Madame la présidente, madame le ministre, monsieur le secrétaire d’État, mes chers collègues, dans son discours d’Orsay, le 28 janvier dernier, le Président de la République affirmait que « la France en deuxième division de la science mondiale ne serait plus la France ». La réalité nous démontre pourtant qu’en très peu de temps notre pays a cédé énormément de terrain et a ainsi quitté le cercle des dix nations les plus dynamiques en matière de recherche et de développement.
Troisième pays scientifique en 1970, cinquième en 1985, encore septième en 1995, la France se place désormais au quatorzième rang mondial pour la dépense intérieure de recherche et de développement par rapport au produit intérieur brut.
En 2006 l’effort total de recherche ne représentait déjà plus que 2, 12 % du PIB. Pour 2008, ce taux est estimé à 2, 08 % : il faut revenir plus de vingt-cinq ans en arrière pour trouver un taux aussi bas. En outre, celui-ci comprend la recherche militaire, qui est très proche de 10 % de notre effort total. Pour la seule recherche civile, la France stagne en dessous de 1, 90 % du PIB, alors que, dans le même temps, bien d’autres pays ont considérablement progressé. Proportionnellement, selon les chiffres de l’OCDE, l’Allemagne a consacré en 2006 un tiers de plus que la France à sa recherche civile, le Japon 75 % et la Finlande 82 %.
À l’échelle nationale, les secteurs public et privé financent chacun pour moitié l’effort de recherche. Mais, du fait des aides de l’État et de la sous-traitance de contrats militaires ou spatiaux, le secteur privé exécute près des deux tiers de notre recherche. Il n’en reste pas moins que la part de la recherche effectuée par les entreprises demeure largement en deçà du niveau espéré pour atteindre l’objectif de Lisbonne.
Avec 1, 10 % du PIB, l’investissement du secteur privé français dans sa propre recherche reste remarquablement bas, et ce malgré les dispositifs fiscaux censés inciter les entreprises à s’engager massivement dans la recherche. Mais, plus encore que le classement de la France – sixième en Europe, treizième dans le monde –, c’est l’importance des écarts, qui se creusent fortement avec les grands pays technologiques et industriels, qui est terriblement préoccupante : la recherche privée atteint 1, 70 % du PIB en Allemagne et aux États-Unis, 2, 55 % au Japon et en Suède.
Alors que la France est l’un des pays où les aides directes de l’État aux entreprises sont déjà les plus fortes, que penser des sommes colossales engagées au travers du crédit d’impôt recherche ? Ce type de dégrèvement d’impôt finance désormais 30 % des dépenses de recherche et développement des entreprises. Plus de 2 milliards d’euros seront consacrés au crédit d’impôt recherche en 2008 et ce dispositif fiscal, profitant avant tout, aux grands groupes pourrait s’élever à 3 milliards ou 4 milliards d’euros en 2012.
Pour reprendre les propos du chef de l’État, « le crédit d’impôt recherche a été porté en France à un niveau inégalé dans le monde », alors même que son efficacité reste à démontrer puisqu’il n’y a encore à ce jour aucune évaluation.
On rappellera qu’entre 2002 et 2006 les dépenses des entreprises en recherche et développement ont progressé beaucoup plus modestement que le crédit d’impôt recherche qu’elles ont reçu. C’est pourquoi nous avions proposé, dans la première partie du projet de loi de finances – la commission des affaires culturelles également –, un amendement visant à limiter la progression du crédit d’impôt recherche et à renforcer les crédits budgétaires des universités et organismes dans le prochain budget. La majorité n’a pas souhaité l’adopter, nous le regrettons vivement.
Ainsi le crédit d’impôt recherche sera une nouvelle fois renforcé en dépit de l’absence de toute évaluation officielle quand, dans le même temps, toutes les activités d’enseignement et recherche publics sont soumises aux évaluations de l’AERES, qui dispose d’un droit de vie et de mort sur les formations, les projets et les laboratoires. Le Gouvernement fait ainsi preuve d’une extrême souplesse, voire de largesse à l’égard du secteur privé, tout en renforçant son contrôle et son pilotage du secteur public. Les personnels des universités et des organismes apprécieront...
Depuis cinq ans, les gouvernements successifs ont répété que la France financerait massivement sa recherche publique, à hauteur de 1 % du PIB. Le budget de la recherche serait ainsi « l’un des plus élevés du monde », selon l’expression du Président de la République. Or cette affirmation est fausse. Le financement public de la recherche s’élève à 0, 85 % du PIB, y compris le financement de la recherche publique menée par les universités et les organismes, la recherche militaire, pour partie les « grands programmes » – nucléaire, spatial, aérospatial – et diverses recherches industrielles.
En fait, la France ne consacre que 0, 6 % de son PIB à la recherche publique au sens strict, telle qu’on la définit dans les autres pays. S’agissant de la part du PIB consacrée à la recherche académique, notre pays n’occupe que le dix-huitième rang mondial, se retrouvant ainsi plus mal classé que la Turquie ! La situation est similaire en matière de dépenses par étudiant, d’ailleurs.
Malgré cette situation, réjouissons-nous de constater que la recherche française continue à recevoir des distinctions internationales.
Faut-il le rappeler, le CNRS occupe le cinquième rang mondial et le premier rang européen en termes de publications. La France demeure encore, de ce point de vue, au sixième rang mondial.
