Madame la présidente, madame la ministre, monsieur le secrétaire d'État, mes chers collègues, la stratégie de communication ministérielle concernant le budget de la recherche et de l’enseignement supérieur est bien rodée.
Dans un contexte de crise, vous pourriez, madame la ministre, vous prévaloir à l’envi d’un budget en progression, courageux et ambitieux. Mais cet affichage publicitaire ne tient pas à l’épreuve des faits et à l’examen des chiffres.
Ce projet de budget tourne le dos aux engagements pris, tout particulièrement en matière de recherche. Ainsi l’objectif de porter à 3 % du PIB l’effort de recherche, initialement fixé pour 2010, est reporté à 2012, alors même que le double contexte de la crise financière et économique internationale et de la lutte contre le réchauffement climatique devrait inciter le Gouvernement à mettre les bouchées doubles.
En réalité, le montant alléchant de 1, 8 milliard d’euros, dont on nous rebat les oreilles, résulte de l’addition des crédits budgétaires stricts limités à 964 millions d’euros, des remboursements d’impôts pour les entreprises, des produits financiers des privatisations – l’opération campus – et de financements privés.
La principale mesure de soutien réside en fait dans le crédit d’impôt recherche, qui augmente de 620 millions d’euros. La priorité systématique donnée à la recherche privée, avec 57 % des moyens nouveaux, est plus que contestable. Même si c’est l’effort de recherche privée qui est insuffisant au regard des objectifs de la stratégie de Lisbonne, il ne sera pas possible, sans une politique ambitieuse de la recherche publique, de développer la recherche privée de manière satisfaisante. Or la hausse des crédits affectés aux organismes ne couvrira pas l’inflation.
D’ailleurs, l’avis du Conseil supérieur de la recherche et de la technologie ne peut être plus explicite sur le financement des organismes : « L’augmentation prévue du budget des organismes de recherche est de 365 millions d’euros en 2009, dont 178 millions d’euros seront dévolus aux carrières et pensions. L’augmentation du budget global destinée aux programmes représente donc en fait 1, 95 %, alors que le taux prévisible d’inflation est de l’ordre de 3 %.
« L’analyse de la ventilation des crédits supplémentaires montre que la part consacrée aux programmes des organismes – hors grandes infrastructures – est de plus 70 millions d’euros. Cette somme devant couvrir également les augmentations de dépenses dues à la restructuration des organismes en instituts et à la valorisation, le Conseil redoute qu’un grand nombre de programmes de recherche fondamentale, qui ne s’inscrivent pas dans les priorités thématiques, se voient contraints de diminuer drastiquement de volume, voire de s’arrêter. »
Il n’y aura pas non plus de création de postes de chercheurs ou d’enseignants-chercheurs. Mais, bien au contraire, vous envoyez deux signaux négatifs très forts à l’endroit de la communauté scientifique avec, d’abord, 900 suppressions de postes à part égale entre les organismes de recherche et les universités et, ensuite, une diminution du nombre de bourses de thèses du ministère. Ces non-renouvellements font suite à une création de postes nulle en 2008, et aboutissent donc à une diminution des effectifs.
Vous vous enlisez dans une politique de l’emploi scientifique par à-coups, qui fragilise les structures et les équipes, et est préjudiciable à la conservation des savoirs et à la capitalisation des compétences. Nous manquons cruellement d’une politique des ressources humaines globale, structurante, qui permette à la France de maintenir son rang sur la scène internationale.
Dans un contexte de désaffection des filières scientifiques et de crise des vocations faute de débouchés, nous avons plus que jamais besoin d’une véritable programmation pluriannuelle de l’emploi scientifique et d’une revalorisation de l’ensemble des carrières.
Le nombre d’inscriptions en première année de licence en sciences a diminué de près de 28 % depuis 1990, et même de près de 40 % depuis 1996. Cette baisse n’est pas compensée par la croissance du nombre de diplômés des écoles d’ingénieur, qui est de l’ordre de 8 % depuis 2000.
De plus, un nombre croissant de ces diplômés s’orientent vers des activités qui n’ont plus aucun rapport avec la technologie ou la science. Cette baisse des inscriptions des étudiants en sciences se cumule, depuis 2000, avec la chute du nombre d’étudiants qui s’inscrivent en master recherche et, plus encore, en doctorat.
