Intervention de Nadège Havet

Réunion du 21 juin 2023 à 15h00
Lutte contre le dumping social dans le transport maritime transmanche — Adoption d'une proposition de loi dans le texte de la commission modifié

Photo de Nadège HavetNadège Havet :

Monsieur le président, monsieur le secrétaire d’État, mes chers collègues, cinq minutes, c’est le temps dont je dispose aujourd’hui pour vous faire part de mon rapport sur la proposition de loi du député Didier Le Gac, adoptée en première lecture à l’Assemblée nationale.

Cinq minutes, c’est bien plus de temps qu’il n’en aura fallu au dirigeant de P&O Ferries pour licencier 786 marins. En effet, après un message vidéo de trois minutes, 786 marins ont dû quitter sur-le-champ leur navire et leur emploi, pendant que leurs remplaçants, moins bien rémunérés et aux conditions de travail dégradées, attendaient sur le quai pour monter à bord.

C’est donc peu dire que le texte dont nous débattons aujourd’hui, qui vise à lutter contre le dumping social sur le transmanche, est attendu dans le secteur du transport maritime par les armateurs, par les syndicats du secteur et par les gens de mer eux-mêmes.

La concurrence déloyale exercée par les compagnies utilisant une main-d’œuvre à bas coût ne laisse en réalité que l’alternative suivante aux opérateurs historiques : disparaître ou adopter le nouveau modèle. Cela implique d’en finir avec le pavillon français, pas assez compétitif, dans le transmanche.

Pour compléter le propos de Mme Procaccia, rapporteur au fond, dont je salue le travail sur un sujet qu’elle ne connaissait pas, j’insisterai sur deux raisons, bien éloignées des préoccupations protectionnistes ou anticoncurrentielles, qui justifient d’empêcher cette situation.

La première est un enjeu de sécurité des navigations. Sur le transmanche, les navires réalisent des manœuvres d’accostage jusqu’à dix fois par jour et traversent la mer perpendiculairement aux principales routes de circulation, dans ce qui est le deuxième détroit le plus fréquenté au monde.

Ce rythme extrêmement intense se traduit chez tous les gens de mer, et pas seulement les officiers, par des journées de travail de seize heures, voire plus, et par une très forte fatigue à mesure que le temps à bord s’allonge. C’est pourquoi, historiquement, sur cette zone, les gens de mer alternent entre une ou deux semaines à bord et une ou deux semaines de repos à terre.

Les compagnies qui ont choisi le modèle low cost emploient des gens de mer qui peuvent rester six semaines à bord, le nombre de dix-sept semaines ayant même été évoqué. Ils passent systématiquement au moins les deux tiers de l’année en mer.

Or la parité entre durée à terre et temps en mer et la limitation du temps à bord sont des éléments clés pour la sécurité des navigations. L’épuisement du personnel multiplie le risque d’incidents à bord. Surtout, en cas d’incident, chacun à bord, de l’agent d’accueil des passagers aux officiers, a un rôle défini à jouer. Comment bien remplir ce rôle alors que l’on a accumulé la fatigue durant des semaines ? Doit-on attendre un drame humain ou une pollution grave pour légiférer et garantir la sécurité des navigations ? La réponse est non !

La seconde raison est un enjeu de souveraineté.

Les navires de la marine marchande sous pavillon français sont fréquemment mobilisés lors des opérations militaires françaises à l’étranger. Lors de l’intervention de la France au Koweït, deux navires de Brittany Ferries, le Coutances et le Quiberon, ont convoyé des troupes et du matériel français sur place. Chaque année, des navires de Brittany Ferries sont mobilisés lors des exercices de contre-terrorisme maritime Armor.

Il est donc essentiel pour notre souveraineté d’éviter la disparition d’un pan entier de notre marine marchande, alors que la guerre est de retour sur le sol européen et que les tensions géopolitiques croissent partout sur la planète, notamment dans l’Indopacifique.

Ce texte répond avec efficacité à une situation d’urgence. C’est pourquoi, dans mon rapport pour avis, j’ai proposé une adoption conforme du texte issu de l’Assemblée nationale. Cette solution me semblait opportune, car, la procédure accélérée n’ayant pas été déclarée, la durée de la navette parlementaire pourrait ne pas laisser assez de temps au Gouvernement pour prendre avant le mois de janvier 2024 les décrets auxquels l’application de la loi est suspendue.

Telle n’est pas l’option retenue par la commission des affaires sociales. Cependant, je me félicite que mes collègues n’aient pas apporté de modifications substantielles au texte sur le volet concernant le transmanche.

J’espère, donc, monsieur le secrétaire d’État, que la navette pourra se poursuivre le plus rapidement possible. Je me réjouis à cet égard que l’examen du texte figure dans le décret portant convocation du Parlement en session extraordinaire. Le dispositif devra en effet être mis en œuvre au début de l’année 2024, en même temps que celui qu’ont déjà adopté nos voisins britanniques.

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