Monsieur le président, mesdames, messieurs les sénateurs, je suis ravi de pouvoir échanger avec vous sur ce sujet important, qui a donné lieu à des interprétations parfois un peu rapides.
Mon audition s'inscrit dans le cadre de l'examen d'un nouveau projet de loi, le projet de loi d'approbation des comptes de la sécurité sociale, dit « Placss », et dans un contexte où les comptes de la Cnaf n'ont pas, pour la première fois depuis 2011, été certifiés par la Cour des comptes.
Pour entrer dans le vif du sujet, je relève tout d'abord que l'appréciation portée par la Cour des comptes n'est pas d'ordre comptable : les comptes de la branche famille reflètent fidèlement la réalité des paiements et des flux financiers enregistrés en 2022, comme lors des années précédentes. Le problème concerne davantage le contrôle interne et la maîtrise des risques, insuffisants au vu notamment de l'ampleur et de la grande complexité des prestations que nous gérons.
Je vous rappelle que notre système de prestations est fragile en raison des potentielles erreurs déclaratives des allocataires : l'essentiel du risque découle du manque de qualité des données entrantes, c'est-à-dire de la fiabilité des données dont nous disposons pour liquider les prestations. Cette réalité est naturellement connue depuis plusieurs années, mais un certain nombre de phénomènes l'ont amplifiée et ont contribué à dégrader nos indicateurs de risque.
Les outils que nous avons mis en place pour mesurer ces risques sont de plusieurs ordres. Nous disposons surtout d'indicateurs dits « de risque résiduel » : nous réalisons chaque année un contrôle exhaustif et intensif d'un échantillon de 6 000 dossiers, selon une périodicité variable, puisqu'il existe deux indicateurs de référence, un indicateur à neuf mois, et un autre à vingt-quatre mois, qui nous permettent d'évaluer le risque résiduel propre à chaque échéance.
Il s'agit d'une approche statistique à laquelle nous sommes attachés - et que, du reste, la Cour des comptes salue - et qui nous a permis de repérer la forte augmentation, depuis 2019, des erreurs dans le système de délivrance de nos prestations, que ce soit au détriment ou au bénéfice des allocataires.
Alors que, je le précise, ces indicateurs n'ont quasiment pas évolué entre 2021 et 2022, la Cour des comptes a certifié nos comptes en 2021, mais pas en 2022. Cette situation ne constitue pas pour autant une surprise pour nous : nos indicateurs s'étaient en effet beaucoup dégradés entre 2019 et 2021, et si la Cour a certifié nos comptes pour ces exercices, c'est qu'elle a fait preuve de beaucoup de compréhension, voire d'empathie, si je puis dire, vis-à-vis de la branche famille durant cette période, en prenant en considération la crise de la covid-19 et la réforme très complexe des aides au logement mise en oeuvre en 2021.
La Cour des comptes nous avait prévenus que, pour l'exercice 2022, elle ne tiendrait plus compte de ces événements, même si les indicateurs, notamment celui à vingt-quatre mois, mesurent une réalité très antérieure à 2022, qui englobe les épisodes troublés dont je viens de parler.
Cela étant, je retiens de l'argumentaire fort intéressant de la Cour des comptes que la trentaine de prestations que nous délivrons, pour près de 100 milliards d'euros par an, ont des caractéristiques très différentes et que certaines d'entre elles présentent des facteurs de risque plus élevés que d'autres, compte tenu notamment de la qualité des données entrantes.
Ainsi, les facteurs de risque sont très limités pour les prestations calculées sur la base de données fiscales datant des deux années précédentes (N-2), autrement dit des données très sécurisées et très stables. Lorsque les aides dépendent de données beaucoup plus complexes, le risque d'erreur de la part des allocataires s'accroît, d'autant que le contrôle ex ante de ces données est quasi impossible du fait du nombre élevé des prestations dont nous sommes responsables, sauf à retarder considérablement le versement des allocations, ce qui n'est évidemment pas concevable.
Nous revérifions un grand nombre de données, notamment en les croisant avec des données ex post, fiscales ou autres, mais il nous est impossible de toutes les contrôler. Nous avons tendance à vérifier en priorité les prestations qui représentent la charge financière la plus élevée.
Depuis 2019, notre système a connu deux réformes importantes, l'une relative à la prime d'activité, l'autre relative aux aides au logement, qui ont eu un effet direct sur nos indicateurs de risque.
