figure où un parlementaire souhaiterait sous-amender un amendement qui ne pourrait plus être défendu par un groupe dont le temps programmé serait épuisé, il faudrait que ce groupe retrouve du temps de parole pour défendre cet amendement que l’on propose de sous-amender. Je le dis pour le Conseil constitutionnel.

Debut de section - PermalienPhoto de Jean-Louis Carrère

Nous allons systématiquement sous-amender et ce sera réglé !

Debut de section - Permalien
Roger Karoutchi, secrétaire d'État

Il faut être pragmatique. Je ne crois absolument pas que l’on puisse enserrer le débat dans un carcan absolu. Simplement, le Gouvernement cherche sincèrement à rendre le débat démocratique plus lisible et plus visible, en lui laissant le temps de se dérouler, aussi bien en commission que dans l’hémicycle, mais aussi en cherchant à éviter les quelques rares dérives auxquelles on a assisté à l'Assemblée nationale.

Le temps programmé ne s’appliquera que de manière souple et claire ; c’est d’ailleurs ce qui a été acté entre le président Accoyer et les présidents de groupe. Il ne faut imaginer ni le couperet, ni le bâillon, mais une organisation harmonieuse permettant à chacun de mieux travailler au Parlement.

Bravo ! et applaudissements sur les travées de l ’ UMP, ainsi que sur certaines travées de l ’ Union centriste et du RDSE.

Debut de section - PermalienPhoto de Roger Romani

Je suis saisi de trois amendements identiques.

L'amendement n° 53 est présenté par Mmes Boumediene-Thiery, Blandin et Voynet et MM. Desessard et Muller.

L'amendement n° 121 est présenté par Mmes Borvo Cohen-Seat, Assassi, Mathon-Poinat et les membres du groupe Communiste, Républicain, Citoyen et des Sénateurs du Parti de Gauche.

L'amendement n° 181 est présenté par MM. Frimat, Bel, Mermaz, Sueur, Rebsamen et Michel, Mme Bonnefoy, MM. Anziani, Bérit-Débat, Bodin, Collombat, C. Gautier et Godefroy, Mme Klès, MM. Mahéas, Peyronnet, Povinelli et Sutour, Mme Tasca, MM. Tuheiava, Yung et les membres du groupe Socialiste et apparentés.

Ces trois amendements sont ainsi libellés :

Supprimer cet article.

La parole est à Mme Alima Boumediene-Thiery.

Debut de section - PermalienPhoto de Alima Boumediene-Thiery

Nous avons déjà défendu en grande partie cet amendement dans le cadre de nos prises de parole sur l’article.

Debut de section - PermalienPhoto de Alima Boumediene-Thiery

Je souhaite néanmoins ajouter un commentaire qui, je pense, relève du bon sens.

Depuis le début du débat, on nous dit que cet article 13 ne concernerait pas le Sénat. Nous débattrions donc d’une disposition qui n’intéresserait que l’Assemblée nationale, puisque les sénatrices et sénateurs seraient plus disciplinés que leurs collègues députés.

Debut de section - PermalienPhoto de Alima Boumediene-Thiery

Nous prenons acte de cette désolidarisation de l’objet et de l’esprit de l’article 13 du projet de loi organique et de cette volonté de ne pas le voir appliqué aux travaux de la Haute Assemblée.

Toutefois, nous nous retrouvons bien aujourd’hui pour voter cet article d’un projet de loi qui a vocation à s’appliquer à l’ensemble du Parlement, et je rappelle que ce dernier comprend deux chambres, dont la nôtre.

De la décision du Sénat découlera la réouverture du débat ou pas. Il nous appartient de décider si le débat est clos ou si cet article n’est pas acceptable en l’état. Et, même si cet article ne nous concernait pas, il concernerait tout de même tous les Français, car ce sont eux qui confient à leurs députés le soin de les représenter. Ce sont eux, en conséquence, que l’on prive de la possibilité de s’exprimer sur des questions les intéressant. Ce sont eux qui pâtiront de cette restriction au droit des parlementaires de discuter et d’améliorer la loi.

Au demeurant, arrêtons de dire que cet article ne nous concerne pas ! Si, un jour, la procédure devait être également instaurée au Sénat, que dirions-nous alors ?

En tout cas, si cette disposition porte atteinte à l’autonomie des assemblées, comme beaucoup ici le pressentent, il serait préférable de la supprimer.

Debut de section - PermalienPhoto de Nicole Borvo Cohen-Seat

Bien entendu, nous nous sommes déjà exprimés sur les raisons qui justifient cet amendement de suppression. Mais le débat et tout particulièrement la longue réponse de M. le secrétaire d’État, au travers de laquelle il a tenté de nous expliquer que le Gouvernement n’avait nullement l’intention de brider les parlementaires, comme l’intervention de M. Portelli, qui n’a rien trouvé de mieux que de traiter nos collègues députés de malades pour justifier l’action du Gouvernement, appellent quelques commentaires.

Monsieur le secrétaire d'État, avec votre bonhomie habituelle, vous nous expliquez que, malgré la révision constitutionnelle, qui, d’ailleurs, selon vous, offrirait de nouveaux droits au Parlement, malgré le présent projet de loi organique, par lequel vous vous apprêtez à réduire le temps de parole des parlementaires, le Gouvernement n’a pour seule volonté que de permettre aux parlementaires de s’exprimer davantage.

Vous avouerez que, en cette période de crise économique et sociale très grave, cette bonne volonté du Gouvernement est difficile à croire, surtout si l’on en juge par la manière dont le Premier ministre et le secrétaire d’État chargé de l’outre-mer gèrent le mouvement social qui traverse actuellement les départements d’outre-mer, mouvement qui prend de l’ampleur et dont les acteurs ne se satisfont pas des promesses qui leur sont faites.

