Monsieur le sénateur Patrick Chaize, je vous remercie d’avoir défendu cet amendement, qui me permet de rendre compte de l’action du Gouvernement quant au rôle joué par les réseaux sociaux au cours de la semaine tragique qui vient de s’écouler.
Tout d’abord, je partage le constat : les réseaux sociaux ont indéniablement joué un rôle dans l’amplification de la violence. Toutefois, les racines de cette violence, qui s’est propagée dans le pays, ne sont pas à chercher, à mon sens, dans lesdits réseaux.
Ces derniers ont contribué à amplifier la violence de deux façons.
La première est liée à l’existence de certaines fonctionnalités proposées par ces plateformes. Indépendamment du caractère licite ou illicite des messages postés, celles-ci ont facilité les regroupements et le développement de dynamiques émeutières.
La deuxième a trait à la diffusion d’images qui ont peut-être participé à la glorification ou à la banalisation des faits de violence.
Face à cette situation, dès les premières heures et les premiers jours, le Gouvernement a appelé les plateformes à prendre leurs responsabilités.
Ainsi, vendredi dernier, à la mi-journée, avec le ministre de l’intérieur, j’ai convoqué les quatre principales plateformes.
Il s’agissait tout d’abord de leur rappeler leurs obligations légales : celle de retirer les contenus illicites qui leur sont signalés par les autorités et celle de transmettre promptement les données demandées sur réquisition des autorités administrative et judiciaire afin d’identifier les détenteurs de comptes ou pour les besoins de l’enquête.
Nous leur avons aussi demandé d’aller un peu au-delà de leurs obligations légales et d’anticiper les termes du règlement DSA, que le présent projet de loi permet de mettre en œuvre dans notre pays. Il s’agit, par exemple, de la nécessité d’analyser et de corriger le risque systémique qu’elles font peser sur la sécurité publique.
Avant l’adoption du règlement sur les services numériques, les plateformes avaient pour seule responsabilité de retirer les contenus qui leur étaient signalés et de répondre aux réquisitions des autorités administratives et judiciaires. Désormais, en sus de ces obligations, assorties de sanctions plus lourdes, elles devront se montrer bien plus attentives à la manière dont leur fonctionnement, par viralité, a enclenché ou amplifié des dynamiques émeutières comme celles qui se sont produites cette semaine.
Avec les services du ministère de l’intérieur, j’ai convoqué aujourd’hui une nouvelle réunion pour dresser le bilan de la semaine, obtenir des chiffres et vérifier que les quatre principales plateformes ont bien répondu à leurs obligations.
Force est de constater qu’elles l’ont fait : plusieurs milliers de contenus illicites ont été retirés, plusieurs centaines de comptes ont été supprimés et les plateformes ont répondu à plusieurs dizaines de réquisitions.
Par ailleurs, elles ont toutes pris un certain nombre de mesures pour atténuer les effets amplificateurs de leurs paramètres de fonctionnement sur la violence via la viralité.
Si je comprends l’objet de cet amendement, je ne peux, comme je l’ai indiqué lors de nos échanges avec son auteur, qu’y être défavorable en raison d’un risque très élevé d’inconstitutionnalité du dispositif proposé.
À la suite de la saisine du Conseil constitutionnel par les sénateurs, la loi visant à lutter contre les contenus haineux sur internet, dite loi Avia, a été partiellement censurée, notamment les dispositions prévoyant l’obligation de retrait des contenus illicites en vingt-quatre heures pour les hébergeurs et les éditeurs de contenus en raison de leur caractère haineux, dont le non-respect était pénalement sanctionné.
En l’espèce, il s’agit non pas de vingt-quatre heures, mais de deux heures, soit un délai bien plus court.
La loi Avia a été partiellement censurée par le Conseil constitutionnel, à juste titre, car les hébergeurs auraient dû retirer très rapidement les contenus signalés pour éviter des peines d’emprisonnement et des amendes se chiffrant en centaines de millions d’euros sans pouvoir vérifier si lesdits contenus étaient véritablement illicites.
À mon sens, cet argument s’entend parfaitement, même s’il faut être très exigeant à l’égard des hébergeurs ou des plateformes.
Le règlement sur les services numériques prévoit d’ailleurs des sanctions allant jusqu’à 6 % du chiffre d’affaires mondial et au bannissement de l’Union européenne en cas de manquements répétés. Ce sont des sanctions lourdes.
Il faut leur imposer de prendre leurs responsabilités, sans toutefois les conduire à ne pas respecter la liberté d’expression. Nous n’avons pas encore tout à fait trouvé les bonnes formules.
J’y insiste, je comprends l’intention de M. Chaize. Aussi me semble-t-il important de trouver, de la façon la plus constructive, structurée et préparée possible, un moyen permettant aux plateformes de mettre en place, dans des moments comme ceux que nous venons de vivre, dès la première heure, les mesures nécessaires pour éviter ces phénomènes de viralité ou de géolocalisation qui ont indéniablement facilité les dynamiques émeutières de cette semaine.
Engageons cette réflexion à la faveur de la navette parlementaire. Le Président de la République vient d’appeler à ne pas prendre à chaud des mesures trop dures que l’on pourrait regretter par la suite.
Monsieur le sénateur, je vous propose d’engager cette réflexion ensemble, mais aussi avec le ministre de la justice ou son représentant et avec les rapporteurs de l’Assemblée nationale, pour trouver la rédaction qui nous conviendra d’ici au mois de septembre et faire en sorte qu’elle soit adoptée à l’Assemblée nationale, ce dont je me porte garant.
Je vous propose de nous réunir dès la semaine prochaine, une fois que les rapporteurs de l’Assemblée nationale auront été désignés, pour commencer à travailler sur ce sujet. Je vous saurais gré de bien vouloir accepter cette proposition.
Le Gouvernement demande le retrait de cet amendement, afin d’engager le travail sur des bases sereines ; à défaut, il y sera défavorable.