Mes chers collègues, nous sommes réunis cet après-midi pour entendre M. Nicolas Grivel, directeur général de la Caisse nationale des allocations familiales (Cnaf) sur le projet de loi d'approbation des comptes de la sécurité sociale pour 2022.
J'indique que cette audition fait l'objet d'une captation vidéo retransmise en direct sur le site du Sénat.
Comme vous le savez, l'exercice 2022 a été particulier, dans la mesure où la Cour des comptes a refusé de certifier les comptes de la Cnaf et de la branche famille, en raison de l'augmentation de la proportion de paiements erronés.
Pour ne citer que cet exemple, si l'on prend l'indicateur de référence à vingt-quatre mois, les erreurs à la hausse ou à la baisse ont représenté 7,6 % du montant total des prestations versées en 2021, soit 5,8 milliards d'euros, contre 5,5 % du montant total des prestations versées en 2019.
Monsieur le directeur général, je vous invite à nous présenter les faits marquants de l'exécution 2022 et, notamment, le refus de certification des comptes de la Cour des comptes, et à nous livrer votre réaction à ce sujet.
Monsieur le président, mesdames, messieurs les sénateurs, je suis ravi de pouvoir échanger avec vous sur ce sujet important, qui a donné lieu à des interprétations parfois un peu rapides.
Mon audition s'inscrit dans le cadre de l'examen d'un nouveau projet de loi, le projet de loi d'approbation des comptes de la sécurité sociale, dit « Placss », et dans un contexte où les comptes de la Cnaf n'ont pas, pour la première fois depuis 2011, été certifiés par la Cour des comptes.
Pour entrer dans le vif du sujet, je relève tout d'abord que l'appréciation portée par la Cour des comptes n'est pas d'ordre comptable : les comptes de la branche famille reflètent fidèlement la réalité des paiements et des flux financiers enregistrés en 2022, comme lors des années précédentes. Le problème concerne davantage le contrôle interne et la maîtrise des risques, insuffisants au vu notamment de l'ampleur et de la grande complexité des prestations que nous gérons.
Je vous rappelle que notre système de prestations est fragile en raison des potentielles erreurs déclaratives des allocataires : l'essentiel du risque découle du manque de qualité des données entrantes, c'est-à-dire de la fiabilité des données dont nous disposons pour liquider les prestations. Cette réalité est naturellement connue depuis plusieurs années, mais un certain nombre de phénomènes l'ont amplifiée et ont contribué à dégrader nos indicateurs de risque.
Les outils que nous avons mis en place pour mesurer ces risques sont de plusieurs ordres. Nous disposons surtout d'indicateurs dits « de risque résiduel » : nous réalisons chaque année un contrôle exhaustif et intensif d'un échantillon de 6 000 dossiers, selon une périodicité variable, puisqu'il existe deux indicateurs de référence, un indicateur à neuf mois, et un autre à vingt-quatre mois, qui nous permettent d'évaluer le risque résiduel propre à chaque échéance.
Il s'agit d'une approche statistique à laquelle nous sommes attachés - et que, du reste, la Cour des comptes salue - et qui nous a permis de repérer la forte augmentation, depuis 2019, des erreurs dans le système de délivrance de nos prestations, que ce soit au détriment ou au bénéfice des allocataires.
Alors que, je le précise, ces indicateurs n'ont quasiment pas évolué entre 2021 et 2022, la Cour des comptes a certifié nos comptes en 2021, mais pas en 2022. Cette situation ne constitue pas pour autant une surprise pour nous : nos indicateurs s'étaient en effet beaucoup dégradés entre 2019 et 2021, et si la Cour a certifié nos comptes pour ces exercices, c'est qu'elle a fait preuve de beaucoup de compréhension, voire d'empathie, si je puis dire, vis-à-vis de la branche famille durant cette période, en prenant en considération la crise de la covid-19 et la réforme très complexe des aides au logement mise en oeuvre en 2021.