Certes, le Président de la République, qui, nul n’en doute, est le chef du Gouvernement, après être intervenu durant quatre-vingt-dix minutes voilà quelques jours à la télévision, s’exprimera de nouveau par le même biais demain ou après-demain. Mais pour autant, aucun débat n’est prévu au Parlement et aucune information ne lui est transmise.

Pardonnez-moi, mais nous ne pouvons aucunement vous croire, monsieur le secrétaire d'État, lorsque vous nous affirmez que le Président de la République et le Gouvernement ont la volonté de rendre les parlementaires plus actifs dans la vie politique.

Pourquoi toutes ces explications ? Pour essayer de justifier ce projet de loi organique visant à limiter le droit de parole des parlementaires ! En fait, l’ensemble de vos propos nous confortent dans l’idée qu’une loi organique n’est pas nécessaire et que le règlement de chaque assemblée suffit à organiser le déroulement des débats.

À vous entendre, nos concitoyens pourraient croire que, à l’heure actuelle, la parole des députés ou des sénateurs est libre et que ces derniers peuvent parler à satiété. Il n’en est rien ! Des procédures existent actuellement. Mes chers collègues de la majorité, même si vous le réfutez, vous y avez-vous-mêmes eu recours !

Exclamations sur les travées de l ’ UMP.

Debut de section - PermalienPhoto de Nicole Borvo Cohen-Seat

En réalité, vous voulez instaurer un « 49-3 parlementaire ». Or il relève de la responsabilité du Gouvernement d’imposer, s’il le souhaite, à un moment donné, la fin d’un débat. Ensuite, à l’évidence, c’est à la majorité de trancher. Respectueux de la démocratie, nous ne contestons absolument pas cette procédure majoritaire. En revanche, nous refusons que les parlementaires limitent par eux-mêmes leur temps de parole. Vos explications toutes plus longues et plus fumeuses les unes que les autres pour démontrer qu’il n’en est rien ne nous convainquent aucunement.

Exclamations sur les travées de l ’ UMP.

Debut de section - PermalienPhoto de Nicole Borvo Cohen-Seat

J’ajoute que l’article 44 révisé de la Constitution visait sans aucun doute à contourner la décision rendue par le Conseil constitutionnel le 7 novembre 1990, par laquelle les magistrats de la rue Montpensier avaient précisé que, pour que le droit d’amendement soit réel, il fallait que les amendements puissent être défendus et discutés. À l’évidence, je le répète, le nouvel article 44, qui dispose simplement que le droit d’amendement « s’exerce en séance ou en commission », n’a d’autre objet que de contourner cette décision. Chaque amendement doit pouvoir être défendu. Il est certain, quoi que vous prétendiez, que l’impossibilité de défendre un amendement contreviendrait à la jurisprudence du Conseil constitutionnel telle qu’elle résulte de sa décision rendue en 1990.

Debut de section - PermalienPhoto de Nicole Borvo Cohen-Seat

La loi organique ne peut pas, tant soit peu, limiter le droit de défense des amendements des parlementaires, qu’ils soient députés ou sénateurs.

Nous ne sommes pas convaincus par les explications de la majorité ou du Gouvernement, lesquelles, au contraire, nous confortent dans l’idée qu’il vaut mieux supprimer l’article 13 du projet de loi organique. Du reste, mes chers collègues de la majorité, vous reconnaissez vous-mêmes que nos collègues de l’Assemblée nationale appartenant à la majorité aimeraient bien parvenir à un accord, accord dont il n’est pas possible de se passer et auquel ils ne sont pas parvenus lors de la première lecture.

Pour toutes ces raisons, je vous invite, mes chers collègues, à adopter cet amendement de suppression.

Debut de section - PermalienPhoto de Bernard Frimat

M. Bernard Frimat. Je remercie M. le secrétaire d'État de sa réponse et de ses explications.

Murmures continus sur les travées de l’UMP.

Debut de section - PermalienPhoto de Bernard Frimat

Je serais heureux que nos collègues de l’UMP qui n’écoutent pas aient l’obligeance de bien vouloir aller jouer ailleurs…

Debut de section - PermalienPhoto de Roger Romani

Mes chers collègues, nous suspendrons la séance après que le Sénat se sera prononcé sur ces trois amendements identiques. En attendant, je vous demande de bien vouloir laisser s’exprimer M. Frimat et de l’écouter attentivement.

Mon cher collègue, veuillez poursuivre, s’il vous plaît.

Debut de section - PermalienPhoto de Bernard Frimat

Merci, monsieur le président.

Je tiens donc à rendre justice à M. le secrétaire d'État d’avoir accepté, sur la proposition unanime de la conférence des présidents, et à l’instigation du groupe socialiste, que cet article 13 soit examiné cet après-midi. Nous souhaitions en effet que l’examen de cet article par le Sénat donne lieu à un débat de qualité et qu’il permette d’échanger des arguments, ce qui n’avait pas été le cas, à notre grand regret, à l’Assemblée nationale, nos collègues et amis députés socialistes ayant été placés dans l’incapacité d’exposer leurs positions.

Monsieur le secrétaire d'État, vous nous avez fait part de votre point de vue sur cette question du droit d’amendement et je ne doute pas que vous aurez encore l’occasion d’y revenir. Certes, votre position ne souffre d’aucune ambigüité et j’ai l’intuition que vous serez plutôt défavorable, même si cela vous en coûte, aux amendements de suppression de l’article. Néanmoins, j’aimerais savoir précisément ce que vous répondez à Pierre Fauchon, à Michel Mercier et à moi-même lorsque nous vous demandons si la question de la présentation des amendements peut être détachée de celle du droit d’amendement. Vous nous avez dit qu’il sera possible aux parlementaires de présenter des amendements chaque fois que le temps global ne jouera pas. Mais vous ne garantissez rien dans l’hypothèse où le temps global serait dépassé.

