Intervention de Jean-François Husson

Réunion du 3 juillet 2023 à 16h00
Règlement du budget et approbation des comptes des années 2021 et 2022 — Rejet définitif en procédure accélérée de deux projets de loi

Photo de Jean-François HussonJean-François Husson :

Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, une fois n'est pas coutume, nous examinons aujourd'hui deux projets de loi de règlement du budget et d'approbation des comptes, l'un pour 2021 et l'autre pour 2022.

La procédure est d'autant plus extraordinaire que le premier texte est en substance identique à celui qui a été présenté et déjà rejeté à l'été 2022 par l'Assemblée nationale et par le Sénat.

Les conséquences du rejet l'an dernier ont été relativement mineures : ce sont surtout des procédures comptables spécifiques qui ont dû être mises en place dans le bilan de l'État, même si un nouveau rejet pourrait causer des difficultés dans la gestion de certains comptes spéciaux.

Mes chers collègues, je vous épargnerai une présentation exhaustive du texte, car vous m'avez déjà entendu l'an dernier. Seul l'article liminaire évolue légèrement pour tenir compte des chiffres les plus à jour de l'Insee, mais les raisons qui, l'an dernier, ont justifié le rejet de ce texte demeurent d'actualité.

Premièrement, les comptes publics de la France sont profondément dégradés malgré la reprise économique.

Deuxièmement, le niveau des dépenses de l'État est historiquement élevé.

Troisièmement, et cela fait partie de l'exécution budgétaire, nous enregistrons un montant extraordinaire des reports de crédits très contestable.

Quatrièmement, et enfin, ce vote était cohérent avec le vote du Sénat sur la loi de finances initiale.

La commission des finances vous propose donc, de nouveau, de ne pas adopter ce projet de loi de règlement pour 2021. Elle proposera d'ailleurs un vote similaire pour le projet de loi de règlement pour 2022, plusieurs des critiques que nous formulons sur l'exécution pour 2021 restant pleinement d'actualité pour cette année.

Du point de vue macroéconomique, lors de l'examen du projet de loi de finances pour 2022, j'avais souligné le caractère « légèrement optimiste » de la prévision du Gouvernement, qui anticipait une croissance de 4 %.

Des incertitudes pesaient déjà sur elle, comme l'ampleur de la reprise post-covid. Mais c'est surtout le déclenchement – inattendu, convenons-en – de la guerre en Ukraine qui a eu des effets majeurs et immédiats sur nos économies : augmentation très forte des prix du gaz et de l'électricité, forte inflation et incertitudes géopolitiques.

La croissance s'est finalement établie à 2, 5 %, tandis que l'inflation a nettement accéléré, pour atteindre un taux moyen annuel de 5, 2 %. Face à cela, les mesures de soutien mises en œuvre par l'État, à hauteur de 38 milliards d'euros, ont permis d'afficher un taux d'inflation relativement plus faible en France que chez nos partenaires. Mais – car il y a un mais – la situation des finances publiques en 2022 est inquiétante et devrait nous conduire à agir vite.

Le déficit public pour 2022 s'est élevé à 4, 7 % du PIB. Si c'est mieux que la prévision initiale, n'oublions pas que nous sommes très loin de la prévision de 0, 3 % du PIB inscrite dans la loi de programmation des finances publiques pour les années 2018-2022. Et la survenue des crises sanitaire et énergétique ne suffit malheureusement pas à expliquer cet écart !

En réalité, le Gouvernement a cessé de tenir ses promesses de maîtrise des dépenses publiques à compter des événements des « gilets jaunes », soit à peine un an après le début du premier quinquennat du Président de la République. D'ailleurs, les dépenses publiques ont connu un rythme d'augmentation, hors mesures de crise, plus rapide au cours du quinquennat 2017-2022 que pendant le quinquennat précédent. C'est un fait, monsieur le ministre, dont ne pouvez pas vous enorgueillir…

La hausse de près de 16 milliards d'euros de la charge des intérêts de la dette doit tout particulièrement nous alerter sur les risques que nous prenons à financer nos dépenses à crédit, d'autant que les conditions de financement de la France ont changé.

En outre, la légère baisse de l'endettement public par rapport à 2021 est simplement le fruit d'une croissance du PIB plus dynamique que celle de la dette. Par rapport à nos voisins, nous maintenons des déficits parmi les plus élevés depuis 2020 et nous présentons un niveau d'endettement parmi les plus importants. Il ne s'agit pas vraiment d'un motif de fierté…

Par ailleurs, l'année a été marquée par de « bonnes surprises » en matière de recettes fiscales, mais il serait imprudent de compter sur de tels vents favorables à l'avenir, d'autant qu'un ralentissement de l'économie n'est pas à exclure au second semestre de cette année.

J'en viens à présent au budget de l'État, dont le déficit s'établit en 2022 à un niveau de 151, 4 milliards d'euros.