La Cour des comptes nous avait prévenus que, pour l'exercice 2022, elle ne tiendrait plus compte de ces événements, même si les indicateurs, notamment celui à vingt-quatre mois, mesurent une réalité très antérieure à 2022, qui englobe les épisodes troublés dont je viens de parler.
Cela étant, je retiens de l'argumentaire fort intéressant de la Cour des comptes que la trentaine de prestations que nous délivrons, pour près de 100 milliards d'euros par an, ont des caractéristiques très différentes et que certaines d'entre elles présentent des facteurs de risque plus élevés que d'autres, compte tenu notamment de la qualité des données entrantes.
Ainsi, les facteurs de risque sont très limités pour les prestations calculées sur la base de données fiscales datant des deux années précédentes (N-2), autrement dit des données très sécurisées et très stables. Lorsque les aides dépendent de données beaucoup plus complexes, le risque d'erreur de la part des allocataires s'accroît, d'autant que le contrôle ex ante de ces données est quasi impossible du fait du nombre élevé des prestations dont nous sommes responsables, sauf à retarder considérablement le versement des allocations, ce qui n'est évidemment pas concevable.
Nous revérifions un grand nombre de données, notamment en les croisant avec des données ex post, fiscales ou autres, mais il nous est impossible de toutes les contrôler. Nous avons tendance à vérifier en priorité les prestations qui représentent la charge financière la plus élevée.
Depuis 2019, notre système a connu deux réformes importantes, l'une relative à la prime d'activité, l'autre relative aux aides au logement, qui ont eu un effet direct sur nos indicateurs de risque.
En 2019, le doublement du jour au lendemain du montant de la prime d'activité qui, par ses caractéristiques, est l'une des prestations les plus risquées, a immédiatement et assez logiquement accru le nombre d'erreurs commises.
En 2021, j'y ai déjà fait allusion, une réforme d'ampleur, celle des aides personnelles au logement (APL), a été décidée : elle visait à faire correspondre le plus possible ces aides avec la situation réelle des allocataires, en faisant en sorte que le système repose sur des données très récentes, datant parfois de quelques mois seulement.
Ces aides au logement, qui étaient parmi les plus simples que nous gérions, notamment parce que le calcul des droits reposait sur les données fiscales de l'année N-2, ont soudain posé problème, tant aux caisses d'allocation familiale (Caf) - difficultés d'appropriation de la réforme par les équipes et de mise à niveau des systèmes d'information - qu'aux allocataires, dont les obligations déclaratives ont soudain changé. Les erreurs ont alors considérablement augmenté.
En définitive, le quasi-doublement des erreurs relevées par la Cour des comptes peut être attribué presque intégralement à ces deux seules réformes. Cela ne signifie pas pour autant qu'il ne faut rien faire, mais je tenais à apporter ces quelques précisions importantes.
S'ajoutent à cela des problèmes circonstanciels de qualité de service, qui découlent en partie de la difficile mise en oeuvre de la réforme des aides au logement, de l'afflux des demandes, d'une augmentation du nombre d'allocataires et de la difficulté pour les équipes à respecter les objectifs en termes de délais.
La question des effectifs est pendante : en 2020 et 2021, nous avons allégé les effectifs consacrés au contrôle, au vu du contexte très particulier de la pandémie. En 2022, nous sommes revenus à des standards plus proches de nos objectifs, mais la situation n'est pas encore revenue à la normale.
La problématique des effectifs dévolus au contrôle des prestations fait d'ailleurs l'objet d'un débat entre la Cnaf et la Cour des comptes.
De son côté, la Cour observe à juste titre qu'en 2022 nous sommes en deçà des objectifs fixés par l'actuelle convention d'objectifs et de gestion (COG) en ce qui concerne le nombre de contrôles. De notre côté, nous avons privilégié un changement de stratégie : nous menons certes moins de contrôles, mais nous cherchons à mieux les cibler, à nous concentrer sur les dossiers qui présentent les risques financiers les plus élevés, et à faire en sorte que chacun de ces dossiers ait un impact financier plus important qu'auparavant. De notre point de vue, cette stratégie contribue à améliorer notre rendement et notre efficacité.