Ensuite, bien que vous n’y ayez pas assisté, vous nous avez relaté les débats internes à l’Assemblée nationale sur son règlement. Ce n’est pas notre problème ! Nous examinons le projet de loi organique. Le moment venu, nous discuterons du règlement du Sénat, sur lequel nous avons eu des discussions intéressantes et ouvertes dans le cadre du groupe de travail constitué en vue de sa modification.

Si, aujourd’hui, nous votons conforme l’article 13, comme le propose la commission, le débat ne pourra plus se poursuivre à l’Assemblée nationale. Reconnaissez que c’est bien là ce que vous recherchez ! Si la commission réunie autour de Bernard Accoyer est parvenue à un accord, pourquoi, monsieur le secrétaire d'État, refusez-vous aux députés le droit de rouvrir le débat sur l’article 13 ? Pourquoi ne laissez-vous pas l’Assemblée nationale parvenir à un accord qui garantirait ce que nous demandons, à savoir l’assurance que tout amendement pourra être non pas seulement déposé – ce sera toujours le cas – mais, surtout, présenté ?

Vous ne nous apportez aucune garantie en la matière. Vous vous contentez de dire que, si tout se passe bien, il sera loisible à tout parlementaire de présenter ses amendements. Pour notre part, nous demandons que cette faculté lui soit reconnue dans tous les cas. Certes, la question ne se pose pas au Sénat, mais elle se pose pour nos collègues députés.

Faute d’obtenir cette garantie, nous proposons bien évidemment de supprimer l’article 13. D’ailleurs, mes chers collègues, l’adoption de notre amendement de suppression nous ferait gagner un temps considérable, puisque les autres amendements déposés à l’article 13 deviendraient sans objet, ainsi que les articles 13 bis et 13 ter. Sans doute serez-vous sensible, monsieur le secrétaire d'État, aux efforts que nous déployons pour accélérer les débats !

Sourires

Debut de section - PermalienPhoto de Bernard Frimat

Certes, ce n’est pas « sept d’un coup », mais, le cas échéant, nous gagnerions un temps considérable.

Nouveaux sourires.

Debut de section - PermalienPhoto de Bernard Frimat

Mes chers collègues, la suppression de l’article 13 n’emporterait aucune conséquence néfaste ; en revanche, elle permettrait aux députés, lors de la seconde lecture, de trouver un accord sur sa rédaction. Pourquoi priver nos collègues de la possibilité d’en débattre, s’ils le souhaitent ?

S’agissant de points essentiels du droit parlementaire, toute précipitation est à bannir.

Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et du groupe CRC-SPG.

Debut de section - PermalienPhoto de Jean-Jacques Hyest

Cet après-midi, j’ai entendu de nombreuses références erronées au droit parlementaire. Comme l’ont rappelé certains de nos collègues, notamment ceux qui sont un peu plus anciens, le dispositif visé à l’article 13 était en vigueur sous la IIIe comme sous la IVe République. Du reste, le règlement de l’Assemblée nationale, dans les premiers temps de la Ve République, a reproduit intégralement les dispositions qui étaient en vigueur sous la IVe République. Ce n’est qu’en 1969 que l’Assemblée nationale a supprimé de son règlement un dispositif visant à fixer un temps limite, dispositif que, pour sa part, le Sénat n’a jamais introduit dans son propre règlement.

Je rappelle que, à l’époque, la conférence des présidents décidait souverainement de l’organisation du débat et fixait l’heure limite à laquelle les votes auraient lieu. Cette organisation concernait non seulement les interventions dans la discussion générale, mais aussi les motions, les articles, les amendements, les explications de vote et même les interruptions de séance et les pointages de scrutins dus à l’initiative d’un membre d’un groupe.

Debut de section - PermalienPhoto de Jean-Jacques Hyest

Certes, mais c’était inscrit dans le règlement de l’Assemblée nationale ! Le droit, ce n’est pas seulement ce qui est appliqué, c’est tout ce qui est prévu dans les textes !

Quoi qu'il en soit, à l’époque, personne n’avait considéré que cet article du règlement violait le droit d’amendement tel que vous le définissez aujourd’hui.

Du reste, par différents mécanismes, la commission avait la possibilité de rendre du temps aux groupes. En outre, s’il devenait manifeste, au cours des débats, que les temps de parole étaient devenus insuffisants, l’Assemblée nationale, sur proposition d’un de ses membres, pouvait décider, sans débat, d’augmenter le temps de parole de chaque groupe, et les groupes étaient ainsi en mesure d’utiliser ce temps supplémentaire pour présenter des amendements, ceux qui leur paraissaient évidemment les plus substantiels, pas pour faire de l’obstruction en défendant des amendements purement répétitifs.

En réalité, ce que nous cherchons, c’est avoir des débats organisés. Je signale d’ailleurs que le professeur Marcel Prélot s’est toujours montré très favorable à une organisation des débats. Au demeurant, bien souvent, actuellement, sans le dire, nous faisons en sorte que le débat soit organisé, et c’est heureux !

Mes chers collègues, vous vous souvenez que, lors de la première lecture de la loi constitutionnelle de modernisation des institutions de la Ve République, ainsi que l’a rappelé Alima Boumediene-Thiery, il était prévu de confier au seul règlement des assemblées le soin de déterminer les conditions d’exercice du droit d’amendement. Ce n’est qu’au cours de la navette qu’ont été ajoutés les mots « dans le cadre déterminé par une loi organique ». Comme l’a expliqué M. le secrétaire d'État, l’Assemblée nationale avait dans l’idée de prévoir un temps global de débat sur un certain nombre de textes, conformément à la proposition qu’avait faite en ce sens son président de l’époque, Jean-Louis Debré, en 2006.

