Monsieur le président, messieurs les ministres, mes chers collègues, les collectivités territoriales assurent les services indispensables à la vie quotidienne de nos concitoyens, mais aussi ceux qui contribuent à la vie de toutes les entreprises.
Les besoins des populations ont fortement évolué. Ainsi, la modification des situations familiales, notamment la croissance du nombre de familles monoparentales, a nécessité une modification de la conception de l'accueil des enfants dès le plus jeune âge. L'augmentation des places en crèche, mais aussi l'accueil périscolaire, sont devenus d'autant plus incontournables que les transformations affectant le monde du travail se traduisent, bien souvent, par des horaires éclatés dans les activités de commerce ou de services : l'absence du parent rend, en effet, obligatoire la prise en charge de l'enfant.
Ces réalités sont très peu prises en compte et, en cette année 2006, on a enregistré, au contraire, une progression du budget de la CAF très inférieure aux besoins constatés dans les contrats « petite enfance » ou « temps libre » négociés avec les collectivités concernées.
Dans les communes qui accueillent les familles les plus fragiles, l'aggravation des situations pèse lourd sur les budgets : 60 % des salariés, tous secteurs confondus, gagnent moins de 1 600 euros net par mois, 47 % des familles monoparentales ont des revenus inférieurs au seuil de pauvreté En effet, les charges liées au logement - augmentation des loyers, mais aussi coût de l'énergie - absorbent bien au-delà des 30 % des ressources des foyers. Les communes, les conseils généraux sont donc de plus en plus sollicités pour aider, au titre de l'aide sociale, à passer les caps difficiles.
Parallèlement, les prix des services mis à leur disposition doivent tenir compte de leurs capacités contributives.
Dans son dernier rapport, le Secours catholique affirme que le pouvoir d'achat des plus pauvres en 2005 est égal à celui de 2000. Et le rapport du CERC, le centre d'étude des revenus et des coûts, analyse que « l'emploi instable est l'une des principales causes de la croissance des inégalités de revenus en France ».
On nous dit que le chômage diminue, mais les conseils généraux constatent que le nombre de bénéficiaires du RMI augmente. Que recouvrent, en réalité, ces chiffres relatifs au nombre de demandeurs d'emploi ? Ils ne reflètent pas la totalité de ceux qui sont chômeurs !
Ainsi, nos collectivités souffrent directement de cette aggravation des conditions de vie qui touche la grande majorité de la population. Et quand elles ont des quartiers en ZUS, zone urbaine sensible, ou en ZFU, zone franche urbaine, les choses s'aggravent. L'Observatoire national des zones urbaines a dressé un bilan de la situation. Il montre que, à la fin de 2005, le taux de chômage est deux fois supérieur dans ces quartiers à ce qu'il est dans le reste de la France : quatre jeunes sur dix sont en recherche d'emploi.
Les inégalités s'accentuent, et nous constatons aujourd'hui que si la politique de la ville a permis, par ses investissements, d'embellir les espaces publics, d'améliorer les immeubles de logements ou encore les équipements, comme nous l'avons dit lors du débat sur la mission « Quartiers en difficulté », « ce n'est pas une politique de la ville qui reforme à elle seule les dégâts d'une politique de désertification industrielle ou de casse des services publics ».
Quant aux moyens permettant aux collectivités, aux associations de mener des actions sur le terrain pour accompagner toutes ces familles et les aider à retrouver un emploi, à être capables de se mobiliser pour accompagner leurs enfants dans leur développement, ils ont peu à peu fondu.
Quand nous soulevons toutes ces questions, on nous invite à nous tourner vers les collectivités comme les conseils généraux ou régionaux. Mais, aujourd'hui, ces collectivités se retrouvent dans des situations compliquées. Les transferts opérés depuis la loi relative aux libertés et responsabilités locales pèsent lourdement sur leur budget. Je ne vous citerai pas les chiffres, votre ministère les connaît très bien.
Les collectivités sont face à des dépenses obligatoires pour lesquelles elles n'ont qu'à appliquer des choix décidés par le Gouvernement. L'un de nos collègues - je crois même que c'est le rapporteur général du budget, M. Marini - disait que les collectivités territoriales ne voulaient pas devenir les sous-traitants de l'État. Eh bien, je crois que, aujourd'hui, on peut dire qu'elles le sont devenues !
En effet, le Gouvernement exige qu'elles contribuent à la réduction du déficit public. Elles le font puisque, chaque année, elles votent leur budget en équilibre. En fait, non content d'exiger que les collectivités territoriales prennent en charge les dépenses et, surtout, les évolutions que vous ne voulez plus assurer directement dans le budget de la nation, vous attendez, de plus, qu'elles le fassent à périmètre financier constant !
Vous reprochez régulièrement aux collectivités territoriales de vouloir mener, sur leur territoire, des politiques spécifiques qui ne seraient pas de leurs compétences.
En fait, vous voudriez que les élus départementaux et régionaux n'utilisent les impôts locaux que dans les domaines où vous leur avez remis vos responsabilités. Ainsi, ces impôts locaux suffiraient. Mais vous oubliez que les collectivités territoriales sont élues au suffrage universel, et que leurs habitants en attendent des services de qualité. Les actions menées sur le terrain sont indispensables pour leur qualité de vie.
Les élus locaux sont ainsi, bien souvent, des fusibles dans les moments difficiles. Or, par vos choix, vous êtes en train de leur renvoyer « une patate chaude » qui pourrait, en retour, vous brûler les doigts.