Pour faire bref, l'évolution de notre panier de prestations, qui présente désormais davantage de risques d'erreurs, conjuguée à notre incapacité à augmenter la part des effectifs dédiées à la fonction de contrôle, a largement contribué aux résultats statistiques que la Cour des comptes déplore dans son rapport.
Cette situation appelle une réaction de notre part, qui consistera à amplifier le plan d'actions que nous avons lancé sur des sujets que nous avions déjà identifiés.
À court terme, nous devrons sans doute envisager une évolution structurelle, au travers par exemple de la mise en oeuvre de la « solidarité à la source » : plutôt que d'intensifier les contrôles sur des données de mauvaise qualité, nous devons faire en sorte de disposer de données de bonne qualité dès le départ, ce qui correspond du reste au souhait exprimé par la Cour des comptes. Cette réforme, quand elle sera engagée, portera ses fruits progressivement, ne serait-ce que parce que, mécaniquement, nous continuerons à utiliser nos indicateurs à vingt-quatre mois durant un certain temps.
Nous conduisons également des actions visant l'amélioration de la qualité de service aux allocataires, de sorte à aboutir à un rééquilibrage satisfaisant entre les ressources humaines consacrées à la délivrance des prestations et celles qui sont dédiées à la maîtrise des risques.
Enfin, nous adopterons dans les jours à venir un plan d'amélioration de la qualité de traitement de nos prestations, qui fait suite à un audit interne réalisé l'an dernier, et qui vise à renforcer le pilotage de cette fonction « qualité » en améliorant la maîtrise des risques.
C'est dans ce contexte que les négociations autour de la prochaine COG se déroulent : la convention prévoit la mise à disposition de moyens supplémentaires...
On parle de 1 000 équivalents temps plein (ETP) supplémentaires d'ici 2027 !
Pour la seule branche famille, la COG ne prévoit que 430 ETP supplémentaires par rapport à la fin de l'exercice 2022, auxquels il faut ajouter la hausse annoncée de 200 ETP cette année-là, soit environ 600 postes en plus au total.
Cette augmentation de nos effectifs devrait nous permettre de restaurer à la fois la qualité de service - délivrance des prestations pour les allocataires - et du droit - sécurisation des droits - et de poursuivre la conduite de projets nouveaux et complémentaires : la mise en oeuvre de la « solidarité à la source », j'en ai parlé, le service public de la petite enfance, la déconjugalisation de l'allocation aux adultes handicapés (AAH), etc.
Par ailleurs, le ministre Gabriel Attal a annoncé, dans le cadre spécifique de son plan de lutte contre la fraude, le renforcement des effectifs des caisses de la sécurité sociale : ce sont les 1 000 ETP auxquels vous faisiez allusion, monsieur le président, qui concernent en réalité l'ensemble des branches d'ici 2027.
En outre, nous agissons, à court et à moyen terme, pour répondre à la situation décrite par la Cour des comptes, en travaillant à la « solidarité à la source » et à l'adossement des données entrantes sur le dispositif de ressources mensuelles (DRM), car c'est là que tout se joue.
Notre ambition est de parvenir, grâce au DRM et à un système qui reposerait désormais sur une déclaration préremplie, à une meilleure qualité des données entrantes, notamment pour le versement des prestations les plus variables et les plus sensibles - je pense au RSA et à la prime d'activité. Cet objectif peut être atteint dans un avenir proche, puisque nous l'expérimenterons en 2024 et que nous envisageons de le généraliser dès 2025.
Vous avez insisté dans votre propos sur la nécessaire qualité des données entrantes, véritable noeud du problème. Qu'envisagez-vous en la matière ? La mobilisation des données du DRM ou celle des données de la déclaration sociale nominative (DSN) vous semble-t-elle une piste intéressante ?
La Cour des comptes préconise par ailleurs de contrôler davantage les allocataires du revenu de solidarité active (RSA), d'autant que le futur projet de loi pour le plein emploi prévoit une modification des conditions à remplir pour en bénéficier : quelles sont vos perspectives en la matière ?
