Intervention de Jean-Noël Barrot

Réunion du 4 juillet 2023 à 14h30
Sécurisation et régulation de l'espace numérique — Article 1er, amendements 130 1 2024 2

Jean-Noël Barrot :

Mesdames, messieurs les sénateurs, d’où vient le principe du référentiel, sur lequel l’Arcom va pouvoir s’appuyer pour ordonner le blocage et le déréférencement de sites pornographiques qui ne vérifieraient pas l’âge de leurs utilisateurs ?

On en trouve d’abord l’origine dans le décret d’application de la loi du 30 juillet 2020, qui décrit la procédure par laquelle l’Arcom peut mettre en demeure les sites pornographiques et saisir le tribunal judiciaire de Paris pour obtenir leur blocage et leur déréférencement.

Ce référentiel, comme l’a rappelé M. le rapporteur, on le retrouve ensuite à la page 127 et à la recommandation n° 14 du rapport de la délégation aux droits des femmes et à l’égalité des chances entre les hommes et les femmes. Il s’agit d’une condition pour que l’Arcom, assurée que le niveau de sécurité juridique est suffisamment élevé, puisse ordonner le blocage des sites pornographiques.

Comme M. le rapporteur l’a également rappelé, si nous n’avons pas de référentiel, en réalité, c’est non pas sur les plateformes que nous rejetons la responsabilité, mais sur le juge. Croyez-moi, les plateformes ne vont pas se précipiter pour mettre en place des systèmes de vérification d’âge extrêmement fiables !

Elles vont mettre en œuvre la première solution venue, à charge pour les juges de déterminer ensuite si, oui ou non, la solution est acceptable, suffisamment fiable ou protectrice de telles ou telles données personnelles.

En réalité, le référentiel vient sécuriser la capacité de l’Arcom à ordonner le blocage et le déréférencement. Et puisque nous prévoyons dans les articles 1er et 2 d’aller beaucoup plus vite, en contournant la procédure judiciaire, pour procéder à ce blocage, il faut que nous puissions fixer, à tout le moins, les conditions dans lesquelles le blocage et le déréférencement puissent être prononcés par l’Arcom.

Je veux faire observer qu’il n’y a aucun lien, ou plutôt qu’il ne doit y avoir aucune interférence, contrairement à ce que vous semblez envisager, madame la sénatrice Rossignol, entre la procédure judiciaire, qui est en cours depuis un an et demi devant le tribunal judiciaire de Paris, dont le verdict est attendu vendredi prochain, et les articles 1er et 2 du présent projet de loi.

Les dispositions de ces derniers articles ne seront applicables que pour les affaires ayant trait à des poursuites qui auront été engagées à partir du 1er janvier 2024, comme le prévoit l’article 36. D’ici là, le droit existant s’applique. Or que faut-il faire pour que les plateformes soient en conformité avec le droit existant ? Eh bien, pour le dire de façon imagée, il leur suffit de se baisser et de ramasser n’importe quel système de vérification d’âge pour satisfaire aux prescriptions légales. Comme l’ont dit Mme la secrétaire d’État, la Cnil et moi-même, nombre de systèmes d’estimation de l’âge existent aujourd’hui et sont librement accessibles sur le marché, comme pour l’utilisation de la carte de crédit pour un paiement à zéro euro. Tous ces systèmes seront en vigueur jusqu’au 31 décembre 2023. Il n’y a donc aucune raison ni pour les sites ni pour le juge d’aller chercher la moindre référence dans le texte que le Parlement adoptera à l’issue de son examen, puisque ses dispositions ne s’appliqueront qu’à l’avenir, pour des affaires futures.

Pour revenir à la discussion des amendements, je demande le retrait des amendements identiques n° 3 et 88, qui tendent à supprimer le référentiel ; à défaut, j’émettrai un avis défavorable.

Je répète mon argument principal : dans la mesure où il s’agit de demander à l’Arcom de prendre une décision assez lourde, à savoir ordonner en quelques semaines le blocage et le déréférencement du site, celle-ci doit pouvoir s’appuyer sur un référentiel. Peu importe si ce dernier est souple et permet simplement d’assurer ou d’attester un minimum de fiabilité des solutions de vérification d’âge retenues.

L’amendement n° 130 du rapporteur vise à pousser l’Arcom à publier ce référentiel dans les six mois, soit d’ici au 1er janvier 2024, date à laquelle l’article 2 entrera en vigueur. L’Arcom devrait être en mesure de publier le référentiel dans ces délais ; le Gouvernement s’en remet donc à la sagesse du Sénat.

L’amendement n° 62 rectifié bis, de Bernard Fialaire, et les amendements n° 34, 37, 36, 38 et 35, de Thomas Dossus, soulèvent tous des questions légitimes relatives au RGPD, à l’empreinte environnementale, à l’open source, etc. Je propose à leurs auteurs de bien vouloir les retirer, car nous préférons conserver un référentiel souple, à même de permettre à l’Arcom d’ordonner le blocage et le déréférencement en toute sécurité. Les sites pornographiques pourraient en effet tirer argument d’un référentiel excessivement complexe et coûteux pour ne pas s’y conformer.

Le Gouvernement émet un avis de sagesse sur l’amendement du rapporteur, qui vise à demander à l’Arcom de publier le référentiel dans les six mois, et propose de ne pas toucher à la rédaction initiale de l’article.

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