Si, de nos travées, nous avions dit la moitié de ce que vient de dire M. Masson, nous nous serions sans doute attiré des critiques sévères !
Monsieur le ministre, vous avez vivement réagi tout à l’heure : vous sembliez trouver étrange et injuste que les victimes éprouvent de la défiance à l’égard de votre ministère. N’y voyez surtout rien de personnel. Nous ne faisons pas de procès d’intention. Nous avons salué, et nous le faisons encore, le travail qui a été accompli et qui a conduit à la présentation de ce projet de loi.
Il faut néanmoins comprendre que l’ampleur de cette défiance s’explique par l’histoire, et par la complexité de celle-ci. Il faut comprendre que les victimes puissent répugner à confier aux responsables de leurs souffrances le soin, par exemple, de fixer de façon unilatérale, sur la foi de données collectées sur la base d’une méthodologie qui n’a pas été établie dans la transparence, le périmètre concerné.
Vous avez refusé tout à l’heure que l’assemblée de Polynésie soit associée à la discussion sur ce périmètre au motif que, sur une telle question, il ne fallait pas faire de politique ; mais, c’est bien connu, l’État ne fait pas de politique, il est impartial et équitable, il ne défend pas d’intérêts partisans ou particuliers…
Arrêtons ! Dans 99 % des cas, la discussion sur le périmètre aurait effectivement pu se passer dans la sérénité. Certaines données manquent peut-être et d’autres doivent être discutées, mais, ce qui est avant tout en jeu, c’est la confiance, une confiance qui est à reconstruire.
Sans revenir sur ce qui a été dit de l’obstruction et du fait que l’État faisait systématiquement appel lorsqu’un tribunal statuait en faveur de personnes malades, je veux insister sur les gages qui doivent être donnés pour reconstruire cette confiance, ce que cet article 4 va nous permettre de faire.
Vous nous avez mis en garde, et j’entends bien que nous ne devons pas passer d’une présomption de causalité à une présomption irréfragable. Il se trouve cependant que cela nous amène très vite à une discussion sur les raisons qui pourraient expliquer des maladies que l’on sait être « sans signature ».
Que faire, vous êtes-vous interrogé, si l’irradié a fumé trois paquets de cigarettes pendant toute sa vie ? Rien, car on ne parviendra pas à trancher cette question qui ne peut que déboucher sur un dialogue de sourds : vous ne parviendrez pas à prouver que le cancer est dû au tabac, et l’irradié n’arrivera pas à prouver que le cancer n’est pas dû au tabac !
Si l’on veut vraiment indemniser les victimes et reconnaître le préjudice qui leur a été fait, on doit se résoudre à ne pas discuter cette question, ne serait-ce que parce qu’en général c’est l’État qui a fourni le tabac – le « tabac de troupe », je le rappelle, faisait partie de la solde jusqu’à une période très récente – aux personnels civils et militaires.
Il faut admettre que, pour ces années-là, nous ne pourrons pas reconstituer le pourquoi du comment, et attribuer aux essais la responsabilité de toutes ces maladies sans signature.
Si l’on transforme en parcours du combattant une démarche présentée comme devant permettre l’indemnisation de personnes à qui l’on reconnaît un nouveau droit, on aura raté la cible.