Intervention de Clément Beaune

Réunion du 15 juin 2023 à 14h45
Mécénat culturel — Adoption d'une proposition de loi dans le texte de la commission

Clément Beaune  :

Madame la présidente monsieur le rapporteur, madame la sénatrice Sylvie Robert, mesdames, messieurs les sénateurs, il y a vingt ans, la loi relative au mécénat, aux associations et aux fondations, dite loi Aillagon, donnait un nouvel élan au mécénat en France, en permettant que les versements des entreprises au bénéfice d’organismes dont l’objet est culturel, philanthropique, éducatif, scientifique, social ou familial ouvrent droit à une réduction d’impôt.

Aujourd’hui, un ensemble de trois réductions d’impôt est ouvert aux entreprises et aux particuliers au titre de l’impôt sur le revenu et de l’impôt sur la fortune immobilière.

L’effet de levier fiscal recherché par la loi Aillagon est devenu la colonne vertébrale du soutien à la générosité dans notre pays. Pour nos finances publiques, cela représente chaque année un effort important de plus de 3 milliards d’euros : près de 1, 1 milliard d’euros pour le mécénat des entreprises, 1, 8 milliard d’euros pour les dons des particuliers et plus de 130 millions d’euros au titre de l’impôt sur la fortune immobilière.

Ce système permet à chaque donateur de choisir, parmi un large éventail d’activités d’intérêt général, à qui allouer sa contribution. Grâce à ce système, la vitalité de notre tissu associatif et l’intérêt général sont encouragés par la puissance publique.

C’est ainsi que les dons des entreprises sont soutenus pour une variété d’œuvres d’intérêt général. Il s’agit des œuvres à caractère philanthropique, éducatif, scientifique, social ou familial ; des œuvres humanitaires, y compris hors des frontières de l’Union européenne ; des activités des organismes qui concourent à la défense de l’environnement naturel ; des activités des organismes qui diffusent notre culture, notre langue et nos connaissances scientifiques ; des activités d’aide à la création d’entreprises ; enfin, des activités à caractère sportif et culturel, ainsi que de celles des organismes qui mettent en valeur notre patrimoine artistique ou organisent des spectacles.

Le champ culturel, objet de la présente proposition de loi, est particulièrement bien couvert. Les arts plastiques, la musique, la danse, le théâtre et les spectacles, le livre et la littérature, le cinéma et l’audiovisuel, le patrimoine et la connaissance du patrimoine, les musées, le développement de la vie culturelle, la formation artistique, le dialogue entre les cultures, les liens entre la vie culturelle et la vie économique ou scientifique ou encore la restauration des monuments : toutes ces activités sont aujourd’hui éligibles au dispositif d’exonération fiscale.

Le mécénat permet aussi la prise en compte de contributions en nature, comme le mécénat de compétences des entreprises ou encore certains frais engagés par les bénévoles au profit des associations dont ils sont adhérents.

Ce soutien fiscal s’accompagne enfin d’autres exonérations, notamment en matière de donation. Je pense en particulier à l’exonération de droits de donation pour les dons au profit des organismes éligibles à la réduction d’impôt sur la fortune immobilière, qui représente environ 100 millions d’euros chaque année.

C’est donc un dispositif très complet qui laisse à chaque Français et à chaque entreprise une grande liberté pour choisir celles des causes d’intérêt général qu’il souhaite voir l’État soutenir financièrement. Cette liberté de choix, c’est la clé du succès du dispositif de la loi Aillagon.

Cet environnement fiscal, nous devons le préserver pour ses vertus. C’est pour cela que cette majorité a souhaité, en 2020, relever le plafond de versements pour les petites entreprises, en portant ce montant de 10 000 euros à 20 000 euros. C’est aussi pour cela que des aménagements temporaires ont été prévus pour de grandes causes nationales, comme la restauration de la cathédrale Notre-Dame de Paris, à la suite du tragique incendie de l’année 2019, ou pour lutter contre les violences domestiques.

Pendant la crise sanitaire, nous avons également relevé le taux applicable aux dons aux associations caritatives venant en aide aux plus démunis.

Nous avons aussi, avec le prélèvement à la source, introduit une amélioration considérable, en intégrant la réduction d’impôt pour les particuliers dans le champ de l’avance versée en janvier : chaque année, désormais, les foyers qui ont effectué des dons éligibles au titre de l’avant-dernière année se voient verser à cette date une avance de 60 %.

Nous avons enfin aménagé le régime de TVA des dons des entreprises et introduit des dispositions favorables pour les entreprises qui donnent des biens achetés dans le cadre de leur activité économique à certaines associations.

Vous le voyez, le Gouvernement a considérablement mobilisé le levier fiscal au service de cette nécessaire générosité.