Il est en effet prévu de recourir au DRM pour les bénéficiaires du RSA et de la prime d'activité, les deux prestations les plus lourdes et les plus risquées. Nous sommes très attachés à cette évolution, qui conduira au remplacement de déclarations d'allocataires « livrés à eux-mêmes » par des déclarations d'allocataires résultant de déclarations préremplies sur le fondement de la DSN.
Le dispositif a fait l'objet d'une expérimentation dans cinq Caf l'année dernière, et se déploiera dans dix Caf cette année : l'objectif est d'évaluer si le recours au DRM réduit le taux d'erreur que l'on atteint dans un système reposant sur l'actuelle déclaration trimestrielle que remplissent les demandeurs du RSA et de la prime d'activité.
Le résultat de cette expérimentation est a priori sans appel : nous constatons d'ores et déjà un renforcement de la fiabilisation des données, notamment à partir des données des mois M-2 et M-3. L'amélioration est en revanche beaucoup moins nette lorsque les données utilisées datent de M-1, ce qui nous a amenés à demander le décalage de la période de référence du calcul des prestations, pour retenir un trimestre composé des mois M-4, M-3 et M-2.
Évidemment, ce nouveau système de référence n'élimine pas toutes les erreurs, mais le fait que le calcul des prestations repose sur le trimestre contribue à donner à notre système social une réactivité très importante, ce qui est souhaitable.
L'enjeu à plus long terme est de fiabiliser totalement le DRM, c'est-à-dire d'éliminer les quelques erreurs qui demeureraient.
Le recours à la déclaration mensuelle lors de la mise en oeuvre de la réforme des aides au logement en 2021 nous a déjà permis de nous améliorer. Nous serons encore meilleurs si nous parvenons à favoriser une meilleure articulation des Caf avec les organismes gestionnaires des données, c'est-à-dire l'Urssaf, Agirc-Arrco, la Caisse nationale d'assurance vieillesse (Cnav), dans le cadre d'une gouvernance qui permettra d'identifier au plus vite les erreurs déclaratives des tiers, en particulier les erreurs systémiques.
D'une certaine façon, vous êtes coincés entre la « fraîcheur » des données entrantes, nécessaire pour répondre au mieux à la réalité des situations, et leur nécessaire « profondeur » qui permet d'en renforcer la fiabilité. Ne pourrait-on pas trouver un juste équilibre entre cette fraîcheur et cette profondeur pour les trois prestations que sont les aides personnelles au logement (APL), le RSA et la prime d'activité, en retenant par exemple une période de référence commune de six mois ?
Aujourd'hui, nous sommes confrontés à des situations différentes, qui n'empêchent pas pour autant un rapprochement des modes de calcul, puisque le mois M-2 devient le butoir commun pour le calcul des prestations, quand bien même la période de référence diffère.
Vous ouvrez à juste titre un débat de fond, qui va plus loin que la seule question des périodes de référence, celui de l'unification des bases de ressources. Cela me rappelle d'une certaine façon le débat autour du revenu universel d'activité.
La nature des prestations servies par les Caf est très différente d'une aide à l'autre. J'ajoute que les allocataires sont très attachés à la stabilité dans le temps des prestations qu'on leur verse, mais aussi à leur fiabilité, car rien n'est pire que de devoir rembourser un indu. De ce point de vue, la variation trimestrielle du calcul des aides au logement a beaucoup perturbé les allocataires et les associations qui les accompagnent.
Des mesures de simplification sont certes souhaitables, mais leur mise en oeuvre prendra du temps. Sans compter, je le répète, que les prestations diffèrent beaucoup les unes de autres : les aides au logement n'obéissent pas à la même logique que le RSA ou la prime d'activité, qui impliquent une forte réactivité face aux demandes des publics, car elles doivent tenir compte des ruptures de situations et accompagner des personnes qui sont souvent sans emploi ou ne disposent que de revenus modestes.
