Intervention de Bernard Jomier

Réunion du 3 juillet 2023 à 16h00
Approbation des comptes de la sécurité sociale pour l'année 2022 — Rejet définitif en procédure accélérée d'un projet de loi

Photo de Bernard JomierBernard Jomier :

Madame la présidente, messieurs les ministres, mes chers collègues, c'est la première fois que nous examinons un projet de loi d'approbation des comptes de la sécurité sociale. C'est un progrès dans la procédure parlementaire de délibération des comptes sociaux, même si ce progrès reste bien mince, ainsi que nous l'avions souligné lors de l'adoption de la loi organique l'instituant.

Il est bien mince, car le renforcement du rôle et du contrôle du Parlement devrait impliquer en amont de l'adoption du projet de loi de financement de la sécurité sociale un parcours qui débuterait par un débat avant l'été sur le cadrage politique et les objectifs de nos politiques sociales et de santé. Il ne saurait être limité à un allongement des délais avant l'examen du texte. Sans un tel débat, les allocations de moyens et les arbitrages qui en découlent échappent largement aux parlementaires, mais aussi, et c'est une grande faiblesse de notre démocratie sociale, aux acteurs concernés.

Ces acteurs ne comprennent pas la décorrélation entre les plans, qui sont multiples, les stratégies nationales, tout aussi multiples, les annonces gouvernementales et la réalité des financements. L'adoption du budget social et santé de la Nation devrait être le temps d'établir ce lien. Or tel n'est pas le cas.

Nous n'en sommes donc pas encore à la mise en œuvre de cette procédure, que nous appelons de nos vœux. Nous nous contenterons donc de clore le cycle annuel des finances sociales et de constater les montants financiers effectivement mis en œuvre l'année précédente, mais également d'évaluer les politiques de sécurité sociale.

Si nous devions limiter notre rôle, comme l'a suggéré le ministre délégué chargé des comptes publics, à une forme de ratification administrative, les motifs de rejet seraient déjà patents, ainsi que l'a très justement souligné la rapporteure générale

Les erreurs dans les comptes, difficiles à admettre alors qu'elles avaient déjà été relevées, et qu'elles ne sont pas corrigées, mais aussi, et surtout, le refus de la Cour des comptes de certifier ceux de la branche famille, amèneront inéluctablement tout législateur rigoureux à ne pas voter ce texte.

La Cour a par ailleurs relevé que les hypothèses du Gouvernement relatives aux comptes sociaux sont « très optimistes » et la prévision de l'évolution des dépenses de santé, « particulièrement ambitieuse ». La sincérité est donc à tout le moins questionnée.

Le Gouvernement souhaite inscrire l'Ondam dans une progression quasiment égale à l'inflation. En raison de l'évolution des caractéristiques de notre population, cela correspond en fait à une régression des moyens alloués. Vous tracez ainsi le même sillon, monsieur le ministre : celui d'une contrainte financière forte, alors que les besoins de financement sont importants. Si au moins cette approche financière amenait nos comptes sociaux à l'équilibre... Mais non ! Vos projections sont celles d'un maintien de déficits à l'infini.

Une fois encore, une fois de plus, je veux redire qu'il s'agit d'un choix politique : le maintien d'une sécurité sociale en déficit envoie le message d'un système social trop coûteux, d'une charge pour la Nation, qu'il convient donc de réduire.

C'est la ligne politique de ceux qui considèrent que les cotisations sociales ne sont que des charges à diminuer et que la politique de soutien aux entreprises doit être supportée par notre système social. C'est vous qui opposez de fait soutien aux entreprises et système de protection sociale, en refusant de procéder à une révision complète de l'efficience des multiples exonérations accordées ces dernières années.

Il est pourtant possible d'équilibrer les comptes. Entre 2014 et 2018 – car tout n'a pas commencé en 2017, quoi qu'en dise le Gouvernement –, le recul du passif net a été constant, appuyé sur la réduction du déficit des régimes de base et du FSV, tandis que les résultats de la Cades et du Fonds de réserve pour les retraites (FRR) conduisaient à dégager un résultat consolidé positif.

Oui, les multiples impacts bénéfiques, y compris sur la cohésion du pays, de notre système de sécurité sociale peuvent se conjuguer avec son équilibre financier.

Mais vous n'y arriverez pas, car vous faites un refus d'obstacle sur la question des recettes, pour laquelle vous ne tenez compte que des effets bienvenus, mais insuffisants, du taux d'emploi et de l'évolution spontanée des salaires. Vous n'y arriverez pas, parce que votre approche des dépenses est comptable. Elle repose toujours sur les mêmes illusions d'économies. « Ah, les arrêts de travail ! » « Les indemnités journalières ! » Toujours les vieilles lunes de la maîtrise des comptes…

J'ai regardé sur ce point le rapport de la Cnam. Il en ressort qu'au cours de la dernière décennie, le montant des indemnités journalières a augmenté de 80 %, ce qui s'explique par l'augmentation du nombre d'actifs, la hausse des salaires, et en particulier de Smic, par des épisodes épidémiques particulièrement importants, et par un départ en retraite plus tardif. À cet égard, la situation ne risque pas de s'arranger.

En résumé : il ne s'agit pas d'une dérive de ces inconscients de médecins traitants. Les propos du ministre délégué chargé des comptes publics sur les arrêts du vendredi ou du lundi relèvent de l'anecdote et ne sont pas à la hauteur. Vos services ont lancé une chasse qui est vaine.

Et que dire de la situation de l'hôpital, qui symbolise l'écart entre la satisfaction du Gouvernement et la réalité ?

Pour notre part, nous appelons le Gouvernement à revoir fondamentalement son approche du budget de la santé, principale source actuelle de déficit.

Le rapport de la Cour des comptes dit que l'enjeu principal, c'est de « mettre en œuvre, au plan local, une stratégie territorialisée, qui associe l'hôpital public, les cliniques privées à but lucratif ou non, la médecine libérale et les collectivités territoriales ».

Monsieur le ministre, le pilotage actuel a démontré ses limites. Il faut en changer. Or vous persistez. Votre gouvernement gère mal la sécurité sociale, si l'on met en regard l'ampleur du déficit et l'état du système de santé.

Mon groupe souhaite que ce projet de loi d'approbation des comptes de la sécurité sociale pour 2022 soit débattu jusqu'au bout. Il ne votera pas la motion procédurale et demande l'examen complet du texte, pour exprimer notre opposition sur le fond à la ligne politique que celui-ci incarne. §

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