Intervention de Loïc Hervé

Réunion du 4 juillet 2023 à 16h22
Sécurisation et régulation de l'espace numérique — Après l'article 4, amendements 227 23

Photo de Loïc HervéLoïc Hervé, rapporteur :

Je comprends l'intention des auteurs de ces amendements, qui veulent renforcer la lutte contre la pédopornographie en interdisant des contenus présentant la simulation de rapport pédocriminels.

Nous parlons donc de contenus qui mettent en scène deux personnes majeures, qui ont consenti à être filmées et à ce que leur image soit diffusée. L'objectif est d'éviter que, sous couvert de fiction, on ne vienne faire l'apologie de comportements interdits et réprimés par le code pénal. Je comprends parfaitement la logique de cet amendement, qui est aussi celle de ceux qui suivent.

Toutefois, si la cause est noble, la solution que vous proposez pose des difficultés d'ordre juridique. En effet, elle consiste ni plus ni moins à pénaliser les images d'une relation entre deux personnes majeures.

Premièrement, je considère que cette orientation est dangereuse et qu'elle est très probablement contraire à la Constitution.

Je relève que le champ d'application de votre amendement ne se restreindrait pas aux sites pornographiques. En effet, dans la mesure où celui-ci vise à modifier un article du code pénal, toutes les productions, quelle qu'en soit la nature, seraient concernées. Il suffit de relire l'article 227-23 pour le constater : il vise ainsi toute « image » ou « représentation » qui « présente un caractère pornographique ».

Cette définition très large rend le dispositif particulièrement dangereux, a fortiori s'il devait être conjugué avec les dispositions de l'amendement n° 8 rectifié, que nous examinerons dans quelques instants, qui vise à interdire de filmer, même sans diffusion, des rapports sexuels impliquant toute personne mineure, y compris au sens de l'article 227-23.

Si nous adoptons ces deux amendements identiques ainsi que l'amendement n° 8 rectifié, il sera interdit à deux personnes majeures de se filmer, même pour un usage complètement privé, dès lors que l'une d'entre elles serait déguisée en personne mineure.

Deuxièmement, il faut mesurer les conséquences de l'adoption de ces amendements identiques sur le travail des agents chargés de lutter contre la pornographie, notamment dans le cadre de Pharos. Nous tenons d'ailleurs à saluer ces derniers ; ils effectuent un travail remarquable et difficile – les auditions ont été éloquentes à cet égard.

Ces agents utilisent des critères relativement simples pour sélectionner les contenus, ce qui permet un blocage rapide et massif. À l'inverse, les conditions posées dans les dispositions de votre amendement quant au contenu, aux images et au titre supposent de mener un travail d'analyse au cas par cas que les agents ne peuvent réaliser, faute de moyens.

Je crains donc que, bien involontairement, l'adoption de cet amendement ne vienne déstabiliser l'action de Pharos et nuire à l'efficacité du travail de blocage des contenus pédocriminels, qui doit être la priorité des priorités.

Troisièmement, je crois que le Sénat doit faire preuve de cohérence et tenir compte des importants travaux menés par la délégation aux droits des femmes et à l'égalité des chances entre les hommes et les femmes. Quand les contenus impliquent deux personnes majeures, il s'agit bien de pornographie et non de pédocriminalité.

Le rapport d'information Porno : l'enfer du décor indique clairement que les principaux responsables des contenus hardcore, violents et dégradants sont non pas les producteurs, mais les grandes plateformes, ou « tubes », prêtes à diffuser n'importe quel contenu tant que c'est rentable – je me permets de citer ce rapport d'information, madame Rossignol, car vous êtes comme moi membre de la délégation aux droits des femmes et à l'égalité des chances entre les hommes et les femmes.

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