Debut de section - PermalienPhoto de Nicole Borvo Cohen-Seat

Absolument ! Mais il avait finalement retiré cette proposition !

Debut de section - PermalienPhoto de Jean-Jacques Hyest

Elle avait été retirée, mais cela montrait bien qu’il y avait une difficulté. Bien sûr, on peut toujours vouloir être en mesure de débattre indéfiniment de tout et dans n’importe quelles conditions, mais, aujourd’hui, les débats parlementaires sont déjà organisés : il y a des temps de parole, parfois assez longs et difficiles à supporter.

Debut de section - PermalienPhoto de Jean-Jacques Hyest

M. Jean-Jacques Hyest, rapporteur. Certes, monsieur Sueur. J’ai d’ailleurs eu souvent l’occasion de constater que vous aimiez beaucoup parler…

Rires et exclamations sur les travées de l’UMP et de l’Union centriste.

Debut de section - PermalienPhoto de Jean-Jacques Hyest

… bien que parfois un peu long ! Je suis d’ailleurs persuadé que vous ne manquerez pas d’expliquer votre vote !

Debut de section - PermalienPhoto de Jean-Jacques Hyest

Si l’Assemblée nationale veut réintroduire de telles dispositions dans son règlement, il faut le prévoir dans le projet de loi organique puisqu’elles doivent être prises « dans le cadre fixé par une loi organique ». Si tel n’avait pas été le cas, l’Assemblée nationale aurait pu inscrire ces dispositions dans son règlement sans qu’il soit nécessaire d’en faire état dans le projet de loi organique.

J’avais mis en garde nos collègues de l’Assemblée nationale. Je leur avais d’abord conseillé de veiller à préserver l’autonomie des assemblées. C’était mon souci permanent et cela doit être notre préoccupation constante en cet instant.

Les députés devront concilier respect du droit d’amendement, peut-être avec quelques aménagements, une présentation brève par exemple, et respect d’un temps global de discussion. Le Sénat ne souhaite pas adopter un tel système, mais, dès lors que l’Assemblée nationale l’a voté et qu’elle souhaite se l’appliquer, ce n’est pas moi qui vais lui imposer de ne pas le faire.

Dans ces conditions, je ne peux qu’être défavorable aux amendements de suppression de l’article 13.

C’est cohérent avec la démarche que nous avons adoptée tant lors de la révision constitutionnelle que dans la discussion du présent projet de loi organique. Il s’agit de laisser la plus grande autonomie possible aux assemblées. N’empêchons pas les autres de faire ce que nous ne voulons pas nous imposer à nous-mêmes.

Debut de section - Permalien
Roger Karoutchi, secrétaire d'État

Je serai bref, car je me suis déjà longuement exprimé sur l’article 13.

L’ancien article 55, alinéa 4, du règlement de l’Assemblée nationale, qui fut applicable entre 1958 et 1969, permettait d’imposer le vote sans débat d’un amendement. Cet article avait été déclaré conforme par le Conseil constitutionnel en l’absence, à l’époque, de toute habilitation constitutionnelle ou organique.

Pour autant, je souhaite livrer un élément à votre réflexion. J’admets bien volontiers que chaque assemblée, dans son règlement, fera l’interprétation qu’elle souhaite de cette question.

Selon l’interprétation de M. Fauchon, la présentation des amendements doit être possible. Cela peut se défendre. Il reviendra à chaque assemblée de livrer sa propre interprétation et de la mettre en œuvre dans son règlement. En tout état de cause, il n’y a pas là pour nous un interdit : c’est effectivement une interprétation envisageable de l’article 13.

Bref, cet article ouvre la possibilité du temps programmé et laisse des marges très larges au règlement des deux assemblées.

C’est pourquoi le Gouvernement s’oppose à la suppression de l’article 13.

Debut de section - PermalienPhoto de Roger Romani

La parole est à M. Jean-Pierre Sueur, pour explication de vote.

Debut de section - PermalienPhoto de Jean-Pierre Sueur

Monsieur le président, il est des moments où l’on doit faire des choix qui ne sont pas sans signification devant l’Histoire. Nous vivons un tel moment.

Ce qui est en jeu, ce sont les libertés parlementaires, …

Debut de section - PermalienPhoto de Jean-Pierre Sueur

… qui constituent un point essentiel de la démocratie et de la République.

Debut de section - PermalienPhoto de Jean-Pierre Sueur

On nous dit que tout cela est très bénin ? Mais alors, pourquoi cette crispation ? Pourquoi cette volonté, monsieur le président de la commission des lois, mesdames, messieurs du groupe UMP, de ne présenter aucun amendement afin que l’Assemblée nationale n’ait plus à discuter de l’article 13 ?

Si l’on inscrit dans la loi que des amendements peuvent, après un temps couperet, être mis aux voix sans discussion, …

Debut de section - PermalienPhoto de Jean-Pierre Sueur

… sans avoir été présentés par leur auteur, sans qu’on ait entendu les avis du Gouvernement et de la commission, sans explication de vote, on entre dans un système très différent de celui que nous connaissons.

On ne peut pas invoquer à cet égard la IIIe ni la IVe République, car les contextes étaient alors très différents, vous le savez parfaitement, monsieur Gélard. L’exécutif a aujourd’hui un poids bien plus important, ce qui doit nous conduire à exercer une vigilance toute particulière quant aux libertés parlementaires et aux droits des parlementaires.

J’en viens à la question de fond qu’a soulevée M. Hyest en déclarant que certains débats sont un peu longs et fatigants.

