Intervention de Bernadette Bourzai

Réunion du 17 février 2009 à 16h00
Application des articles 34-1 39 et 44 de la constitution — Article 13 priorité

Photo de Bernadette BourzaiBernadette Bourzai :

Monsieur le président, monsieur le secrétaire d’État, mes chers collègues, la qualité d’une loi dépend largement des conditions de son élaboration.

Si l’obstruction parlementaire ne peut empêcher une majorité de faire voter une loi, en revanche l’utilisation par le Gouvernement de manœuvres de procédure pour contourner l’obstruction, comme le vote bloqué ou l’application de l’article 49, alinéa 3, a récemment abouti à de mauvaises lois qui furent censurées par le Conseil constitutionnel ou inappliquées. Souvenez-vous du cas exceptionnel du CPE ! À l’instant même où le Président de la République d’alors promulguait la loi, il s’engageait à ne pas l’appliquer !

Que dire d’ailleurs du présent article ? Le principal argument que l’on nous avance pour le voter est qu’il ne sera pas appliqué. Si l’on n’applique pas une loi, c’est qu’elle est mauvaise, et si on la reconnaît telle avant de la voter, alors il ne faut pas l’adopter !

Sur le fond, l’un des problèmes, et non des moindres, posé par cet article est de n’accorder d’importance qu’à la quantité des lois au détriment de leur qualité. Permettez-moi de confronter ce qui est prévu dans cet article à l’utilité du travail législatif en séance publique.

La conception unanime des acteurs et des commentateurs de la vie politique est qu’un nombre restreint de lois de qualité, bien appliquées et donc utiles à nos concitoyens, est préférable à un grand nombre de lois. Malheureusement, l’actuel Gouvernement multiplie les lois aux seules fins d’affichage. On aboutit ainsi à des lois sans portée normative ou redondantes avec d’autres lois ou règlements, et finalement inappliquées.

Lorsque les gesticulations tiennent lieu d’action, il est fatal que celui qui gesticule en vienne à chercher à crédibiliser son comportement en l’associant à la solennité du passage par le Parlement. Tel est l’objectif visé à l’article 13 !

Les lois qui seraient discutées selon la procédure permise par cet article 13 le seraient dans la négation de ce qui fonde le caractère républicain de la représentation parlementaire, c’est-à-dire la confrontation démocratique des attentes de tous nos concitoyens. Sans doute cette pratique longuement élaborée au cours de l’histoire apparaît-elle ringarde au Gouvernement et à son inspirateur, le Président de la République...

Limiter le temps consacré à l’examen d’un texte aura une conséquence très simple et très grave : toutes les idées, les initiatives, les observations, les propositions et les contre-propositions de nos concitoyens, dont chaque parlementaire est susceptible de se faire le porte-parole pour les traduire dans la volonté générale, ne pourront être exprimées dans toute leur richesse. La loi n’en sera que plus pauvre et plus réductrice. Gageons qu’elle sera plus faite pour le monde que nous renvoient les médias que pour le monde tel qu’il est et dont la représentation démocratique par des assemblées élues est encore la moins mauvaise représentation.

Avec l’article 13, des parties entières de la population seront négligées. Elles seront renvoyées dans l’ombre, parce que les parlementaires chargés de représenter la société française dans sa diversité sociale, politique, géographique ou culturelle ne pourront plus tous avoir accès au débat législatif en séance publique, dès lors que le temps limite sera écoulé.

L’article 13 va introduire une inégalité entre parlementaires et, à travers eux, entre nos concitoyens, en créant une distinction entre les parlementaires qui auront pu participer à l’élaboration d’une loi et ceux qui ne l’auront pas pu, faute de temps.

Au demeurant, prévoir des béquilles par les articles 13 bis et 13 ter, c’est-à-dire un temps minimal pour des orateurs de l’opposition ou des minorités parlementaires, une sorte d’exception qui confirme la règle du bâillonnement, ne changera rien au fait que tous les parlementaires, de l’opposition comme de la majorité, ne pourront pas participer à l’enrichissement du texte dès lors que le temps global sera épuisé. L’article 13 institutionnalise l’absentéisme parlementaire et cette incitation ne revigorera guère l’image de la vie politique aux yeux de nos concitoyens.

L’article 13 revient sur toute la construction du droit parlementaire depuis le XIXe siècle et ce qu’il a tendu à assurer : l’égalité entre chaque parlementaire, dont le rôle individuel est garanti par la Constitution.

L’instauration du temps global que l’on nous propose n’a rien à voir avec l’encadrement du temps de parole individuel lors de la discussion des articles ou des amendements. Cet encadrement vise à ce qu’aucun parlementaire ne puisse monopoliser la parole au détriment des autres. L’encadrement du temps de parole individuel pour chaque disposition examinée ne fait rien d’autre que traduire en droit parlementaire le principe qu’énonce l’article IV de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen de 1789 sur la liberté des uns qui ne doit pas entraver celle des autres. Or c’est précisément ce que l’article 13 est en train de fabriquer, à l’envers !

J’en reviens ici à la question de la qualité de la loi.

Quel sens cela aura-t-il de passer au vote d’amendements sans en avoir débattu de manière publique, en séance ? Contrairement à d’autres assemblées – en tant que députée européenne, je pense au Parlement européen où les réunions de commissions, qui sont publiques, sont très suivies –, les débats en commission ne sont pas publics et chaque parlementaire ne peut siéger que dans une commission.

La séance publique permet à ceux qui le souhaitent d’intervenir sur des sujets qui ne sont pas forcément ceux de la commission dont ils sont membres, mais sur lesquels ils souhaitent réagir. Les amendements de l’opposition sont rarement votés. Mais, en séance, le rôle de l’opposition, comme de chaque parlementaire, sénateur ou député, ne se réduit pas à proposer et à voter ou non des amendements. Il consiste à débattre avec les autres membres de son assemblée et avec le Gouvernement, à conduire celui-ci à préciser sa position sur l’interprétation de ce que l’on est en train de voter, à obtenir de celui-ci des engagements, en échange desquels des amendements sont souvent retirés.

Les parlementaires arrivent peut-être à faire avancer plus d’idées par la discussion d’amendements qui seront retirés au terme de leur discussion que par le vote d’amendements, a fortiori d’amendements dont l’intérêt n’aurait pas été éclairé par un débat.

C’est une autre vertu du débat parlementaire public que de permettre à tous ceux qui ont un doute sur l’interprétation d’une loi obscure, et souvent obscure car votée dans la précipitation, de se référer à son compte rendu pour comprendre l’intention objective du législateur. Le rôle d’éclairage et de prospective du débat parlementaire est si évident que notre Constitution comprend une disposition permettant à chaque parlementaire de faire reculer le domaine de l’ambiguïté en allant au fond des choses, plus que cela est permis à tout citoyen.

L’article 26 de la Constitution précise : « Aucun membre du Parlement ne peut être poursuivi, recherché, arrêté, détenu ou jugé à l’occasion des opinions ou votes émis par lui dans l’exercice de ses fonctions. » La République se donne les moyens d’évoquer ce qu’elle peut vouloir réprouver.

Aucun commentaire n'a encore été formulé sur cette intervention.

Inscription
ou
Connexion