Parmi les documents annexés au projet de loi d'approbation des comptes de la sécurité sociale figurent les rapports d'évaluation des politiques de sécurité sociale (Repss).
Dans le cas du Repss « Famille », les indicateurs relatifs aux établissements d'accueil du jeune enfant (EAJE) s'arrêtent en 2019 ou en 2020, ce qui est particulièrement regrettable quand on sait que la COG 2018-2022 avait fixé pour objectif à la Cnaf la création de 30 000 places d'accueil supplémentaires nettes en EAJE. Pouvez-vous nous dire combien de places ont effectivement été créées ?
Le 1er juin 2023, la Première ministre a annoncé la création de 200 000 places d'accueil d'ici 2030. Cet objectif vous semble-t-il atteignable, et selon quelles modalités ? Tout récemment, une élue de Montrouge me disait qu'elle avait dû fermer une crèche dans sa commune faute de personnels : comment pourrait-on créer 200 000 places dans de telles conditions ?
Globalement, sur la période 2018-2022, nous avons créé un peu moins de 15 000 places nettes, soit un peu moins de la moitié de ce qui était prévu. Je rappelle cependant que nous avons traversé une période un peu particulière avec la crise de la covid-19, et ce malgré les aides qui ont contribué à maintenir le secteur sous perfusion.
Malgré toute notre énergie et les moyens qui y étaient consacrés, la dynamique n'a pas été au rendez-vous. D'où notre contribution au débat sur le service public de la petite enfance et sur la meilleure manière de rectifier la situation dans les prochaines années.
Nous avons conscience des difficultés que rencontrent les collectivités locales et des problèmes actuels de démographie. Il faut faire évoluer un certain nombre de paramètres et de dispositifs pour que les choses s'améliorent. La question de la gouvernance du service public de la petite enfance fera, je vous l'indique, l'objet de l'article 10 du futur projet de loi pour le plein emploi.
Les aspects financiers de cette problématique et, donc, les objectifs en termes de nombre de places trouveront leur traduction dans la future convention d'objectifs et de gestion de la branche.
Vous l'avez dit, la Première ministre a récemment évoqué le sujet de la petite enfance : elle a d'ores et déjà annoncé que le secteur disposerait de 1,5 milliard d'euros supplémentaires dans le cadre de la prochaine COG. L'ambition est donc claire.
Notre souhait est de pouvoir jouer sur les deux leviers que sont la qualité, au sens large, et la quantité : le rapport de l'inspection générale des affaires sociales (Igas) a pointé un certain nombre de difficultés ponctuelles, mais il existe des problèmes de fond à régler, que sont le manque de professionnels dans les crèches, le manque d'attractivité des métiers et l'insuffisance des formations.
Cette situation suppose certainement qu'une réflexion soit menée sur l'évolution des rémunérations des professionnels du secteur. Elle suppose aussi de trouver des solutions concrètes pour les différentes structures, de financer et d'apporter un appui en matière d'ingénierie aux territoires et aux porteurs de projets, notamment dans les territoires les plus fragiles.
Vous savez sans doute que les collectivités locales devraient se voir reconnaître, par la loi qui est en cours de discussion, le rôle d'autorité organisatrice dans le secteur de la petite enfance et de l'information des familles : nous devons faire savoir aux élus locaux que la branche famille est là pour les accompagner, les conseiller et les financer plus durablement et efficacement qu'auparavant.
Je ne suis pas certain qu'il soit forcément pertinent de comparer les quelque 15 000 places de crèches nettes créées entre 2018 et 2022 et les 200 000 places évoquées par la Première ministre, qui ne sont pas, si j'ai bien compris, des places de crèche stricto sensu, mais des solutions d'accueil au sens large, par exemple, dans le cadre des maisons d'assistants maternels.
J'en profite pour rappeler que l'accueil individuel des enfants est un sujet crucial : la situation des assistantes maternelles est primordiale, notamment dans les territoires où cette solution reste la plus répandue : si nous ne favorisons pas le développement de cette offre individuelle et si nous n'encourageons pas la complémentarité entre les modes d'accueil individuel et collectif, nous courons à l'échec, d'où la nécessaire gouvernance du service public de la petite enfance que nous appelons de nos voeux.