Debut de section - PermalienPhoto de Jean-Pierre Sueur

Je ne me souviens plus de vos paroles exactes, mais vous vous êtes fait l’écho d’une idée assez communément partagée : nos débats sont trop longs et l’on pourrait en faire l’économie.

Je ne suis pas du tout en accord avec une telle assertion. Je crois profondément au débat parlementaire. J’ai la conviction que c’est parce que nous passons des heures à écouter des interventions sur les amendements des uns et des autres que, peu à peu, se façonne la loi que nous avons pour mission d’élaborer au nom du peuple français.

Chaque mot, chaque ligne, chaque phrase de la loi s’applique, souvent pendant un temps très long, à tous les citoyens et citoyennes de la République française.

Notre travail, même s’il est très facile de le traiter par la dérision, consiste à écrire la loi, dans le feu du débat, avec toute la sincérité qu’y met chacun d’entre nous, en pensant à chaque citoyen que nous représentons. Ce travail est tout à fait essentiel.

La vérité, c’est que le fonctionnement actuel de la Ve République – je pense aux excès du présidentialisme – déséquilibre les choses au profit d’une logique médiatique dans laquelle le Président de la République annonce la bonne parole tous les jours – quitte à en annoncer une autre le lendemain –, précède le Parlement, le devance, le contredit !

Debut de section - PermalienPhoto de Jean-Pierre Sueur

C’est une autre forme de République, et de cette République-là nous ne voulons pas.

Voilà pourquoi le débat sur l’article 13 est très important. C’est en vain que vous vous efforcerez de soutenir qu’il s’agit d’une question mineure, d’une question de procédure.

Certes, monsieur le président de la commission des lois, il y a des temps de parole et des règles qu’il faut bien sûr respecter. Mais, à ce jour, aucune règle ne prive un parlementaire, à quelque groupe qu’il appartienne, de la possibilité de présenter son amendement. Cela n’existe pas et je considère que c’est bien ainsi.

Ce que nous défendons ici ce soir pourra vous servir demain. Nous n’acceptons pas qu’à partir d’un délai, quel qu’il soit, le président de séance – ce sera peut-être vous, monsieur Romani – doive demain énumérer les amendements restant en discussion et énoncer : adopté, rejeté, terminé. Ce n’est pas possible ! Aucun d’entre nous ne peut accepter cela !

C’est pourquoi, dans un ultime effort, avec toute notre conviction, nous vous demandons, mes chers collègues, de ne pas adopter l’article 13, ou au moins d’accepter de le modifier.

Debut de section - PermalienPhoto de Roger Romani

La parole est à M. Michel Charasse, pour explication de vote.

Debut de section - PermalienPhoto de Michel Charasse

Mes chers collègues, je veux revenir aux textes.

La deuxième phrase du premier alinéa de l’article 44 de la Constitution, relatif au droit d’amendement, précise : « Ce droit s’exerce en séance ou en commission selon les conditions fixées par les règlements des assemblées, dans le cadre déterminé par une loi organique. »

Le droit d’amendement, c’est le droit de déposer un amendement et d’obtenir qu’il soit soumis au vote, avec ou sans débat.

Le fait de pouvoir s’exprimer sur un amendement est un élément facultatif d’un droit obligatoire. §

Mes chers collègues, il y a de nombreuses circonstances – à deux heures du matin, par exemple, lorsqu’on en a assez – dans lesquelles les uns et les autres, sur toutes les travées, disent : « l’amendement est défendu ». §

Que veut dire cette disposition ? Le cadre visé au premier alinéa de l’article 44 de la Constitution vise-t-il tout le droit d’amendement ?

Dans l’affirmative, la loi organique, avec l’article 13, est incomplète. Il manque de nombreuses dispositions pour expliquer comment s’exprimer sur un amendement, comment le défendre.

Dans le cas contraire, si le cadre ne vise que les cas d’examen en commission ou en séance, l’article 13 est inutile, car il ne concerne pas cette hypothèse.

Dans ces conditions, je me demande si l’article 13 est vraiment nécessaire.

Debut de section - PermalienPhoto de Michel Charasse

Je me demande s’il est indispensable pour que le Conseil constitutionnel accepte ensuite que son dispositif, qui, personnellement, ne m’indigne pas, soit inséré dans les règlements des assemblées parlementaires.

Debut de section - PermalienPhoto de Michel Charasse

Après tout, comme le rappelait M. Hyest voilà un instant, sous l’empire de la Constitution de 1958, le règlement de l’Assemblée nationale adopté en 1958, dans son article 55, alinéa 4, abrogé en 1969, prévoyait : « Lorsqu’un amendement est ou a été déposé par un membre d’un groupe dont le temps de parole est épuisé, cet amendement est lu par le président et mis aux voix sans débat. » C’est en quelque sorte l’objet de l’article 13.

Le Conseil constitutionnel, à l’époque, sans habilitation constitutionnelle et sans loi organique, a accepté que cette disposition figure dans un règlement parlementaire. Comme M. le président de la commission des lois le faisait observer à juste titre voilà un instant, le Sénat n’a jamais adopté une disposition analogue.

Dès lors que le Conseil constitutionnel a toujours considéré le droit d’amendement comme un droit fondamental, je serais très étonné qu’il ne considère pas aussi que les règlements sont un cadre suffisant pour traiter du point particulier visé par l’article 13, qui, je le répète, ne concerne pas la totalité du droit d’amendement et de ses conditions d’exercice.

À cette heure tardive, monsieur le président, vous voudrez bien m’excuser de poser cette question : l’article 13 est-il vraiment nécessaire pour que l’Assemblée nationale mette ce qu’elle veut dans son règlement à ce sujet et, après tout, ne sommes-nous pas en train de discuter pour rien depuis quatre heures de l’après-midi ?