Préserver le mécénat, c’est aussi se garder de toute dérive et rester fidèle aux grands principes qui le rendent légitime pour les Français, qui, à travers leurs impôts, contribuent à soutenir les dons éligibles à ces différentes formes de soutien fiscal.

Ces principes sont bien connus et ils sont fondamentaux. Il s’agit de la poursuite d’un objectif d’intérêt général, défini largement comme je l’indiquais plus tôt, et de la gestion désintéressée de l’organisme. Le but est notamment d’éviter que les dons ne financent, même indirectement, la rémunération des dirigeants de l’entité. Enfin, les organismes soutenus ne doivent pas être lucratifs. Cela signifie en particulier qu’ils ne peuvent pas prendre la forme d’une société commerciale. C’est l’un des points au cœur de la discussion.

Je sais le Sénat particulièrement sensible à la bonne utilisation des deniers publics. C’est pourquoi le Gouvernement, ces dernières années, a travaillé avec votre assemblée, et le Parlement en général, au renforcement du dispositif de contrôle de la défiscalisation des dons.

Cette sensibilité est partagée, entre autres, par la Cour des comptes. Comme vous le savez, dans son rapport de novembre 2018, la Cour insistait sur le dynamisme de la dépense fiscale, notamment pour les entreprises, dans un contexte marqué par la baisse du taux normal de l’impôt sur les sociétés.

Parce que nous avons l’un des dispositifs de défiscalisation les plus généreux au monde et certainement le plus efficace – et nous en sommes fiers ! –, il faut préserver ses grands principes de fonctionnement.

La proposition de loi qui nous est aujourd’hui soumise prévoit de rendre éligibles au mécénat les dons à des sociétés de capitaux dont les actionnaires sont des collectivités territoriales ou des groupements. Ce texte vise en particulier les sociétés publiques locales, aujourd’hui exclues du champ du dispositif en raison de leur caractère lucratif, parce qu’il s’agit de sociétés commerciales.

Elle prévoit de le faire dans deux situations précises : lorsque ces sociétés ont pour activité principale la présentation au public d’œuvres dramatiques, lyriques, musicales, chorégraphiques, cinématographiques, audiovisuelles et de cirque ou l’organisation d’expositions d’art contemporain, ou lorsqu’elles ont pour activité l’accès public au patrimoine ou la gestion de musées.

Le Gouvernement n’est pas favorable à ces dispositions, malgré l’enthousiasme et la conviction des auteurs de cette proposition de loi et de la commission, et ce pour plusieurs raisons.

En premier lieu, nous devons à tout prix éviter, dans les incitations fiscales à la générosité, d’organiser une hiérarchie des causes d’intérêt général.

Je pense que nous ne serions pas collectivement en mesure d’expliquer pourquoi les activités que je viens de citer seraient éligibles à un dispositif dans une situation où les versements au profit d’associations caritatives, de bienfaisance ou concourant à la protection de l’environnement ne le seraient pas.

En deuxième lieu, et c’est important, cette proposition de loi aboutirait, si elle était adoptée, à faire financer par l’État, même pour des montants modestes, des organismes qui sont lucratifs par nature.

Nous parlons ici de sociétés composées d’actionnaires, ayant une raison sociale. Cette forme sociale est adaptée, dans notre droit, à la recherche d’un profit. Le Gouvernement considère qu’il ne serait pas justifié que le budget général de l’État, même si les sommes sont faibles, contribue au financement des activités de ce type d’organismes.

Votre proposition de loi a ainsi pour objet d’étendre très substantiellement une disposition, elle-même dérogatoire, mais circonscrite. Les termes actuels de la loi garantissent que cette exception reste minimale par une condition forte : la présence de l’État au capital.

Le Gouvernement est d’avis que cette exception doit être préservée. Ouvrir des dérogations supplémentaires pourrait fragiliser la cohérence d’ensemble de ce que le législateur définit comme une activité non lucrative et d’intérêt général.

En troisième lieu, le volet de votre proposition de loi relatif au patrimoine aboutit à intégrer dans le champ de la réduction d’impôt, uniquement lorsque ces activités sont exercées par des sociétés lucratives, des activités qui ne sont aujourd’hui même pas éligibles à la réduction d’impôt de droit commun.

La rédaction vise ainsi l’accès à tous les biens immobiliers et mobiliers qui présentent un intérêt esthétique ou encore les pratiques sociales et les événements festifs. Elle va au-delà de la notion de patrimoine retenue aujourd’hui pour l’application du régime du mécénat.

Pour que le régime fiscal du mécénat demeure efficace, il convient d’en maintenir le champ dans des proportions connues, cadrées. Un élargissement risquerait d’entraîner une dispersion de la générosité des Français dans un champ d’activités trop large, aux dépens des activités aujourd’hui éligibles.

Pour ces raisons, madame la sénatrice, le Gouvernement n’est pas favorable à votre proposition de loi.

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