En 2019, le doublement du jour au lendemain du montant de la prime d'activité qui, par ses caractéristiques, est l'une des prestations les plus risquées, a immédiatement et assez logiquement accru le nombre d'erreurs commises.
En 2021, j'y ai déjà fait allusion, une réforme d'ampleur, celle des aides personnelles au logement (APL), a été décidée : elle visait à faire correspondre le plus possible ces aides avec la situation réelle des allocataires, en faisant en sorte que le système repose sur des données très récentes, datant parfois de quelques mois seulement.
Ces aides au logement, qui étaient parmi les plus simples que nous gérions, notamment parce que le calcul des droits reposait sur les données fiscales de l'année N-2, ont soudain posé problème, tant aux caisses d'allocation familiale (Caf) - difficultés d'appropriation de la réforme par les équipes et de mise à niveau des systèmes d'information - qu'aux allocataires, dont les obligations déclaratives ont soudain changé. Les erreurs ont alors considérablement augmenté.
En définitive, le quasi-doublement des erreurs relevées par la Cour des comptes peut être attribué presque intégralement à ces deux seules réformes. Cela ne signifie pas pour autant qu'il ne faut rien faire, mais je tenais à apporter ces quelques précisions importantes.
S'ajoutent à cela des problèmes circonstanciels de qualité de service, qui découlent en partie de la difficile mise en oeuvre de la réforme des aides au logement, de l'afflux des demandes, d'une augmentation du nombre d'allocataires et de la difficulté pour les équipes à respecter les objectifs en termes de délais.
La question des effectifs est pendante : en 2020 et 2021, nous avons allégé les effectifs consacrés au contrôle, au vu du contexte très particulier de la pandémie. En 2022, nous sommes revenus à des standards plus proches de nos objectifs, mais la situation n'est pas encore revenue à la normale.
La problématique des effectifs dévolus au contrôle des prestations fait d'ailleurs l'objet d'un débat entre la Cnaf et la Cour des comptes.
De son côté, la Cour observe à juste titre qu'en 2022 nous sommes en deçà des objectifs fixés par l'actuelle convention d'objectifs et de gestion (COG) en ce qui concerne le nombre de contrôles. De notre côté, nous avons privilégié un changement de stratégie : nous menons certes moins de contrôles, mais nous cherchons à mieux les cibler, à nous concentrer sur les dossiers qui présentent les risques financiers les plus élevés, et à faire en sorte que chacun de ces dossiers ait un impact financier plus important qu'auparavant. De notre point de vue, cette stratégie contribue à améliorer notre rendement et notre efficacité.
Pour faire bref, l'évolution de notre panier de prestations, qui présente désormais davantage de risques d'erreurs, conjuguée à notre incapacité à augmenter la part des effectifs dédiées à la fonction de contrôle, a largement contribué aux résultats statistiques que la Cour des comptes déplore dans son rapport.
Cette situation appelle une réaction de notre part, qui consistera à amplifier le plan d'actions que nous avons lancé sur des sujets que nous avions déjà identifiés.
À court terme, nous devrons sans doute envisager une évolution structurelle, au travers par exemple de la mise en oeuvre de la « solidarité à la source » : plutôt que d'intensifier les contrôles sur des données de mauvaise qualité, nous devons faire en sorte de disposer de données de bonne qualité dès le départ, ce qui correspond du reste au souhait exprimé par la Cour des comptes. Cette réforme, quand elle sera engagée, portera ses fruits progressivement, ne serait-ce que parce que, mécaniquement, nous continuerons à utiliser nos indicateurs à vingt-quatre mois durant un certain temps.
Nous conduisons également des actions visant l'amélioration de la qualité de service aux allocataires, de sorte à aboutir à un rééquilibrage satisfaisant entre les ressources humaines consacrées à la délivrance des prestations et celles qui sont dédiées à la maîtrise des risques.
Enfin, nous adopterons dans les jours à venir un plan d'amélioration de la qualité de traitement de nos prestations, qui fait suite à un audit interne réalisé l'an dernier, et qui vise à renforcer le pilotage de cette fonction « qualité » en améliorant la maîtrise des risques.
C'est dans ce contexte que les négociations autour de la prochaine COG se déroulent : la convention prévoit la mise à disposition de moyens supplémentaires...