Monsieur le président, monsieur le ministre, madame la secrétaire d’État, mes chers collègues, je veux d’abord rendre hommage à l’engagement des femmes et des hommes au sein de notre armée, souvent au péril de leur vie.
Nous examinons ce projet de loi de programmation militaire dans le contexte que chacun connaît. Après le dernier rebondissement de ce week-end, permettez-moi de rappeler notre plein et entier soutien au peuple ukrainien et à ses dirigeants dans la reconquête de leur souveraineté.
L’invasion russe en Ukraine a justifié, aux yeux du Gouvernement, la nécessité d’accélérer le processus d’élaboration et d’adoption du présent texte. L’expression « économie de guerre » s’est même invitée – hâtivement – dans les propos présidentiels. Monsieur le ministre, malgré vos explications répétées, nous ne comprenons pas l’urgence qui guide le Gouvernement.
Nous ne voyons pas non plus cette rupture avec les deux dernières LPM que justifierait pourtant la nouvelle donne géostratégique européenne et mondiale. Nous voyons un texte dans la continuité des deux précédents, mais élaboré avec un déficit de concertation parlementaire et démocratique.
C’est dommageable, car vous demandez un effort important à la nation, avec une augmentation du budget des armées de près de 50 % d’ici à 2030 et un effort global de plus de 118 milliards d’euros sur le reste de la décennie. Cela représente 17 milliards par an en moyenne, sans financement spécifique. Vous étiez plus regardants quand il s’agissait de trouver 13 milliards d’euros pour nos caisses de retraite, quitte à mettre le pays dans un état d’extrême tension et à piétiner la démocratie parlementaire.
Votre gouvernement, enfermé dans son dogmatisme, refuse de faire contribuer les plus aisés à l’effort national et promet un retour du déficit public sous les 3 % d’ici à la fin du quinquennat.
Comment, dans ces conditions, allez-vous financer cette LPM ? Vos prévisions de croissance sont un leurre. Ce débat nécessite que nous connaissions les perdants, qui ne seront ni le ministère de l’intérieur ni le ministère de la justice, désormais dotés de leur propre programmation budgétaire. Alors, qui ? La transition écologique ? L’éducation nationale ? La culture ? Aucune de ces solutions n’est acceptable. C’est pour nous une ligne rouge !
Si nous comprenons l’effort de rattrapage budgétaire du ministère, si nous avons bien en tête que ces crédits correspondent souvent au paiement de programmes déjà engagés, si nous n’ignorons pas l’explosion du coût des matériels qu’induisent le saut technologique et les nouveaux espaces de conflictualité, il n’en reste pas moins que vous demandez beaucoup d’argent et que vous n’avez pas défini l’urgence de la menace et le besoin pour la France d’y faire face seule ou presque.
À vous entendre, et c’est aussi une faiblesse de ce projet de loi de programmation, on a parfois le sentiment que la France est seule au monde et qu’elle doit être en capacité de faire face à une guerre de haute intensité sur son sol sans aide de ses voisins.
Or ce que ce nouveau contexte géostratégique nous rappelle, c’est l’immense dépendance des Européens à l’égard des États-Unis pour assurer la sécurité de notre continent. Malgré cette froide réalité, la France – ce projet en est l’illustration – cultive son rêve d’autonomie et de puissance d’équilibre.
Nous ne partageons pas ce récit. La France est une puissance bien plus moyenne qu’elle ne veut le croire. Continuer à promouvoir un modèle d’armée complet, c’est prendre le risque du saupoudrage, de l’échantillonnage, et cette programmation n’échappe pas à ce constat – chacun en conviendra.
Résultat des courses : pour renouveler la dissuasion nucléaire au coût exorbitant, pour dégager des marges, pour investir de nouveaux espaces de conflictualité, nous n’investissons pas, comme nous le devrions, pour notre armée de terre, pour son équipement et pour le confort de vie des soldats et de leurs familles, cette fameuse « armée à hauteur d’homme » chère à votre prédécesseure, monsieur le ministre.
Les écologistes, pour leur part, considèrent que notre effort ne peut être qu’européen. Nos besoins en hommes, en équipements, en stocks stratégiques, en munitions, ne peuvent se mesurer que dans le cadre d’une coalition européenne. La revue nationale stratégique était d’une grande faiblesse en la matière et le rapport annexé du présent projet de LPM, certes amélioré par l’Assemblée nationale et le Sénat, demeure insuffisant.
Comment coordonner notre effort avec celui de nos voisins, notamment avec celui, sans précédent, décidé outre-Rhin ? Quelles impulsions pouvons-nous donner pour une base industrielle et technologique de défense résolument européenne, une nécessité tant pour harmoniser nos équipements que pour diminuer nos coûts de production ? Quel nouvel effort devons-nous faire pour construire politiquement la réponse européenne aux défis stratégiques du XXIe siècle, dont la guerre en Ukraine vient de nouveau rappeler l’absolue nécessité ? Cet effort peut-il, à court et moyen termes, s’inscrire raisonnablement en dehors du cadre otanien ? Sur toutes ces questions, votre texte est soit muet, soit vague, soit ambigu.
Il est certain que pour renforcer la dimension européenne de notre effort militaire, il faudrait commencer par respecter les règles communes de l’Union ; je pense au premier chef au code de conduite sur les exportations d’armes de 1998, qui, sans l’opposition de la France en particulier, pourrait devenir juridiquement contraignant.
Monsieur le ministre, la création d’une délégation parlementaire au contrôle des exportations d’armes ou l’extension en ce sens des prérogatives de la délégation parlementaire au renseignement, adoptée en commission, est un impératif. J’en profite pour saluer les efforts de notre commission pour renforcer le contrôle parlementaire sur tous les volets de l’action de l’exécutif en matière de défense. Il faut mettre un terme à ce domaine réservé indigne d’une République démocratique.
J’insiste, pour conclure, sur le renforcement des efforts de transition écologique et énergétique de l’armée, qui reste à ce stade largement incantatoire. Je pense en premier lieu à la rénovation du bâti. Bien sûr, la situation de nos armées est à part, mais, s’agissant du premier poste ministériel en matière de consommation d’énergies fossiles, un effort tant écologique que financier doit être produit.
Avec les six petites minutes qui m’étaient imparties, ce propos est davantage un préambule qu’un tableau général. Je profiterai des jours de débats qui s’ouvrent pour être plus complet.