Intervention de Sébastien Lecornu

Réunion du 13 juillet 2023 à 10h30
Programmation militaire pour les années 2024 à 2030 — Adoption définitive des conclusions d'une commission mixte paritaire sur un projet de loi

Photo de Sébastien LecornuSébastien Lecornu :

Monsieur le président, monsieur le président de la commission des affaires étrangères, de la défense et des forces armées et rapporteur pour le Sénat de la commission mixte paritaire, mesdames, messieurs les sénateurs, après avoir quitté, à l’instant, l’ensemble des familles des tués, morts pour le service de la Nation, morts pour le service de la République et morts pour la France, qui étaient rassemblées à l’hôtel de Brienne ce matin, je tenais à commencer mon propos par là où je l’avais terminé lors de mon intervention en discussion générale : j’ai une pensée pour les femmes et les hommes – vous les accueillerez cet après-midi au Sénat dans le cadre d’une visite plus globale – qui ont choisi de s’engager au sein de nos forces armées, ainsi que pour les nombreux civils de la défense qui servent au quotidien.

C’est à eux que nous devons songer, alors que, ce matin, la Haute Assemblée – au lendemain de l’Assemblée nationale – s’apprête à se prononcer sur le projet de loi de programmation militaire pour les années 2024 à 2030.

C’est un moment important pour nos armées, lorsque tous les cinq, six ou parfois sept ans, le Parlement discute et vote un projet de loi de programmation militaire pour fixer un cap à notre défense nationale, pour définir les effets militaires que nous souhaitons produire face aux menaces pesant sur le pays, ainsi que pour détailler les missions confiées à nos armées et, bien entendu, les moyens que nous leur allouons, en lien avec nos capacités industrielles.

C’est aussi un moment important pour la Nation, qui prend la mesure, à quelques heures du 14 juillet, du rôle fondamental que jouent nos militaires pour garantir notre sécurité, notre souveraineté et, en réalité, plus simplement, notre prospérité.

C’est enfin un moment important pour les puissances étrangères qui nous observent – qu’il s’agisse de pays alliés ou de compétiteurs – et qui prennent acte de la puissance de notre République et de notre Nation, pour trouver, dans le respect des règles constitutionnelles encadrant les compétences de chacun, les voies et les moyens de répondre aux défis sécuritaires qui pèsent sur notre pays.

Alors que l’Assemblée nationale a adopté hier, à une très large majorité, les conclusions de la commission mixte paritaire, sur lesquelles le Sénat se prononcera dans quelques minutes, je veux revenir, à mon tour sur les éléments qui ont permis à l’examen de ce texte d’être utile – je le crois – au débat politique national sur un sujet singulier s’inscrivant dans une histoire française et un moment mondial tout aussi singuliers.

Tout d’abord, si je forme le vœu que ce quinzième projet de loi de programmation militaire rencontre le succès grâce à votre vote, je relève comme je l’avais fait lors de la discussion générale que les questions militaires ne font toujours pas l’objet d’une position consensuelle sur des sujets fondamentaux pour la construction de notre système de défense.

Je m’avance quelque peu en admettant que les projets de loi de programmation militaire ont tous été votés. En effet, sur les quatorze textes qu’il a précédemment examinés depuis 1960, le Parlement n’a pas voté celui de 1992.

D’ailleurs, au cours d’une autre histoire entre le général de Gaulle et cette maison, le Sénat n’avait-il pas, lui-même, rejeté la première loi de programme relative à certains équipements militaires en 1960, par l’adoption d’une motion opposant la question préalable ?

Ces rappels historiques montrent que les questions de défense sont, bien entendu, des sujets politiques – au sens noble du terme –, mettant en jeu des modèles et des visions qui peuvent s’affronter, notamment pour ce qui concerne nos alliances, le rôle et la place de notre dissuasion nucléaire, et même la doctrine d’emploi de nos forces armées en réponse à des menaces dont les contours ne sont pas toujours pleinement admis par tous.

Je m’honore d’avoir pu mener ces débats avec l’ensemble des parlementaires des deux chambres au cours de l’examen de ce texte, en apportant aux Françaises et aux Français un éclairage salutaire sur ce que chaque groupe politique représenté au sein des deux hémicycles propose pour nos armées, avec des différences évidemment notables.

Les sujets de discussion n’ont pas manqué, non plus que la force des convictions et des arguments, et il faut s’en réjouir.

Ce débat est sain et n’a rien eu de médiocre. Le vote du Sénat en première lecture, par scrutin public, a été clair. Il a mis en évidence, malgré quelques divergences mineures, que nous étions en très grande majorité convaincus, sur le fond, par les fondamentaux du modèle d’armée voulu par le Président de la République, fruit de notre héritage depuis les années 1960, et présenté dans ce projet de loi.

