Madame la présidente, madame la ministre, mes chers collègues, nous sommes des témoins gênants !
Nous étions sur ces travées lors de la discussion de ce qui allait devenir la loi de programme pour la recherche en 2006, quand l’aiguillon du mouvement des chercheurs avait conduit le Gouvernement à créer des postes et à promettre un milliard d’euros de plus par an pour la recherche.
Or nous mesurons aujourd’hui la baisse des moyens induite par le choix, à l’époque, de libeller ces engagements en euros courants, et non en euros constants.
Aujourd’hui, qu’en est-il du budget global ? On nous annonce une augmentation de 6, 5 % qui omet l’inflation et englobe des mesures fiscales.
On nous disait, à l’époque, que les organismes seraient protégés, que l’Agence nationale de la recherche, l’ANR, serait un magnifique outil - en quelque sorte le bras armé des orientations que le Haut Conseil de la science et de la technologie soufflerait au Président de la République - et que le crédit d’impôt était un louable stimulant.
Aujourd’hui, il n’y a plus d’orientation lisible. Les organismes se voient fragilisés et l’ANR devient une machine à fabriquer de l’emploi précaire.
Le CNRS perd 296 postes. À l’heure des critères de visibilité internationale auxquels vous êtes attachée, madame la ministre, est-ce pour le punir de nous avoir donné un prix Nobel ? Pourtant, même un prix Nobel a besoin, à ses côtés, d’ingénieurs, de techniciens et de personnels administratifs !
L’INRA perd 86 postes au moment où ses recherches s’infléchissent, enfin, vers une agriculture plus respectueuse de la santé et de l’environnement : est-ce pour le punir de retrouver les chemins de l’intérêt général ?
L’INSERM perd 59 postes : est-ce pour décourager ses travaux admirables sur la reproduction et ses perturbations, au profit de crédits d’impôt aventureux octroyés à des industries qui ont voulu développer le créneau juteux de prétendus médicaments contre l’obésité ?
Quant à l’ANR, hier présentée comme l’agence de financement idéale, elle ne suffit même plus à la dérive néolibérale que vous appliquez aux modes de soutien à la recherche. Vous en réduisez ainsi les crédits de 8, 35 %, ce qui aura un impact mécanique sur les programmes blancs, auxquels nous sommes attachés.
Oui, nous sommes des témoins gênants : nous lisons les journaux et nous mesurons la fragilité des apports dont vous vous servez pour asseoir votre budget.
Ainsi, le produit de la vente d’actions EDF, maladroitement annoncée, est passé de 5 milliards d’euros à 3, 7 milliards d’euros, pour le même nombre de parts cédées. Et ce n’est là qu’une illustration parmi d’autres du décalage entre ce que vous promettez et ce que l’on voit arriver sur le terrain ; le fait que les universités sélectionnées dans le cadre du plan campus puissent « phaser » leurs travaux sur plusieurs décennies en constitue un autre.
Nous sommes étonnés de la fragilité des hypothèses qui sous-tendent les affichages. Le crédit d’impôt, outil ponctuel intéressant, est devenu l’alpha et l’oméga de l’impulsion à la recherche. Vous affichez des millions de recettes hypothétiques. De plus, ce sont non pas les PME mais les grandes entreprises qui vont en profiter. Or, multiplier les milliards dépensés dans le cadre de ce crédit d’impôt, sans critères ni évaluation, est pour le moins aventureux. Si je parle de milliards, sans plus de précision, c’est parce qu’il est question de 3, 1 milliards d’euros dans l’un des rapports, de 2 milliards d’euros dans un autre et, enfin, de 3, 92 milliards d’euros dans un troisième. C’est vous dire à quel point le parlementaire de base a de la peine à se retrouver dans ce budget !
