Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, je ne puis ici faire l’économie des mots froids de l’assemblée de Polynésie française, porteurs d’une colère inaudible pour un gouvernement qui semble parfois mieux connaître que les représentants politiques locaux l’intérêt de leur population : « La méthodologie employée par l’État continue de nuire gravement à l’intelligibilité du droit en matière monétaire et financière, car elle rend impossible, faute de temps et de concertation, d’évaluer les effets des modifications proposées ».
En outre, devant notre assemblée, la ministre n’a pas hésité à rappeler que « le projet de loi […] est l’aboutissement d’un travail de recodification de plus de trois ans ». Ces années se sont donc révélées insuffisantes pour consulter, travailler, créer du consensus avec les instances politiques légitimes de ces territoires. C’est tout à fait incompréhensible !
L’article 1er bis perdure dans la copie finale et permet ainsi de prolonger la faculté, pour des entreprises privées, de financer « de façon participative » – néologisme pour dire « directement » – des services publics locaux.
Il avait été précisé que les personnes morales des entreprises d’armement pourraient financer tout service public, à l’exception des missions de police et de maintien de l’ordre public. La sécurité est-elle la seule mission régalienne dont les collectivités exercent de façon partagée la compétence ? Laissons les entreprises tranquilles, qui ont déjà bien à faire pour financer, par des investissements massifs, la transition écologique de leurs moyens de production, plutôt que de nous atteler à leur faire financer les services publics locaux !
Aucun de nos arguments ne vous a convaincus en première lecture. Peu importe que ce financement soit plus onéreux, que des contreparties puissent être introduites, qu’aucune collectivité n’y ait eu recours, que ce soit la consécration d’une relation financière dégradée avec l’État et que la contribution volontaire remplace l’impôt ! Le lien fiscal avec le territoire serait numérique, lorsqu’il était adossé à la valeur ajoutée et aux emplois créés en son sein.
Cet article, loin d’être anodin, porte une ambition sociale aux antipodes de notre conception de la juste part que les acteurs économiques ont à prendre dans leurs relations aux services publics territoriaux. Pensant qu’il serait supprimé par la grande sagesse de l’Assemblée nationale, nous avions décidé de soutenir ce texte, ce qui est manifestement aujourd’hui impossible.
Le Gouvernement est également revenu sur une disposition qui prévoyait la gratuité pour tout retrait d’espèces dans des distributeurs automatiques de billets en Polynésie et en Nouvelle-Calédonie.
Il n’y a certes pas de disposition analogue en métropole, mais la réalité permet à nos concitoyennes et nos concitoyens de procéder à des retraits d’espèces gratuits dans la banque de domiciliation de leur compte. Plutôt que d’instaurer une gratuité totale des retraits dans ces territoires insulaires, le Gouvernement recule, plaidant une erreur.
Pourtant, il eût été possible de consacrer un nouveau droit, le droit au retrait gratuit pour toutes et tous, d’autant qu’une enquête du cabinet Odoxa de 2021 pour le Conseil national des barreaux, étendue pour la première fois à l’outre-mer, atteste que 58 % des Ultramarins affirment qu’il est difficile de faire valoir leurs droits.
La difficulté concerne notamment le droit au compte. En 2021, seulement 1 142 personnes ont bénéficié de la procédure de droit au compte dans la zone d’intervention de l’Institut d’émission des départements d’outre-mer, l’Iedom. Le nombre de désignations a fortement diminué au cours de l’année 2021, avec une baisse de 38 % par rapport à 2019.
Certains guichets bancaires ou agences Iedom ont été de nouveau fermés en 2021, en raison de la crise sanitaire et des événements sociaux. L’observatoire de l’inclusion bancaire en outre-mer constate froidement que 0, 49 ‰ des habitants bénéficient du droit au compte dans l’Hexagone. C’est moins en Nouvelle-Calédonie, en Polynésie française et à Wallis-et-Futuna, avec seulement 0, 39 ‰. La pauvreté y est pourtant sans commune mesure.
De la même manière, le nombre de clients considérés comme « fragiles » dans les collectivités d’outre-mer du Pacifique, à savoir 10 103 personnes, est notoirement en deçà des statistiques sur la pauvreté économique de ces territoires.
Or le montant moyen annuel des frais liés au compte pour ces clients s’élève à 326 euros : c’est le signe que les inégalités sociales et économiques s’accumulent dans chaque relation contractuelle ou marchande.
L’article 5 poursuit dans cette voie et acte le fait que les acteurs bancaires demeureront libres pour fixer les frais associés aux comptes et aux moyens de paiements.
Je souhaiterais conclure par une citation, relevée dans un rapport du Défenseur des droits de septembre 2019 intitulé Les Outre-mer face aux défis de l ’ accès aux droits. Il s’agit du témoignage d’un homme résidant à La Réunion : « Un conseiller de banque m’a dit qu’il fallait fermer le compte, parce qu’ils ne veulent plus les gens comme moi, à faibles revenus. »
La chasse au pauvre est un mauvais chemin. Les droits doivent être consacrés et relever de la gratuité. À ce titre, ce texte constitue une occasion manquée. C’est la raison pour laquelle mon groupe s’abstiendra sur ce texte.