Monsieur le président, monsieur le secrétaire d’État, mes chers collègues, le 8 décembre 2022 au petit matin, le capitaine Michael Michieli embarque à bord de son bateau de pêche, accompagné de deux matelots, au port de l’île de Jersey. En parallèle, le ferry Commodore Goodwill est en route de Guernesey à Jersey. Le bâtiment, long de 126 mètres, bat pavillon des Bahamas, mais effectue des liaisons régulières entre les îles anglo-normandes, le Royaume-Uni et la France.
Ce 8 décembre, le ferry, dont l’équipage compte 24 personnes, transporte des camions et cinq passagers. Le vent vient du nord, il fait 4 degrés Celsius. Soudain, vers cinq heures trente, le capitaine actionne la corne de brume, cinq fois. Il annonce ensuite par haut-parleur : « Ceci n’est pas un exercice ». Quelques instants après, le ferry heurte le bateau de pêche, qui coule instantanément.
Aucune trace des membres de l’équipage du chalutier n’est visible. Pendant des heures, des hélicoptères et des avions de la sécurité civile et de la marine nationale cherchent le capitaine et ses deux matelots, en vain. Ce n’est que la semaine suivante que l’on retrouve les corps des deux matelots au fond de la mer. Le corps du capitaine, lui, n’est retrouvé que le 26 avril.
Nous attendons toujours les conclusions définitives de l’enquête, mais il est évident que ce naufrage n’est pas un incident isolé. Le risque de collision en mer est bien réel, surtout dans la Manche, deuxième route maritime au monde. En effet, 25 % du trafic maritime mondial traverse ce détroit. À cela s’ajoutent les bateaux de pêche : pour le seul côté, français, on en compte 302.
Le risque est encore plus grand quand les membres d’équipage, sous-payés, sont épuisés.
Employeurs et armateurs s’ingénient à réduire toujours plus les coûts de la main-d’œuvre : des marins et marines, des agents d’escale, des matelots, des chefs de quart, et j’en passe.
En mars 2022, cela a été rappelé, P&O Ferries a licencié 786 employés en quatre minutes en leur ordonnant dans un message vidéo de quitter le navire dans la demi-heure. Sur le quai attendaient leurs remplaçants, des intérimaires venus du monde entier, recrutés par l’intermédiaire d’une société prestataire de main-d’œuvre, payés deux fois moins que le salaire minimum sur les deux rives, française et britannique, et travaillant à des rythmes intenses et dangereux.
Et ce n’est que la partie émergée de l’iceberg. En effet, les syndicats estiment que Brittany Ferries a supprimé 250 postes en CDI, pour les laisser vacants ou pour les remplacer par des intérimaires, toujours au nom de la recherche du profit.
Ce dumping social, dont les conséquences sont néfastes et dangereuses, est évidemment inacceptable.
D’une part, les conditions de travail se dégradent massivement. Leurs salaires ne leur suffisant plus, et parce qu’ils ne bénéficient d’aucune protection juridique, les employés travaillent des mois pour un salaire de misère afin d’échapper à une misère plus grande encore.
D’autre part, le remplacement des employés expérimentés par des intérimaires et des prestataires corvéables à merci est dangereux. Quand vous ne connaissez pas le navire sur lequel vous travaillez pendant seulement quelques semaines, le risque d’un incident est beaucoup plus grand.
Il est donc grand temps de mettre fin à cette dangereuse course vers le moins-disant social.
Le groupe Écologiste – Solidarité et Territoires se félicite que cette proposition de loi introduise un salaire minimum sur les ferries et un minimum de temps de repos pour les gens de mers, soit une journée de repos par journée en mer.
Madame le rapporteure, je tiens à vous remercier de votre travail, et plus particulièrement de votre amendement adopté en commission visant à préciser que le décret d’application sur la durée de repos doit garantir la sécurité et permettre de lutter contre la pollution maritime.
Cependant, le dumping social touche tous les aspects de l’organisation du travail, et pas seulement la rémunération et le temps de repos. Ce n’est pas pour rien que le code du travail français va bien au-delà de ces deux aspects. C’est pourquoi cette proposition de loi doit, selon nous, être complétée par l’instauration d’autres minima sociaux. C’est seulement en garantissant un ensemble complet de droits sociaux aux travailleurs et travailleuses que nous pourrons réellement mettre fin au dumping social.
Par ailleurs, à en juger par l’intervention M. le secrétaire d’État, nous allons avoir cet après-midi de riches discussions sur le champ d’application des différentes dispositions de cette proposition de loi, du fait notamment des rédactions retenues par l’Assemblée nationale, mais aussi sur l’intitulé du texte, qui ne correspond pas au fond, ce qui a pu entraîner des confusions.
Pour les écologistes, la lutte contre le dumping social doit évidemment être la plus large possible et s’appliquer au maximum de situations, même si d’éventuels effets de bord doivent aussi être contrôlés.
Nous attendons donc un certain nombre de clarifications de la part du Gouvernement, notamment sur les décrets d’application et sur le champ d’application de chacun des articles, lesquels ont provoqué des migraines chez nombre d’entre nous.
Enfin, monsieur le secrétaire d’État, nous regrettons que la proposition de loi qui nous est aujourd’hui soumise ne soit pas assortie d’une étude d’impact et d’un avis du Conseil d’État, contrairement au texte de nos collègues britanniques. Cela aurait rendu la proposition de loi plus lisible et nous aurait permis de mieux apprécier ses dispositions.
Cela étant, quel que soit son point d’atterrissage, ce texte constituera une avancée sociale. Aussi, nous le soutiendrons.