Rires

Debut de section - PermalienPhoto de Jean-Jacques Hyest

Monsieur Charasse, je vous rappelle tout de même que, lors du débat sur la révision constitutionnelle, …

Debut de section - PermalienPhoto de Jean-Jacques Hyest

…. j’avais demandé que les conditions soient inscrites, non pas dans la loi organique, mais dans les règlements des assemblées, comme c’était le cas sous la Ve République jusqu’en 1969.

Debut de section - PermalienPhoto de Jean-Jacques Hyest

À partir du moment où l’on prévoit que le cadre dans lequel s’exerce le droit d’amendement est fixé par une loi organique, si celle-ci n’en fait aucune mention, à mon avis, le Conseil constitutionnel censurerait l’introduction du « crédit-temps » dans le règlement des assemblées.

Debut de section - PermalienPhoto de Michel Charasse

Il manque des tas de choses dans la loi organique !

Debut de section - PermalienPhoto de Jean-Jacques Hyest

Une seule disposition est indispensable et doit être inscrite dans la loi organique, c’est celle qui concerne le temps global.

En dehors de cela, tout ce qui concerne le droit d’amendement est fixé par des règles générales, qui sont posées par le Conseil constitutionnel et n’ont pas à figurer dans la loi organique.

Vous le savez, le Sénat avait cherché à trouver une solution pour que l’examen des amendements ait lieu soit en séance publique, soit en commission – nous examinerons ensuite l’article concernant les procédures abrégées –, quitte à revenir en séance publique pour un certain nombre de textes, comme des conventions internationales, si tout le monde est d’accord. Nous allons être obligés de prévoir un article sur ce sujet parce que la loi organique l’impose.

Monsieur le secrétaire d’État, j’attire votre attention sur le fait que, si l’Assemblée veut mettre en œuvre un dispositif de cette nature, il faut absolument que la loi organique le prévoie. En effet, l’article 44 de la Constitution envisage le droit d’amendement, qui serait limité, c’est-à-dire sans discussion, ce qui ne veut pas dire forcément sans présentation succincte. Dans ce cas, il est indispensable de l’inscrire. En effet, on ne pourrait pas mettre en œuvre cette procédure sans qu’elle soit prévue par la loi organique.

Debut de section - PermalienPhoto de Michel Charasse

Ce droit s’exerce dans les conditions fixées par les règlements !

Debut de section - PermalienPhoto de Roger Romani

La parole est à Mme Nicole Borvo Cohen-Seat, pour explication de vote.

Debut de section - PermalienPhoto de Nicole Borvo Cohen-Seat

Je formulerai juste quelques observations qui montrent que nous pouvons nous passer de l’article 13.

Je vous le rappelle, le Conseil constitutionnel dit que le droit de présentation de l’amendement est un élément substantiel du droit d’amendement. Cela signifie que ce que le Conseil constitutionnel consacre dans sa décision du 7 novembre 1990, ce n’est pas seulement le droit de déposer un amendement et de le proposer au vote, c’est aussi celui de le défendre.

Or le fait de dire, dans l’article 44 de la Constitution actuelle, que le droit d’amendement s’exerce soit en commission, soit en séance publique n’entre pas en contradiction avec la décision du Conseil constitutionnel : un amendement doit pouvoir être défendu.

La Constitution ne dit pas que la loi organique doit interdire d’une façon ou d’une autre qu’un amendement puisse être présenté. Le fait que la Constitution prévoie une loi organique ne veut absolument pas dire que cette loi organique peut permettre de ne pas défendre un amendement. Je pense donc que cet article 13 est vraiment abusif !

Monsieur Hyest, vous avez évoqué la proposition Debré de 2006 qui tendait à organiser une limitation du droit de parole. Mais, à l’époque, les dispositions de cette proposition avaient été retirées avant leur examen en séance publique, vous le disiez vous-même, faute d’accord politique.

Debut de section - PermalienPhoto de Nicole Borvo Cohen-Seat

Aujourd’hui, on reporte le problème du règlement, qui devrait faire l’objet d’un consensus à l’Assemblée nationale et au Sénat, vers la loi organique. Or il vaudrait mieux ne pas faire adopter de force l’article 13 !

La question de l’organisation des débats nécessite tout de même, au sein de chaque assemblée, un consensus entre les groupes, entre la majorité et l’opposition. À défaut, ce n’est pas la peine d’essayer, au travers de la loi organique, de rendre possible l’adoption d’un règlement plus restrictif à l’Assemblée nationale.

Pour toutes ces raisons, mieux vaut se passer de l’article 13 !

Applaudissements sur les travées du groupe CRC-SPG et du groupe socialiste.

Debut de section - PermalienPhoto de Roger Romani

La parole est à M. Christian Cointat, pour explication de vote.

Debut de section - PermalienPhoto de Christian Cointat

J’ai écouté avec beaucoup d’attention les différents intervenants, notamment notre excellent collègue Bernard Frimat, lors de la présentation de son amendement de suppression. Si j’ai bien compris, il a beaucoup insisté sur le fait que tout amendement devait être présenté et soumis au vote.

Je ne pourrai pas voter son amendement pour deux raisons.

La première, c’est que, si nous le votons, tous les autres amendements deviendront sans objet. Cela entre en contradiction avec les propos de notre collègue et prouve bien que, dans la vie parlementaire, il est des moments, au cours d’un débat, où l’on ne peut pas présenter un amendement et le soumettre au vote ! Le déroulement des débats peut en décider ainsi, et c’est très bien comme ça. Sinon, certaines séances seraient bien encombrées…

Autrement dit, mon cher collègue, je ne peux pas voter votre amendement parce que votre raisonnement lui-même suffit à démontrer qu’il n’est pas compatible avec le déroulement d’une séance publique.

