Intervention de Sébastien Lecornu

Réunion du 28 juin 2023 à 15h00
Programmation militaire pour les années 2024 à 2030 — Rapport annexé

Sébastien Lecornu, ministre :

Je ne livrerai pas tant d'informations que je poursuivrai la réflexion à voix haute. Des amendements similaires ont été déposés par La France insoumise à l'Assemblée nationale ; nous en avions longuement débattu. Pour faire une synthèse, j'avais été amené à tirer le fil des amendements jusqu'au bout.

En premier lieu, nous ne pouvons évidemment pas nous permettre, ce que vos collègues députés communistes avaient d'ailleurs complètement intégré, de sous-entendre que la dissuasion ne produirait plus d'effet, aujourd'hui comme dans l'avenir. En effet, le concept même de dissuasion implique justement de ne pas mettre en doute son efficacité à dissuader.

Cela relève de la rhétorique. Au-delà de la création d'un commissariat, qui ne pose pas tant la question d'être en faveur ou non de la direction des applications militaires (DAM), vous soulevez une réflexion autour du concept même de dissuasion. Pour dissuader, il faut y croire et avoir les moyens d'y croire. Cet argument mériterait à mon avis que nous nous penchions dessus collectivement en y consacrant plus de temps.

En second lieu, vous écrivez clairement dans l'amendement que vous proposez une « alternative » à la dissuasion nucléaire. La formulation est d'ailleurs plus explicite que celle des amendements qui ont été examinés à l'Assemblée nationale. J'avais alors ouvert le débat à l'occasion d'une réflexion collective. Pourquoi la dissuasion nucléaire dissuade-t-elle ? Parce qu'elle est fondamentalement terrifiante. Je crois qu'il n'y a pas de doute ; l'équilibre repose précisément sur ce sentiment.

Au fond, et les députés de La France insoumise m'en avaient d'ailleurs donné acte, réfléchir à quelque « alternative » à la dissuasion nucléaire inspirant un sentiment tout aussi terrifiant entraînerait forcément de la prolifération.

En effet, votre raisonnement revient à se demander comment dissuader autant qu'avec une arme nucléaire. Ce n'est pas ce que vous proposez, mais c'est la conclusion à laquelle l'on parvient si l'on tire sur le fil de votre raisonnement…

Certains de vos collègues parlementaires de La France insoumise avaient souligné que la dissuasion serait peut-être à l'avenir spatiale, cyber ou autre.

Ne nous payons pas de mots. Quand bien même la dissuasion ne serait pas nucléaire, elle devrait toujours être d'une puissance équivalente. Si le débat est intéressant sur le terrain rhétorique, il nous amène de fait à une réflexion lourde de conséquences pour une démocratie, me semble-t-il.

D'une part, votre amendement revient à introduire l'idée que la dissuasion ne suffirait plus à l'avenir. Il s'agit d'un autre débat à part entière. La LPM me semble être le moment propice pour prendre le temps d'échanger sur le sujet.

D'autre part, il conduit à réfléchir à autre chose pour dissuader l'autre de s'en prendre à nos intérêts vitaux. C'est aller vers des choses aussi terribles. Je crois que c'est le ressort même d'une dissuasion.

Cette question avait été examinée à l'Assemblée ; il était assez nouveau de la poser en ces termes dans des échanges publics. Moi qui suis un militant de la dissuasion nucléaire, quand je mène le débat jusqu'au bout – il avait duré trois ou quatre heures à l'Assemblée nationale –, il apparaît à la fin des fins que la dissuasion fonctionne, c'est-à-dire dissuade.

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