Toutefois, dans cet hémicycle parfois, mais davantage à l’Assemblée nationale, le débat n’a pas occulté le fait que nous avions pu développer, les uns et les autres, des visions du monde – donc de notre défense – qui sont, je le crois, profondément divergentes, voire durablement irréconciliables.

L’examen du texte a montré que l’expression de certaines sensibilités politiques, en dépit des clarifications inédites et bienvenues que nous avons constatées hier après-midi encore, lors des explications de vote de certains groupes, s’entourait néanmoins toujours d’une forme de flou, notamment sur le modèle d’alliance avec nos partenaires européens et nord-atlantiques, ou sur leur position définitive et sans ambiguïté quant au rôle et à l’efficacité de notre dissuasion nucléaire.

Cet examen parlementaire nous a permis d’entendre les critiques portées contre le fonctionnement du modèle français actuel et – je le dis solennellement – nous devrons tenir compte de certaines d’entre elles. Pour autant, les débats n’ont pas toujours fait émerger de contre-propositions crédibles et réalistes sur un sujet pourtant aussi essentiel que celui des alliances militaires, bilatérales comme multilatérales, qui englobe bien entendu la question de notre place et de notre rôle dans l’Otan ; rien non plus sur le bilan objectif de ce qu’ont accompli nos armées en Afrique au cours des dernières années ni sur la posture à adopter, de manière courageuse et pragmatique, en matière de lutte contre le terrorisme – nous aurons l’occasion d’y revenir.

La question des coopérations industrielles avec nos partenaires a été largement débattue, ce qui a permis de réaffirmer la ligne de conduite de ce gouvernement qui, me semble-t-il, a trouvé un consensus bienvenu en faisant toujours primer – faut-il le rappeler ? – l’intérêt de la France dans les choix qu’il fait et qu’il continuera de faire.

Je me suis engagé, monsieur le président Cambon, à revenir devant le Parlement chaque fois que nous débuterons une nouvelle phase de coopération pour des programmes comme le système de combat aérien du futur (Scaf) et le système principal de combat terrestre, dit MGCS pour Main Ground Combat System.

Je le ferai et je suis convaincu que cela permettra d’objectiver de manière rationnelle les critères et les paramètres sur lesquels les décisions doivent être prises pour défendre l’intérêt général et celui de notre modèle.

Si, à l’Assemblée nationale, nous avons pu avoir un débat sérieux et approfondi sur notre dissuasion, je regrette – en espérant que cela nous aidera à faire mieux à l’avenir – que nous n’ayons pas suffisamment pris le temps de ce débat dans cet hémicycle.

Je voulais vous redire, monsieur le président Cambon, comme je l’ai déjà fait en privé, ma disponibilité pour discuter de la dissuasion nucléaire. En effet, on ne peut pas soutenir que celle-ci constitue la clé de voûte de notre système de défense et en même temps refuser le débat sur ce sujet. Nous pourrons l’avoir dans le cadre des travaux que la commission ou les groupes politiques choisiront de mener.

L’adhésion de la grande majorité des groupes politiques du Sénat à notre modèle d’armée a eu pour effet de focaliser les débats sur de nombreuses considérations budgétaires et sur des éléments sous-jacents, de nature plus financière, de la trajectoire de la programmation militaire, différence qui correspond sans doute aussi à une répartition bicamérale.

J’ai entendu la volonté qu’ont exprimée les élus sur de nombreuses travées d’amplifier l’effort financier en début de période. J’y reviendrai dans un instant ainsi que sur d’autres sujets déterminants, qui méritent que, au-delà de l’enceinte du Parlement, la Nation tout entière en débatte afin que nos concitoyens comprennent mieux ce modèle d’armée à l’histoire singulière, qui objective les menaces pesant sur la France.

Désormais, nous avons besoin d’un débat, non pas tant entre experts, que davantage national, voire populaire. Là encore, j’aurai l’occasion d’y revenir.

Mesdames, messieurs les sénateurs, en tout état de cause, je pense pouvoir affirmer, dans le respect de la séparation des pouvoirs et du rôle que nos constituants ont donné à chacun en matière de défense nationale, que le Parlement a pris toute sa place dans ce débat et qu’il en sort renforcé.

Les dispositions adoptées consolideront le contrôle du Parlement sur l’exécution et l’actualisation de cette programmation militaire, notamment chaque année, en amont de l’examen des projets de loi de finances, qui restent – on le sait, monsieur le rapporteur Dominique de Legge – les actes parlementaires sans lesquels le Gouvernement ne serait pas autorisé à engager concrètement les crédits pour nos armées.