Par ailleurs, nous le savons tous, les assemblées sont jalouses de leurs prérogatives et soucieuses de leur autonomie. Je suis sénateur, je ne suis pas député. Si j’étais député, il est vraisemblable que je n’aurais pas voté dans le même sens. Nos collègues députés prennent leur responsabilité, nous prenons la nôtre, cela a été fort bien expliqué. Au Sénat, au moins, nous pourrons montrer l’exemple, une fois de plus.

Debut de section - PermalienPhoto de Jean-Pierre Sueur

C’est la même loi qui s’applique à tous !

Debut de section - PermalienPhoto de Roger Romani

La parole est à Mme Josiane Mathon-Poinat, pour explication de vote.

Debut de section - PermalienPhoto de Josiane Mathon-Poinat

Je voudrais soulever un problème de nature constitutionnelle auquel ni M. le ministre, ni M. Hyest, ni même M. Portelli n’ont répondu. Il s’agit de la différence excessive qui existerait entre le règlement de l’Assemblée nationale et celui du Sénat si l’Assemblée nationale appliquait l’article 13 et si le Sénat ne voulait pas l’appliquer.

En effet, M. Gicquel, professeur de droit constitutionnel, lors de son audition par la commission des lois, a indiqué à deux reprises qu’une telle différence serait contraire à la Constitution, …

Debut de section - PermalienPhoto de Josiane Mathon-Poinat

… et il s’est demandé « si le Conseil constitutionnel accepterait les différences marquées entre les règlements des deux assemblées ».

Debut de section - PermalienPhoto de Michel Charasse

M. Michel Charasse. Cela a toujours été le cas. M. Gicquel n’y connaît rien !

Sourires

Debut de section - PermalienPhoto de Josiane Mathon-Poinat

Il a ajouté plus tard que les deux règlements devaient être compatibles et prévoir des prérogatives similaires pour les deux assemblées.

Les articles 44 et 45 de la Constitution exposent, d’une part, les conditions de l’exercice du droit d’amendement, qui doit être possible dans les deux assemblées, et, d’autre part, les conditions d’exercice de la navette parlementaire, qui exige, elle, une certaine harmonie sur le plan des procédures d’examen.

J’aimerais que M. le secrétaire d’État nous réponde sur ce point précis.

Applaudissements sur les travées du groupe CRC-SPG et du groupe socialiste.

Debut de section - PermalienPhoto de Roger Romani

La parole est à Mme Bariza Khiari, pour explication de vote.

Debut de section - PermalienPhoto de Bariza Khiari

Cela a déjà été dit, il nous semble paradoxal que le Président de la République puisse s’exprimer devant le Congrès sans que s’exerce un droit de réponse, qu’il ait aussi la possibilité d’utiliser sans limite les supports médiatiques sans que son temps de parole soit décompté par le CSA du temps de la majorité, …

Debut de section - PermalienPhoto de Bariza Khiari

… et que, par ailleurs, l’article 13 que vous vous apprêtez à voter limite le temps de parole de nos collègues députés dans ce droit consubstantiel à la fonction de parlementaire.

Par cet article 13, c’est la liberté d’expression de chaque citoyen que vous amputez dans son prolongement, à savoir la voix des parlementaires, au sein de ce que l’on appelle une démocratie apaisée. Nous considérons qu’il s’agit là d’une régression importante de la démocratie, et je crains que ce que vous bâillonnez dans l’hémicycle, vous ne le retrouviez dans la rue !

Mes chers collègues, les humiliations que vous avez subies ont été grandes, qu’il s’agisse de la suppression de la publicité dans le service public audiovisuel, de la suppression de la taxe professionnelle ou de la suppression du juge d’instruction, annoncées en direct à la télévision, dans le plus grand mépris du Parlement.

Vous sous-estimez l’application d’une telle mesure au sein même de votre majorité : ce sera « Silence dans les rangs ! », plus d’opposition interne…

C’est pourquoi nous vous appelons à ne pas participer à cette mascarade. À défaut de nous entendre, vous porterez une lourde responsabilité devant l’histoire de notre démocratie.

Protestations sur les travées de l ’ UMP. – Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et du groupe CRC-SPG.

Debut de section - PermalienPhoto de Roger Romani

M. le président. La parole est à M. Bernard Frimat, pour explication de vote.

Exclamations sur les travées de l’UMP.

Debut de section - PermalienPhoto de Bernard Frimat

M. Bernard Frimat. Je me réjouis de ces « Oh ! » d’admiration.

Sourires

Debut de section - PermalienPhoto de Bernard Frimat

Cher collègue Cointat, je crois que votre intervention mérite une réponse et une explication.

Le président Hyest a proposé à la conférence des présidents, qui l’a accepté, de dissocier les amendements de suppression des autres, donc de ne pas les mettre en discussion commune, de façon à rendre nos débats un peu plus vivants. Ainsi est évité le long tunnel d’une présentation de tous les amendements déposés sur l’article 13. Il est certain que celui qui, dans une position de scribe accroupi, écoute sagement, jusqu’à ce que mort s’ensuive, ne saurait lui en vouloir !

Nous avons donné pleinement notre accord à cette modalité de présentation des amendements, même si elle emporte une conséquence importante : si le Sénat, dans sa souveraineté, vote un amendement de suppression d’un article, les autres amendements déposés sur cet article deviennent sans objet.

C’est un risque que nous avons pris consciemment ensemble, à l’unanimité, pour essayer d’accroître l’intérêt de ces débats, auxquels nombre d’entre vous sont attachés et dont ils se sentiraient privés s’ils ne se déroulaient pas dans le temps nécessaire pour que toutes les finesses de la discussion soient bien comprises.