Nous devons réfléchir de manière globale aux solutions les plus adaptées aux territoires, aux demandes des familles et à la réalité du terrain.
Les enquêtes récentes, notamment celle de la direction de la recherche, des études, de l'évaluation et des statistiques (Drees) sur les besoins des familles, montrent que leurs attentes excèdent les 200 000 nouvelles places d'accueil annoncées. Il faut donc actionner tous les leviers à notre disposition pour améliorer les choses.
Je me permets de vous faire une suggestion : compte tenu des graves difficultés que cela pose dans les territoires ruraux, il conviendrait d'harmoniser les différents modes de prise en charge financière de l'accueil des enfants en micro-crèche. Beaucoup de communes et d'associations rurales sont confrontées à un hiatus. Si l'on ne parvient pas à résoudre le problème, on risque de décourager les maires des petites communes qui ne ménagent pourtant pas leurs efforts pour maintenir des services de proximité pour les familles.
Il est prévu une baisse d'environ 100 000 assistantes maternelles à l'horizon 2030. Il faut donc comprendre que l'essentiel des efforts fournis afin de créer 200 000 places pour la petite enfance concernera les crèches.
Permettez-moi de revenir un instant sur la question de la solidarité à la source, sujet du rapport que nous sommes en train d'élaborer au nom de la Mecss, René-Paul Savary et moi-même.
Monsieur le directeur général, vous avez évoqué la qualité des données entrantes du dispositif de ressources mensuelles. Or on estime qu'environ 2 % des déclarations sociales nominatives alimentant le DRM comportent des erreurs. Ce chiffre est-il, d'après vous, toujours d'actualité ?
Les représentants de la direction générale de la cohésion sociale (DGCS) et de la direction de la sécurité sociale (DSS) ont déclaré, lors de leur audition, que la baisse du taux de non-recours aux prestations - qui varie entre 30 et 50 % selon les aides - entraînerait mécaniquement une hausse des dépenses sociales, mais que ce surcoût serait largement compensé par les économies attendues - et c'est tant mieux ! - à la suite de la réduction des indus et des rappels qui découlera de l'amélioration des dispositifs. Qu'en pensez-vous ?
Ils ont aussi affirmé que la Cnaf disposait d'une première évaluation des économies que pourrait engendrer le préremplissage des déclarations de ressources des demandeurs et allocataires du RSA et de la prime d'activité. Êtes-vous en mesure de nous fournir cette estimation chiffrée ?
J'ai coutume de dire qu'il faut se montrer prudent sur le sujet, d'une part, parce que la réforme se fera progressivement, par étapes successives, et qu'elle vise moins à réaliser des économies qu'à simplifier et à améliorer le système de délivrance des prestations et, d'autre part, parce qu'il est très difficile d'en évaluer l'impact sur l'accès aux droits et le recours aux prestations, impact qui résulte directement des potentiels changements de comportement des demandeurs et allocataires des différentes prestations.
Les expérimentations en cours devraient pourtant vous permettre de connaître assez rapidement la proportion réelle d'indus et de rappels et d'en tirer des enseignements. À combien évaluez-vous les économies réalisées ?
J'ai trop de respect pour la représentation nationale pour vous livrer des chiffres contestables. L'expérimentation n'a pas pour but d'évaluer le montant des économies possibles, mais de mieux comprendre les pratiques, en définissant les points de vigilance à considérer, et en identifiant les éléments déclaratifs les plus risqués.
Potentiellement, ce dispositif peut contribuer à économiser plusieurs centaines de millions d'euros mais, encore une fois, dans une proportion que je ne connais pas précisément et que je me garderai bien de chiffrer en détail.