Ce renforcement du contrôle parlementaire, assez inédit, en réalité, depuis le début de la Ve République, permettra aux deux chambres de tenir un rôle essentiel dans la poursuite de la montée en puissance de nos armées et dans le choix des orientations qu’il faudra leur donner.

Je me réjouis de ces avancées ; c’est un signal important envoyé à ceux qui doutent de la vitalité de notre modèle démocratique et de nos institutions.

Il permettra aussi au Parlement de s’assurer que les choix opérés en 2023 seront toujours adaptés à l’évolution des menaces tout au long de la période de programmation.

Trop souvent dans le passé, l’observance stricte – pour ne pas dire scolaire – de la programmation nous a conduits à prendre du retard, nos décisions, aussi bonnes soient-elles, intervenant trop tardivement. Je ne reviendrai pas sur la question des drones : il nous faut désormais tirer les conclusions de notre débat, pour l’avenir.

Dans le respect des grands principes de la Ve République, il est évident que le moment dans lequel nous nous trouvons offre au Parlement l’occasion de prendre toute sa place au sein de notre politique de défense. Les débats que nous avons eus nous obligeront, à l’avenir, à faire preuve de réactivité et à mettre à jour la programmation en lien avec les parlementaires.

Enfin, le succès de cette programmation militaire – et j’espère que vous voterez le projet de loi dans un instant – tient à une forme de responsabilité que chacun a su prendre pour définir une trajectoire budgétaire – vous l’avez évoqué, monsieur le président Cambon – au service d’une ambition militaire documentée et crédible ; l’enjeu était de financer des capacités d’agir concrètes pour assurer la défense de nos intérêts et pour répondre aux menaces actuelles, et surtout futures, dans tous les espaces de conflictualité. En réalité, il s’agit d’un grand chantier de transformation qu’enclenche ce projet de loi de programmation militaire.

Les débats ont été longs et nombreux pour aboutir au compromis trouvé lundi dernier en commission mixte paritaire, afin d’assurer à nos militaires les moyens des missions que nous leur confions.

Ce compromis permet, je le pense, de répondre à l’indispensable besoin de cohérence pour notre modèle d’armée d’emploi, c’est-à-dire de mieux équiper, former et soutenir, de recruter davantage, de fidéliser et de plus entraîner nos forces – vous êtes revenus à de nombreuses reprises sur ce point au cours des débats –, tout en nous assurant de la soutenabilité de la trajectoire de nos finances publiques dans la durée.

À cet égard, devant votre assemblée, j’adresse mes plus sincères remerciements au président Cambon, avec lequel le dialogue a toujours été particulièrement franc et constructif et, j’ajouterai, particulièrement ferme tout autant que fiable, ce qui rend la discussion d’autant plus précieuse. À titre personnel, je vous en suis très reconnaissant, monsieur le président.

Le Parlement, dans ce compromis paritaire, a souhaité que nous mobilisions davantage de moyens au début de la période sans pour autant – ce qui n’aurait eu aucun sens, comme je l’ai souligné à de nombreuses reprises – alourdir la facture globale de 400 milliards d’euros de crédits budgétaires ni changer la programmation des 413 milliards d’euros.

Cette volonté a été largement exprimée par les sénateurs issus de plusieurs groupes politiques : nous les avons entendus et nous sommes parvenus à cet accord.

Mesdames, messieurs les sénateurs, pour conclure, je ne considère pas ce projet de loi de programmation militaire comme un aboutissement.

C’est le fruit de l’engagement du Président de la République, chef des armées, qui, depuis son élection en 2017, a gardé intacte sa volonté de réparer, puis de transformer notre modèle militaire, tout cela avant même qu’éclate la guerre en Ukraine.

Ce vote ne doit pas non plus acter la fin des débats sur ces sujets militaires. À un débat plus national que j’évoquais voilà un instant, s’ajoutent des débats et des travaux à tenir ici même sur différents sujets clés pour la réussite de nos objectifs.

La réarticulation de notre stratégie en Afrique, lancée par le Président de la République, est un sujet sur lequel je reviendrai régulièrement devant vous pour rendre compte des différentes étapes que nous franchirons.

J’ai également entendu l’appel du sénateur Rachid Temal, lancé au nom de son groupe lors de la discussion générale, à approfondir nos échanges sur l’Otan, sur la place de la France dans cette alliance, sur le bilan de sa réintégration dans le commandement intégré, sur les effets militaires recherchés et sur le périmètre de l’Alliance, qui sont autant de sujets dont nous n’avons pas eu le temps de débattre.

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