Comme je sais que la rigueur intellectuelle qui est la vôtre vous amènera à sauver les droits du Parlement en votant la suppression de l’article 13, …

Debut de section - PermalienPhoto de Bernard Frimat

… je voulais vous prévenir !

Il n’est pas interdit de cultiver de temps en temps, même dans cette assemblée, un certain humour. Quelques-uns y sont sensibles, et rien que pour ceux-là, je continuerai dans ce sens. Pour les autres, dès lors que cet humour leur échappe, il n’y a rien de dramatique !

Voilà pourquoi, mon cher collègue, j’ai estimé nécessaire de rappeler que les autres amendements n’auraient plus d’objet, et j’ai proposé à M. le secrétaire d’État, qui a une certaine obsession temporelle, …

Debut de section - Permalien
Roger Karoutchi, secrétaire d'État

Ah bon ?

Debut de section - PermalienPhoto de Bernard Frimat

… de profiter de cette ouverture et du gain de temps extraordinaire qui en résulterait pour faire avancer le débat.

Au demeurant, il me semble fondamental de voter la suppression de cet article. Si d’aventure, cela n’advenait pas, la suite de l’examen de l’article 13 nous permettrait de vous proposer d’autres perspectives pour ouvrir le débat à l’Assemblée nationale.

Très bien ! et applaudissements sur les travées du groupe socialiste.

Debut de section - PermalienPhoto de Roger Romani

La parole est à M. Michel Mercier, pour explication de vote.

Debut de section - PermalienPhoto de Michel Mercier

Ce débat est long, mais il était nécessaire et, finalement, il en est ressorti bien des éléments positifs.

De toute évidence, il y a une seule Constitution, une seule loi organique ; on ne peut pas sortir de cette vérité.

Monsieur le secrétaire d’État, Pierre Fauchon et moi-même vous avions posé, au nom de notre groupe, deux questions fort simples. Elles ne visaient qu’à nous assurer que le droit d’amendement serait préservé.

Nous pouvons parfaitement comprendre qu’un débat soit organisé dans le temps. Cela s’est fait dans le passé, cela peut se faire demain. Toutefois, si nous devons tirer des leçons de l’histoire, celles-ci ne sauraient se muer en certitudes, car nous ne pouvons être sûrs que ce qui s’est passé une fois se reproduira nécessairement ensuite.

N’oublions pas non plus que le Conseil constitutionnel a lui-même sa propre histoire.

Debut de section - PermalienPhoto de Michel Mercier

Dans les années 1970, notamment avec la possibilité de saisine ouverte en 1974, il n’était déjà plus le même qu’en 1958 !

Nous sommes donc dans un temps nouveau.

Vous avez finalement répondu à nos questions, monsieur le secrétaire d’État. Cela a été un peu long, mais, après tout, cela peut se comprendre.

Sourires

Debut de section - PermalienPhoto de Michel Mercier

Je rappellerai les deux questions, et les deux réponses.

Nous avions admis que les amendements puissent ne pas être discutés, mais nous voulions nous assurer qu’ils seraient à tout le moins présentés. Vous avez confirmé que, en effet, il fallait distinguer la présentation et la discussion. §

Nous vous avions également interrogé pour savoir si, lorsqu’un amendement ne pourrait plus être discuté parce qu’il se trouverait hors du temps accordé au groupe de son auteur, le dépôt d’un sous-amendement, dès lors que celui-ci nécessiterait une discussion globale, rouvrirait un droit de parole pour l’auteur de l’amendement. §

Debut de section - PermalienPhoto de Jean-Louis Carrère

Il va y avoir des sous-amendements à chaque amendement, et qui ne proviendront pas forcément du même groupe que l’amendement !

Debut de section - PermalienPhoto de Michel Mercier

M. Michel Mercier. Et alors ? En quoi cela vous gêne-t-il ? Vous ne devriez pas vous en plaindre ! Vous devriez au contraire vous réjouir que, grâce aux centristes, on parvienne à un résultat satisfaisant ! Je suis bien obligé de le préciser, mon cher collègue, car vous ne le reconnaîtrez pas spontanément !

Rires sur les travées de l’UMP.

Debut de section - PermalienPhoto de Michel Mercier

Monsieur le secrétaire d’État, compte tenu de vos deux réponses, que je viens de rappeler et que vous confirmez en hochant de la tête – et dans le bon sens !

Sourires

Debut de section - PermalienPhoto de Michel Mercier

–, notre groupe ne votera pas les amendements de suppression.

Applaudissements sur les travées de l’Union centriste et de l’UMP.

Debut de section - PermalienPhoto de Michel Mercier

Si vous en obteniez autant, avec tous les discours que vous nous faites, ce serait bien !

Debut de section - PermalienPhoto de Roger Romani

Je mets aux voix les amendements identiques nos 53, 121 et 181.

Je suis saisi d’une demande de scrutin public émanant du groupe socialiste.

Il va être procédé au scrutin dans les conditions fixées par l’article 56 du règlement.

Le scrutin a lieu.

Debut de section - PermalienPhoto de Roger Romani

Personne ne demande plus à voter ?…

Le scrutin est clos.

Il est procédé au comptage des votes.

Debut de section - PermalienPhoto de Roger Romani

Voici le résultat du dépouillement du scrutin n° 117 :

Nombre de votants337Nombre de suffrages exprimés323Majorité absolue des suffrages exprimés162Pour l’adoption142Contre 181Le Sénat n’a pas adopté.

Applaudissements sur les travées de l’UMP.

Debut de section - PermalienPhoto de Roger Romani

Mes chers collègues, nous allons maintenant interrompre nos travaux ; nous les reprendrons à vingt-deux heures quinze.

La séance est suspendue.

La séance, suspendue à vingt heures cinq, est reprise à vingt-deux heures vingt, sous la présidence de M. Jean-Léonce Dupont.