Non, les collectivités territoriales ne dépensent pas à tort et à travers ! Non seulement, chaque année, leur budget est en équilibre, mais, de plus, la fiscalité locale est restée relativement stable : elle pesait 5, 5 % en 1997 dans les prélèvements obligatoires, elle est de 5, 7 % aujourd'hui.
Vous le savez également, elles représentent un poids économique non négligeable, puisqu'elles réalisent plus de 70 % des investissements publics, soit quatre fois plus que l'État - 48, 6 milliards d'euros environ pour 2006. Les entreprises du bâtiment et des travaux publics et les emplois de ce secteur en bénéficient pleinement.
Mais si elles sont obligées aujourd'hui d'augmenter les impôts acquittés par les ménages, c'est la conséquence des choix que vous leur imposez.
Le rapport de notre collègue Éric Doligé sur le transfert des personnels TOS et des DDE est éloquent : « La question est de savoir si cette réforme ne va pas se transformer en bombe à retardement financière en raison des écarts observés entre les effectifs transférés et les besoins répertoriés par les collectivités, des incertitudes des emplois disparus ou vacants, de l'alignement des régimes d'indemnités et de primes ou de la dégradation annoncée des comptes de la CNRACL avec l'arrivée de populations TOS relativement plus âgées. »
J'ajoute que la modification intervenue s'agissant des directions départementales de l'équipement se traduit sur le terrain par l'abandon de la gestion du droit des sols auprès des communes de moins de 10 000 habitants, ce qui met ces dernières en grande difficulté pour gérer leurs permis de construire.
La situation ne peut se prolonger, et vous l'avez dans une certaine mesure compris, même si vous ne souhaitez pas y remédier pleinement, comme en témoigne le fait que vous ayez décidé de conserver, en 2007, le pacte de croissance et de solidarité tel qu'il était cette année.
Vous ne pouvez cependant pas en rester là. La décision prise dans la loi de finances pour 2006 de bloquer la taxe professionnelle à 3, 5 % de la valeur ajoutée n'est pas tenable. Les résultats de la simulation mise en ligne sur le site du ministère montrent des écarts importants avec les simulations faites au moment de la loi de finances. On nous dit que nous ne serons pas en mesure de connaître la réalité avant avril, ce qui peut se comprendre techniquement, mais n'est pas acceptable puisque tous les budgets doivent être votés avant le 31 mars.
Les collectivités concernées par ce ticket modérateur, en particulier les EPCI, pourraient en 2007 être dans l'obligation de ponctionner 526 millions d'euros sur leurs ressources fiscales au titre du partage du plafonnement : vingt-deux des vingt-cinq régions, quatre-vingt-trois des quatre-vingt-dix-huit départements et 40 % des intercommunalités sont concernés, et, parmi ces collectivités, un grand nombre ont des taux de taxe professionnelle qui se situent en dessous de la moyenne nationale.
Toutes ces décisions ont un seul but : réduire la dépense publique. Or, cette dernière n'a rien de répréhensible dès lors qu'elle répond aux attentes légitimes de la population, qu'elle contribue au développement économique de nos territoires, qu'elle participe à l'aménagement du territoire, et cela dans l'intérêt général.
L'urgence d'une réforme de la fiscalité locale est manifeste ; les élus vous l'ont rappelé lors du Congrès des maires de France, la semaine dernière. La nécessité de moyens pour assumer nos responsabilités est le constat partagé par tous les élus. Il est urgent de mettre en débat toutes les propositions qui permettront de changer la donne des finances et de la fiscalité locales.
Il faut dès à présent prendre d'autres mesures pour des priorités majeures : moderniser la taxe professionnelle et alléger les impôts des ménages, qui deviennent insupportables. Je l'ai rappelé ici à maintes reprises, et nous avons déposé une proposition de loi dans ce sens, notre fiscalité ne répond plus aux conditions économiques actuelles. Il faut donc la moderniser.
Ce sentiment est partagé par de nombreux élus et par de nombreuses personnalités. Je vous rappelle ce que disait Jean-Paul Delevoye : « La prochaine asphyxie des finances communales a pour principale raison le fait que quand l'économie était agricole, la richesse et la fiscalité étaient basées sur le foncier ; quand l'économie est devenue industrielle, la richesse était fondée sur le travail et le capital, et la fiscalité aussi. L'économie est devenue principalement aujourd'hui une économie de services et financière. Or, cette sphère est notoirement sous-fiscalisée. »
Ce constat est fait aussi par de nombreux chefs d'entreprise. Il y a aujourd'hui huit fois plus d'argent dans la sphère financière que dans la sphère productive, et vous continuez à taxer, messieurs les ministres, ceux qui participent à l'industrialisation de notre pays ! Auriez-vous fait le choix de favoriser les secteurs financiers, assurantiels et bancaires au détriment de nos industries ? Nous pourrions le croire au vu de votre dogmatisme fiscal !
Les actifs financiers représentent cinq fois le budget de la nation, soit 5 000 milliards d'euros.
La réforme fiscale serait une façon de réduire le poids de la pression fiscale sur les ménages en les intégrant dans la base de la taxe professionnelle.
Comme nous vous le proposerons dans un amendement, une taxation modeste ne ferait que diminuer un peu l'inégalité des entreprises face à l'impôt, notamment à la taxe professionnelle. Cette recette nouvelle pourrait servir uniquement à la péréquation.
Nous pensons que l'impôt est un outil de justice et de solidarité. Votre conception est aux antipodes : elle ne favorise que les hautes sphères financières. C'est la raison principale de votre réticence à prendre en compte nos propositions.
Cette question des moyens financiers sera, j'en suis certaine, au coeur des débats en 2007, et pour ce qui nous concerne, en tout cas, nous en débattrons avec la population. §