Intervention de Laurence Rossignol

Réunion du 4 juillet 2023 à 14h30
Sécurisation et régulation de l'espace numérique — Organisation des travaux

Photo de Laurence RossignolLaurence Rossignol :

Monsieur le président, monsieur le ministre, madame la secrétaire d’État, mes chers collègues, je concentrerai mon propos sur l’article 1er de ce projet de loi, et particulièrement sur la question du référentiel.

Je veux d’abord saluer l’intention du Gouvernement de faire un pas en avant dans la lutte contre la toxicité de l’industrie pornographique.

Mais je veux tout de même partager avec vous mon sentiment que, dans cette affaire, on se laisse encore un peu embrouiller par le lobby du porno.

Ce lobby est puissant, insidieux, infiltré. Le nombre de connexions uniques en France – 19 millions par mois – donne une idée de sa présence…

Faisons une petite comparaison. Imaginons, par exemple, qu’un buraliste prétende ne pas appliquer l’interdiction de vente de tabac aux mineurs au motif qu’il ne sait pas comment identifier l’âge des consommateurs, et que ces derniers affirment refuser de présenter une pièce d’identité au motif que cela porterait atteinte à leur vie privée. Tout le monde trouverait alors que la ficelle est grosse…

Or c’est exactement ce que fait l’industrie pornographique depuis trois ans – depuis la loi du 30 juillet 2020. Elle affirme qu’elle ne peut appliquer la loi.

Je crains que le référentiel ne valide a posteriori leur raisonnement et leur refus d’appliquer la loi. En effet, en conditionnant l’application de la loi à un futur référentiel, nous inversons, d’une certaine manière, la charge de la preuve : ce ne sera pas aux diffuseurs des contenus pornographiques de prouver qu’ils ont tout fait pour interdire l’accès aux mineurs ; le mistigri passera dans les mains de l’Arcom, qui devra apporter aux sites les outils nécessaires à l’application de la loi.

Nous devrons bien préciser, dans le débat parlementaire, que les sites auront l’obligation non seulement de se conformer au référentiel, mais aussi de bloquer l’accès des mineurs par tout moyen, en l’état de l’art, c’est-à-dire compte tenu de l’ensemble des évolutions technologiques qui ne manqueront pas de se produire entre l’examen du projet de loi et l’adoption du référentiel, dont rien ne nous dit qu’il sera adopté dans le délai prévu de six mois, vu qu’il n’y a pas de sanction…

Le montage que nous faisons est extraordinaire. Pourquoi n’avons-nous pas choisi, par exemple, celui qui fonctionne assez bien pour l’accès des mineurs aux sites de jeux d’argent en ligne ?

C’est à cet instant que surgit le fameux secret de la vie privée, brandi par les consommateurs de porno pour se protéger. Cet argument est une mystification. Tout d’abord, le secret de la vie privée concerne non pas le recueil de données, qui sont confiées en toute liberté par leur titulaire, mais la diffusion de ces données.

Beaucoup d’entre nous confient des données assez sensibles à Doctolib : personne ne sollicite un tiers de confiance parce que personne ne pense que Doctolib va vendre ces données ! D’ailleurs, dans le cas contraire, des sanctions pourraient s’appliquer.

En revanche, nous considérons que les sites pornos pourraient diffuser les données et, pour nous en prémunir, nous passons par un système qui leur facilite grandement la vie.

Cette affaire de vie privée érigée en valeur constitutionnelle absolue pose un autre problème, et je pense que Mme la secrétaire d’État Charlotte Caubel y sera sensible. Il nous faut concilier deux principes constitutionnels : le respect de la vie privée et l’intérêt supérieur de l’enfant.

Quand deux millions de mineurs sont biberonnés aux vidéos pornos, je considère, pour ma part, que c’est le secret de la vie privée qui doit s’adapter au devoir de protection des enfants, et non l’inverse.

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