Intervention de Elisabeth Doineau

Réunion du 3 juillet 2023 à 16h00
Approbation des comptes de la sécurité sociale pour l'année 2022 — Rejet définitif en procédure accélérée d'un projet de loi

Photo de Elisabeth DoineauElisabeth Doineau :

Madame la présidente, messieurs les ministres, mes chers collègues, notre séance d'aujourd'hui constitue une petite révolution dans l'examen des finances sociales par le Parlement, puisque nous examinons le premier projet de loi d'approbation des comptes de la sécurité sociale.

Cela a été dit, la sécurité sociale est notre bien le plus précieux, puisqu'elle assure la protection sociale de l'ensemble de nos concitoyens. Malheureusement, monsieur le ministre de la santé et de la prévention, pour filer la métaphore que vous avez employée, je dirais que la sécurité sociale est un peu sous perfusion, la dette demeurant importante et continuant de courir.

Les Placss – ou les Lacss si on considère les lois proprement dites – ont été instaurés par la loi organique du 14 mars 2022. Elles résultent d'une proposition de loi organique de Thomas Mesnier, alors rapporteur général de la commission des affaires sociales de l'Assemblée nationale, largement inspirée sur ce sujet d'une proposition de loi organique de Jean-Marie Vanlerenberghe, alors rapporteur général de la commission des affaires sociales du Sénat.

Les Lacss correspondent à l'ancienne première partie des lois de financement de la sécurité sociale, examinées à l'automne. Nous nous réjouissons de l'organisation aujourd'hui de ce débat social de printemps, ou plutôt de l'été...

Le projet de loi d'approbation des comptes de la sécurité sociale doit être déposé avant le 1er juin, afin de favoriser un « chaînage vertueux » avec le projet de loi de financement de la sécurité sociale. Afin de favoriser ce chaînage entre le Placss et le PLFSS, le rapport annuel de la Cour des comptes sur l'application des lois de financement de la sécurité sociale, jusqu'alors publié à l'automne, est désormais conjoint au dépôt du Placss.

Malheureusement, les conditions d'examen de ce premier Placss sont loin d'être idéales. Je veux croire qu'il s'agit là de simples difficultés passagères, liées à la nécessité pour chacun de s'adapter à ce nouveau contexte. Nous avons beaucoup débattu du Placss, lors de l'examen du projet de loi organique. Il nous avait alors paru plein de promesses, un certain nombre d'informations devant nous permettre de discuter de l'efficacité et de l'efficience de nos lois relatives à la sécurité sociale.

Comme vous le savez, la commission a adopté une motion – j'imagine que ce n'est pas une surprise ! – tendant à opposer la question préalable, et ce pour trois raisons, chacune justifiant à elle seule le dépôt de cette dernière.

La première raison est le refus de la Cour des comptes de certifier les comptes de 2022 de la Caisse nationale des allocations familiales (Cnaf) et de la branche famille, en conséquence de l'augmentation des erreurs dans le paiement des prestations. Je rappelle que, dans le cas de l'indicateur à vingt-quatre mois, les erreurs à la hausse ou à la baisse pour les prestations versées en 2021 étaient de 7, 6 %, contre 5;5 % en 2019. À moins de considérer que l'exercice de certification par la Cour des comptes n'a aucune importance, nous n'avons pas d'autre choix que de rejeter les comptes de 2022.

Le deuxième motif ayant justifié le dépôt de cette motion est l'absence de prise en compte, dans l'annexe patrimoniale, de la correction relative aux comptes de 2021 effectuée, sur l'initiative du Sénat, lors de l'examen du PLFSS pour 2023. Il s'agissait d'imputer sur 2020 un produit de 5 milliards d'euros résultant de la régularisation des cotisations dues par les travailleurs indépendants, comme le demandait d'ailleurs la Cour des comptes, qui avait refusé de certifier les comptes de 2021 de l'activité de recouvrement. Je rappelle que le Conseil constitutionnel a confirmé notre approche sur le « vrai » déficit.

Le tableau patrimonial que le Gouvernement propose d'annexer à la Lacss comprend, pour comparaison, une colonne relative à l'exercice de 2021. Cette colonne ne prend pas en compte la correction effectuée par le Parlement.

Ce deuxième motif justifie à lui seul également le dépôt de la motion tendant à opposer la question préalable. Si nous ne l'avions pas déposée, nous aurions contredit les travaux et les conclusions du Sénat lors de l'examen du PLFSS pour 2023.

J'en viens au troisième et dernier motif de dépôt de cette motion : l'absence de conformité de certaines annexes aux exigences de la loi organique.

Tout d'abord, les rapports d'évaluation des politiques de sécurité sociale (Repss) comportent des indicateurs qui s'arrêtent en 2020 ou en 2021 et qui ne prennent pas en compte 2022, comme on pourrait l'attendre d'une loi d'approbation des comptes de 2022. Le chaînage vertueux entre Placss et PLFSS n'est pas possible si les chiffres des Repss ne sont pas à jour. Comment débattre de l'efficacité et de l'efficience des dépenses de sécurité sociale sans les chiffres des trois dernières années ? Un certain nombre d'éléments nous manquent.