De notre point de vue d'utilisateur - et non de producteur - des données, c'est bien cet ordre de grandeur qui est, je le rappelle, très inférieur au taux d'erreur relevé au niveau du RSA ou de la prime d'activité. Ce taux de 2 % est donc élevé, mais il est à comparer aux pourcentages d'erreurs actuels... Le saut en termes de fiabilité semble déjà très important.
Monsieur Grivel, je vous remercie pour les réponses très concrètes que vous venez d'apporter.
Permettez-moi cependant une petite remarque : aujourd'hui, les standards téléphoniques de la Caf exaspèrent tout le monde et suscitent beaucoup de colère chez nos concitoyens qui, souvent, n'obtiennent pas la réponse qu'ils désiraient. Que faire pour améliorer la situation ?
Qu'envisagez-vous par ailleurs de faire pour aider les jeunes, les étudiants, les apprentis qui perçoivent des allocations logement, mais qui font parfois face à de réelles difficultés lorsque leurs propriétaires, pour la plupart privés, oublient ou tardent à envoyer à la Caf les quittances de loyers qu'ils ont pourtant acquittées ? Quand les propriétaires ne remplissent pas leurs obligations, ce sont ces jeunes qui sont privés d'aides au logement ! Pire, il faut bien trois à quatre mois pour que leurs droits soient rétablis. Or, sans APL, ils se retrouvent très souvent dans des situations financières dramatiques.
Vous avez raison de soulever le problème de nos accueils téléphoniques. Nos résultats en la matière sont, d'une manière générale, insuffisants dans la période récente. Depuis la crise de la covid-19, nous faisons face à une hausse de 30 % des sollicitations téléphoniques, alors que nos effectifs n'ont évidemment pas progressé dans les mêmes proportions.
Nous avons concentré notre expertise sur les sujets les plus complexes et externalisé une partie des réponses téléphoniques les plus simples, notamment tout ce qui a trait à l'information de non-allocataires qui souhaiteraient obtenir des renseignements génériques.
En 2022, nos statistiques en termes de réponse téléphonique se sont améliorées, même si elles restent insuffisantes, puisque notre taux de réponse avoisine les 80 % et non les 90 % comme nous le souhaiterions.
Pour améliorer la réponse téléphonique en tant que telle, nous avons décidé de nous doter d'un outil de meilleure qualité, qui nous permettra de fluidifier les flux d'appels, de mieux adapter les réponses à la typologie des questions posées et de faire en sorte que les demandes les plus complexes soient traitées par les personnes les plus expérimentées.
Pour que le nombre d'appels diminue, il faut en parallèle que les personnes obtiennent une réponse du premier coup. Il nous faut également être proactifs et prévenir les difficultés des allocataires : plutôt que d'attendre que les gens nous appellent, il nous faut les contacter, pour les alerter par exemple d'un futur changement de situation ou de la possible interruption de leurs droits.
S'agissant des APL, la période de déclaration des loyers est circonscrite au seul mois de juillet, mais les Caf attendent généralement le mois de janvier suivant pour interrompre les droits des allocataires si, à ce moment-là, aucun justificatif ne leur a été fourni.
Nous devons intensifier nos contacts avec les propriétaires, en sachant que ceux-ci ont de toute façon intérêt à nous transmettre des documents, qui servent à verser des aides à leurs locataires.
Le projet de loi pour le plein emploi prévoit qu'en cas de retour sur le droit chemin, si je puis dire, d'un allocataire auquel on aurait suspendu le versement du RSA, cette prestation lui sera versée de façon rétroactive.
Je me pose donc une question purement technique : le futur système de « solidarité à la source », qui suppose une forme d'automaticité, sera-t-il en mesure de tenir compte de cette « complexité » ?
Le dispositif est encore en cours d'expertise, d'autant que les détails techniques ne sont pas encore tout à fait connus. Votre question sur la faisabilité de cette mesure est donc légitime, mais je ne suis pas encore en mesure d'y apporter une réponse.
Je vous remercie d'avoir répondu à nos questions.
Ce point de l'ordre du jour a fait l'objet d'une captation vidéo qui est disponible en ligne sur le site du Sénat.
La réunion est close à 18 h 10.
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