L’entreprise de déconstruction en cours ne peut donc être légitimée par de prétendus résultats désastreux, contrairement à ce que certains suggèrent parfois. Notre système d’enseignement supérieur et de recherche est moins handicapé par ses structures que par le manque de moyens.
Cela dit, le budget de la mission « Recherche et enseignement supérieur » pour 2009 ne devrait pas permettre d’inverser la tendance. Les crédits de paiement ne progressant que de 3, 2 %, les moyens budgétaires de la mission n’augmenteront guère, d’autant que l’inflation – nous le savons bien – a été largement sous-évaluée. Ainsi ce budget ne connaîtra-t-il aucune progression significative en euros constants, d’autant que, sur les 758 millions d’euros supplémentaires annoncés, 370 sont d’ailleurs directement liés aux cotisations retraite et ne constituent donc qu’une mesure de rattrapage.
Hors retraites, les moyens en euros constants de tous les organismes devraient donc diminuer.
La faiblesse de l’investissement de l’État dans l’appareil de recherche s’accompagne d’une démolition de tout ce qui, offrant aux scientifiques un minimum de liberté, leur donnait la possibilité de prendre des risques.
Laboratoires, organismes et statuts sont ainsi remis en cause. Au travers d’agences telles l’Agence d’évaluation de la recherche et de l’enseignement supérieur, l’AERES, et l’Agence nationale de la recherche, l’ANR, entièrement composées de personnalités nommées, le Gouvernement renforce effectivement encore un peu plus, à tous les niveaux, son contrôle sur l’orientation, le financement et l’évaluation de la recherche.
À chaque niveau sont systématiquement instaurées des logiques de concurrence qui nuisent aux synergies et aux coopérations. Ces logiques se manifestent notamment sous la forme d’une modulation du financement des universités en fonction de leur performance, d’un système de primes pour les personnels ou encore d’un recours de plus en plus fréquent aux financements à très court terme des projets des laboratoires via l’ANR.
Plus grave, la suppression de 900 emplois frappe les universités comme les organismes. À la disparition programmée de ces postes statutaires et des allocations de doctorants et post-doctorants s’ajoutent les effets pervers de la création de 130 chaires, chacune d’entre elles étant financée par la suppression de deux postes, l’un en université, l’autre en organisme.
Dans un contexte où les filières menant au doctorat sont toujours plus boudées par les étudiants, ces mesures envoient un signal extrêmement négatif aux jeunes encore attirés par les carrières scientifiques. C’est pourtant aujourd’hui que se joue, pour les trois prochaines décennies, la qualité de l’enseignement supérieur et de la recherche. Or le nombre de thèses stagne depuis dix ans. Il est donc urgent de se préoccuper de l’avenir !
Dans cette perspective, il aurait été judicieux de satisfaire les importants besoins d’encadrement des étudiants en premier cycle. Lutter contre l’échec à l’université nécessite la création d’un millier de postes d’enseignants-chercheurs, et non le recours à des heures supplémentaires qui alourdiront le service des maîtres de conférences et nuiront à la qualité de leurs enseignements et de leurs travaux de recherche.
Le dogme intégriste du non-remplacement d’un fonctionnaire partant à la retraite sur deux ne saurait s’imposer dans les domaines où se joue l’avenir de la France. De même que l’enseignement scolaire, l’enseignement supérieur et la recherche font partie de ces secteurs clés essentiels à la construction de la France de demain. Les économies de court terme réalisées en ces domaines fragilisent durablement le pays.
Alors que l’investissement en matière grise devrait être la priorité des priorités, des comptables arrogants et glacés, s’estimant supérieurs, nous affirment que la formation, la culture et la recherche coûtent cher. C’est au contraire leur absence qui coûte cher, madame la ministre.
Certes, le temps politique a ses propres contraintes et sa propre dynamique, et la tentation est grande d’afficher des résultats immédiats, mais souvent illusoires. Précisément, la politique ne consiste-t-elle pas également à savoir prévoir, anticiper et offrir une vision de la France de l’Europe pour les prochaines décennies ?
Dans cet esprit, le recul de la France sur le plan international ne devrait-il pas vous conduire à revoir la politique menée depuis cinq ans ? N’est-il pas urgent de créer un appel d’air en ouvrant des perspectives d’emploi dans le secteur public de l’enseignement supérieur et de la recherche à nos jeunes, aux chercheurs et enseignants-chercheurs, ainsi qu’aux scientifiques partis à l’étranger ? Ou encore ne pourrions-nous conditionner l’octroi du crédit d’impôt recherche à l’embauche de jeunes docteurs maîtrisant les logiques et les contraintes de la recherche ?
Pour conclure, je citerai une dernière fois – point trop n’en faut – le Président de la République. En octobre 2006, il rappelait, je le cite, qu’« il faut des années pour créer un bon système de recherche, quelques mois pour le dilapider ».
Force est de constater que la refonte de l’appareil d’enseignement supérieur et de recherche engagée ces dernières années a d’ores et déjà contribué à l’affaiblir.
D’année en année, la France s’éloigne de l’objectif de Lisbonne. La communauté scientifique s’en émeut publiquement – c’était encore le cas hier. Pourtant, le Gouvernement demeure sourd aux acteurs de l’enseignement supérieur et de la recherche. Il est de notre responsabilité de les entendre.
Au moment même où le pays a le plus grand besoin d’une politique de formation, de recherche et d’innovation ambitieuse, le Gouvernement présente un budget lourd de menaces pour l’avenir de l’enseignement supérieur et de la recherche et, donc, du pays.
Nous ne pourrons donc pas voter ces crédits.