Outre le développement des débouchés qui est une absolue nécessité, je vois une seconde incitation forte à l’orientation vers les filières déficitaires dans l’amélioration de la condition financière des études. Pendant la campagne présidentielle, M. Nicolas Sarkozy s’était engagé, pour les secteurs de la recherche et des métiers technologiques, à « instaurer un système comparable aux indemnités de préparation à l’enseignement secondaire, qui jadis permettait aux bons élèves qui se destinaient à l’enseignement de financer leurs études ». Une telle mesure est-elle à l’étude ou restera-t-elle lettre morte, madame la ministre ?
Que plus de la moitié des moyens nouveaux pour la recherche portent sur un crédit d’impôt recherche transformé en véritable guichet ouvert ne manque pas de susciter de nombreuses réserves ! Depuis le 1er janvier 2008, le taux de 10 % a été multiplié par trois : les entreprises peuvent déduire 30 % du montant total de leurs frais de recherche jusqu’à 100 millions d’euros de dépenses, et 5 % au-delà. Les entreprises qui font leur première demande ou n’en ont pas fait depuis cinq ans bénéficient d’un taux exceptionnel de 50 %. Le plafonnement est supprimé, et l’accroissement des dépenses n’est plus exigé !
Cette toute dernière réforme pénalise les PME récentes innovantes, tout en favorisant les effets d’aubaine pour les grandes entreprises.
Vous n’avez tenu aucun compte des analyses publiées par votre propre ministère et par la Cour des comptes en 2007, qui appelaient à une période de stabilité du dispositif du crédit d’impôt recherche. Vous n’avez également tenu aucun compte des nombreux rapports qui préconisaient que l’aide directe ou fiscale au secteur privé devait être redéployée et ciblée pour soutenir les secteurs de haute technologie et les PME innovantes et conditionnée au soutien de l’emploi scientifique.
Sur ce sujet précis, je citerai de nouveau l’avis du Conseil supérieur de la recherche et de la technologie, qui s’inquiète « de l’efficacité de cette mesure pour dynamiser la recherche privée, en particulier les PME, et le système français de recherche et d’innovation en général. Il attire l’attention sur le manque d’entreprises de taille moyenne investissant dans la recherche et recommande de trouver des mesures d’accompagnement.
« Il juge indispensable une évaluation externe de ce crédit fiscal. Cette évaluation coût-bénéfice devrait porter autant sur les bénéficiaires que sur ses effets en termes de volume des dépenses, de partenariats vers la recherche publique, de compétitivité, de taxation de la recherche et développement, d’attractivité du territoire et d’évolution de la recherche dans son ensemble. Cette évaluation devra être conduite en comparaison avec les pays partenaires et concurrents et avec la politique européenne. »
Nous ne pouvons que vous enjoindre, madame la ministre, au vu des sommes en jeu, de faire procéder, dès 2009, à cette évaluation du crédit d’impôt recherche nouvelle version.
À ce stade du débat, il n’est pas inutile de rappeler que, entre 2002 et 2006, les aides de l’État au secteur privé se sont accrues de 1 636 millions d’euros, en euros constants, tandis que les dépenses des entreprises qui ont perçu ces aides n’ont progressé que de 458 millions d’euros.
Vous allez me répondre, madame la ministre, que le crédit d’impôt recherche, qui permet d’éviter les délocalisations des centres de recherche, constitue un formidable outil au service de l’attractivité de notre territoire. Or une enquête de l’OCDE effectuée en 2006 a classé par ordre d’importance les facteurs déterminant l’implantation d’activités de recherche et de développement d’une entreprise. La présence locale de personnels de recherche et de développement arrive en tête, puis l’on trouve, dans l’ordre, l’existence d’universités, les facilités de coopération avec les universités et la protection de la propriété industrielle. Quant aux incitations fiscales, elles n’arrivent qu’en neuvième position !
Pour ce qui concerne les effets du crédit d’impôt recherche sur les délocalisations de centres de recherche, ils sont tout relatifs, puisqu’une entreprise française délocalisant sa recherche et développement en Irlande ou en Allemagne continue à en bénéficier, conformément à un arrêt de la Cour de justice des Communautés européennes.
Au final, votre politique de recherche est dominée par une vision « courtermiste ». Il faut que cela bouge, et vite, même au risque de dégrader les fondamentaux du système. On assiste ainsi à la consécration du primat absolu des applications potentielles, dangereux à long terme, à l’empilement des dispositifs et à la multiplication des annonces en faveur de dispositifs dont le financement ne suit pas.
En réalité, ce discours pseudo-volontariste du Gouvernement ne parvient pas à masquer une politique utilitariste de notre système de recherche qui mise tout sur le financement sur projet, et dont le corollaire est l’affaiblissement des organismes de recherche, la fragilisation de la recherche académique et l’accentuation des disparités entre les structures et les territoires.