Ensuite, l'annexe 2 ne comprend pas l'évaluation de l'efficacité d'un tiers des niches sociales. Le Placss de 2023 devra fournir une telle évaluation, comme le prévoit la loi organique.

Je rappelle que le rapport que vous aviez commandé à l'Inspection générale des finances (IGF) et à l'Inspection générale des affaires sociales (IGAS) sur ce sujet contient dix propositions. Il est notamment proposé que le Placss fixe le champ des mesures devant être évaluées et la norme de référence, c'est-à-dire la situation par rapport à laquelle les niches sont chiffrées. Là encore, il s'agit de promesses non tenues.

En raison de ce contexte particulier, le grand débat sur les finances sociales et les politiques de sécurité sociale que les Placss sont censés favoriser ne pourra avoir lieu cette année, faute de comptes exacts et d'annexes conformes à la loi organique.

Je me contenterai donc de renvoyer sur ce sujet à la contribution que constitue le rapport de la commission, dont je rappellerai brièvement les principaux points.

La commission constate le dérapage des dépenses de santé, qui ne s'explique plus par la seule crise sanitaire. Comme la Cour des comptes, elle estime nécessaire de rétablir le seuil d'alerte en cas de risque de dépassement de l'Ondam de 0, 5 %, sans distinction entre dépenses covid et hors covid.

Sur la mise en œuvre des dispositions de la loi de financement de la sécurité sociale de 2022, la commission a souhaité aborder quatre sujets.

Ainsi, elle souhaite que la mission interministérielle récemment constituée par la Première ministre sur la régulation et le financement des dépenses de produits de santé soit l'occasion de s'interroger sur la pertinence et sur l'ampleur de la clause de sauvegarde des médicaments, qui s'est transformée en une taxe indiscriminée et imprévisible de plus d'un milliard d'euros sur les entreprises pharmaceutiques.

Elle a par ailleurs souligné la nécessité de préciser rapidement les modalités de sortie de la garantie de financement des hôpitaux. En 2022, cette garantie a représenté une dépense de 2, 7 milliards d'euros, après 1, 9 milliard d'euros en 2021 et 2, 5 milliards d'euros en 2020. On dépense désormais plus que l'année où cette garantie a été mise en œuvre !

En ce qui concerne la généralisation de l'intermédiation des pensions alimentaires, la commission souligne qu'il convient de rester vigilant sur la mise en œuvre de la réforme, dont le succès implique la bonne information des parents, le respect par les avocats de leur obligation de transmission des dossiers à l'Agence de recouvrement et d'intermédiation des pensions alimentaires (Aripa), et, de la part de l'Aripa, la gestion d'un important afflux de dossiers, qui ne devra pas empêcher l'augmentation du taux de recouvrement des impayés.

Enfin, la commission considère qu'il faut mettre effectivement en œuvre la réforme des services autonomie à domicile. La loi prévoit que le décret fixant le cahier des charges doit être pris au plus tard le 30 juin 2023. Or nous sommes le 3 juillet. Messieurs les ministres, où en sommes-nous ?

Enfin, la commission a souhaité s'intéresser au sujet d'actualité de la fraude sociale. On sait maintenant, grâce au rapport de la Cour des comptes sur l'application des lois de financement de la sécurité sociale de mai dernier, que la fraude aux prestations coûte entre 6 milliards et 8 milliards d'euros.

Monsieur le ministre, le 30 mai 2023, vous avez annoncé un plan de lutte contre la fraude sociale. Ce plan nous semble aller dans le bon sens. Vous le voyez, je souligne aussi les points positifs, monsieur le ministre !

Il faudra toutefois éviter que la focalisation sur le sujet médiatique des cartes Vitale surnuméraires ne nous détourne des principaux enjeux de lutte contre la fraude. On sait qu'entre 2019 et 2022, on est passé de 600 000 à 3 000 cartes perdues. En fait, elles n'avaient pas été désactivées. Il faut le dire, car ce sujet demeure une légende dans l'opinion.

Il faudra également s'assurer que les dispositions législatives sont effectivement appliquées et que l'augmentation des moyens n'est pas un simple effet d'annonce.

En somme, messieurs les ministres, mes chers collègues, il me semble que nous nous trouvons au milieu du gué. Le Placss 2022 n'est pas encore à la hauteur de ce qu'impose la loi organique de 2022 : il reprend des comptes 2021 et 2022 erronés et ses annexes ne respectent pas certaines dispositions importantes de la loi organique.

Toutefois, ces problèmes n'ont pas vocation à se reproduire chaque année. Du moins, on peut le supposer. Nous espérons que les prochains Placss présenteront des comptes exacts, certifiés par la Cour des comptes, que les Repss seront à jour et que les niches sociales seront effectivement évaluées.

Cela rendra possible la tenue, à la frontière entre les deuxième et troisième trimestres, du grand débat sur les finances sociales et les politiques de sécurité sociale que la commission des affaires sociales appelle de ses vœux, ce grand débat étant la raison d'être des Placss. §

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