Même si la culture de nos entreprises - parmi les plus pingres du monde lorsqu’il s’agit de financer en leur sein des recherches – évoluait, même si la crise ne les empêchait pas d’investir dans l’innovation, même si la rigueur du contrôle de l’argent public était sans faille, il n’en demeurerait pas moins que vous renoncez à la fois à donner la dimension qu’elle mérite à la recherche fondamentale libre et à soutenir des domaines attendus par la société et délaissés par les entreprises, leurs actionnaires les considérant comme non rentables.
À la veille de grandes mutations, nous avons pourtant plus que jamais besoin de lieux où se produit la connaissance. On les prive pourtant de 900 emplois. Vous nous dites, madame la ministre, qu’il s’agit de départs en retraite. Cela évite, certes, les drames individuels, mais, la population française ne diminuant pas, c’est quand même du savoir en moins et des chômeurs en plus pour demain !
Les chercheurs aussi sont des témoins gênants : ils sont dans la rue, et même dans l’ANR et, à votre discours enthousiaste - « un budget courageux et ambitieux », avez-vous déclaré devant la commission -, ils opposent, eux, le démantèlement des équipes et l’érosion pathétique de leurs moyens.
Les étudiants sont également des témoins gênants : ils racontent leurs « galères », les économies qu’ils doivent faire sur la santé, sur la culture, leur recherche d’inaccessibles hébergements ; je précise d’ailleurs qu’aucune construction ne figure dans le « bleu » pour 2009. Les 100 millions d’euros annoncés en 2008 n’ont été pourvus qu’à moitié, malgré les besoins criants et l’augmentation des coûts pour les étudiants de 26 % en cinq ans.
Au lieu de mettre en avant des bourses au mérite dont le dispositif est variable et dont le budget s’inscrit en baisse, pourquoi ne pas rétablir les concours de prérecrutement avec bourse qu’hébergeaient autrefois les écoles normales ou les IPES, les instituts de préparation aux enseignements de second degré ? Ces dispositifs étaient producteurs de justice sociale et de diversité culturelle dans nos élites.
Ce n’est pas dans ce budget que les universités trouveront les moyens de se grandir, au sens figuré comme au sens propre.
Enfin, ceux qui ont entendu Jean-Louis Borloo et vous-même, madame la ministre, annoncer un milliard d’euros supplémentaire pour la recherche dans le cadre du Grenelle – un engagement qui figure dans l’article 19 du projet de loi de programme adopté en première lecture à l'Assemblée nationale -, sont aussi des témoins gênants. Après des questions répétées et des réponses embarrassées, on découvre que c’est, en réalité, un milliard d’euros sur trois ans !
Il est vrai que cela pourrait faire 333 millions d’euros de plus cette année, dans lesquels on retrouverait le photovoltaïque, les moteurs du futur, la biodiversité, les formations de toxicologues, les registres des cancers, les recherches sur les molécules de substitution aux pesticides, ces pesticides dont on mesure aujourd’hui les effets sur la santé et dont on craint aussi qu’ils ne fassent disparaître les insectes pollinisateurs…
Mais, là aussi, des réponses embarrassées lèvent le voile : le budget n’augmentera pas de 1, 333 milliard d’euros, et c’est en fait dans le milliard annuel que se logent les nouvelles promesses. Pourtant, croyez-vous vraiment que les entreprises de la chimie seront candidates au crédit d’impôt pour démontrer les effets nocifs des phytosanitaires ou des nanoparticules dans les cosmétiques ?
Madame la ministre, entre l’habillage flatteur et la dure vérité des comparaisons pluriannuelles et des réalités du terrain, il y a un gouffre.
Personne n’ignore le contexte tendu des finances publiques ni la difficulté que chacun, à votre place, aurait à boucler un budget ambitieux.
Ce que nous n’acceptons pas, en revanche, c’est l’orientation croissante de l’argent de la recherche vers les choix des entreprises riches, aux dépens de la pérennité de nos laboratoires publics, aux dépens de l’innovation anticipatrice des mutations climatiques et énergétiques à venir et, enfin, aux dépens de l’accès au savoir de tous les étudiants sans distinction de classe sociale.
Pour l’ensemble de ces raisons, les sénateurs Verts ne voteront pas ce budget.