Le Gouvernement souligne qu'il s'agit d'une amélioration de près de 20 milliards d'euros par rapport à 2021, mais un déficit aussi élevé ne peut constituer à lui seul un motif de satisfaction, d'autant que le solde ne s'améliore que parce que les dépenses du plan d'urgence et du plan de relance s'éteignent progressivement – c'est heureux ! – et que de nombreux éléments dans ce budget restent inquiétants pour l'avenir.

Il convient de noter que l'écart entre les recettes et les dépenses du budget général s'élargit dangereusement au fil des années, atteignant désormais 55 %.

Tout d'abord, si le déficit est finalement proche de la prévision initiale, cela s'explique malheureusement par une surestimation des dépenses en cours d'année, parallèlement à une sous-estimation des recettes.

Je note d'ailleurs, depuis trois ans, d'importants écarts de prévision en fin d'année, à une période où la plupart des recettes sont pourtant déjà connues. La Cour des comptes ne s'y est pas trompée, puisqu'elle recommande de mieux analyser ces nouvelles difficultés du Gouvernement en matière de prévision.

Par ailleurs, l'année 2022 enregistre une forte dégradation, de 19 milliards d'euros, du compte de résultat, ce qui signifie que les décisions prises en 2022 ont des conséquences sur les dépenses futures et engagent l'avenir.

Un autre exemple du poids des décisions présentes sur les dépenses futures est le montant des restes à payer, qui ont augmenté entre 2017 et 2022 de 87 %, sans compter les 163 milliards d'euros résultant de la création artificielle du programme d'amortissement de la dette. Pourtant, la dette constitue bien, elle-même, un poids sur le futur, et sa charge est repartie à la hausse.

L'augmentation des recettes fiscales nettes n'est quant à elle pas si spectaculaire si on l'examine à moyen terme, puisque, en euros constants, le niveau des recettes est comparable à celui de 2017, principalement d'ailleurs sous l'effet des nombreux transferts de TVA.

Les recettes non fiscales augmentent, elles, depuis deux ans en raison principalement des versements européens au titre du plan de relance, mais il convient surtout de souligner la hausse très importante du produit de la vente des quotas carbone.

Alors que l'État ne voit pas ses recettes augmenter à moyen terme, on pourrait croire qu'il limite ses dépenses en conséquence. Or, comme vous le savez, tel n'est pas le cas. Au contraire, les dépenses sont en hausse. Alors que l'année 2010 avait constitué une exception, la crise de 2020 a conduit à un nouveau plancher de dépenses, situé presque un quart au-dessus du niveau de 2019.

Au cours de l'année 2022, les diminutions significatives portent uniquement sur les missions « Plan de relance » et surtout « Plan d'urgence face à la crise sanitaire ». Les autres dépenses sont en très forte augmentation, notamment en raison des mesures de soutien face à l'inflation.

On peut également noter que les effectifs sont en baisse, du fait non pas d'un choix résolu du Gouvernement, mais bien, et c'est inquiétant, de difficultés de recrutement, notamment dans l'éducation nationale et les armées. Parallèlement, la masse salariale augmente en raison principalement de la hausse du point d'indice.

Je terminerai mon intervention en soulignant que le budget exécuté apparaît d'année en année de plus en plus éloigné de l'autorisation parlementaire.

J'ai en tête, bien sûr, les importants reports de crédits d'une année sur l'autre. Mais cette année, vous avez innové, monsieur le ministre, puisqu'une partie des crédits de 2021 n'ont été reportés que pour équilibrer artificiellement le décret du 21 avril 2022 – il fallait y penser ! –, ce que nous avons dénoncé dans notre avis.

De même, la création d'un programme de remboursement de la dette liée à la covid-19 brouille la notion d'autorisations d'engagement.

Enfin, et je ne vous cache pas que cela me choque, il apparaît que certaines mesures votées en lois de finances rectificatives ici, au Sénat, n'ont pas été exécutées correctement. Il en est ainsi de la mise en place d'une carte vitale biométrique, pour laquelle seuls 4, 3 des 50 millions d'euros prévus ont été utilisés.

Par ailleurs, alors que 50 millions d'euros avaient également été ajoutés dans la loi de finances rectificative de fin d'année pour financer le réseau routier des collectivités territoriales, ces crédits ont été réorientés en gestion sur le financement des ouvrages d'art du réseau routier national. C'est proprement scandaleux et inacceptable ! Les accords de commission mixte paritaire doivent être respectés : vous ne nous y reprendrez plus.

En conclusion, le Gouvernement exploite toutes les procédures au détriment de l'esprit de la loi organique relative aux lois de finances (Lolf). Le budget est de plus en plus flou et la loi de finances ne donne donc désormais qu'une vision imprécise de la réalité de l'exécution du budget, réduisant aussi la portée de l'autorisation parlementaire.

Compte tenu de l'ensemble de ces éléments, et sans que cela puisse être assimilé à un quelconque réflexe pavlovien, monsieur le ministre, nous proposons le rejet des deux textes que nous discutons cette après-midi.

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