Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, la commission des lois a été saisie de l'article 2 du projet de loi, qui habilite le Gouvernement à légiférer par ordonnance, afin de permettre aux acheteurs publics de déroger à certaines règles de la commande publique pour faciliter la réfection ou la reconstruction des bâtiments publics dégradés lors des récentes violences urbaines.
Lorsque des bâtiments publics sont attaqués, qu'il s'agisse d'une mairie, agora de la démocratie locale, ou d'une administration délivrant des services quotidiens à la population, ce sont la République et le vivre-ensemble qui sont attaqués. Nous ne pouvions donc rester sans réponse.
Ainsi, leur reconstruction rapide, autant pour assurer la nécessaire continuité du service public que pour symboliser la reprise de l'ordre républicain face à ces violences que nous condamnons, est un objectif que la commission a soutenu en adoptant l'article 2.
Ces violences, inadmissibles dans leur expression, ont ciblé de nombreuses personnes dépositaires de l'autorité publique : pompiers, forces de l'ordre ou encore élus locaux.
Les bâtiments publics ont également payé un lourd tribut lors de ces exactions, puisqu'ils représentent 30 % des bâtiments endommagés. Au total, plus de 750 bâtiments publics nécessitent des travaux de réfection ou de reconstruction. Parmi ceux-ci, les bâtiments les plus emblématiques des institutions républicaines locales ont fait l'objet de dégradations : 273 bâtiments des forces de l'ordre, 168 écoles et 105 mairies ont été détériorés.
Au lendemain de ces émeutes, ce triste bilan appelle notre mobilisation collective pour conduire dans l'urgence un chantier national de reconstruction. Relever ce défi appelle un cadre juridique d'exception, de nature à accélérer au maximum la conduite des travaux.
Dans cette perspective, et face au risque juridique que constituerait l'initiation de travaux d'urgence sur le fondement des seules dérogations déjà permises par le droit de la commande publique, l'article 2 vise à garantir aux acheteurs publics une assise juridique sûre et à les inciter à lancer promptement les travaux nécessaires.
Ces nouvelles dérogations, temporaires et limitées aux seuls bâtiments publics endommagés lors de ces émeutes, permettraient aux acheteurs publics de passer des marchés publics sans publicité, mais avec mise en concurrence pour des travaux dont le montant serait inférieur à un seuil défini dans l'ordonnance. Les premières pistes du Gouvernement évoquaient un seuil d'un million d'euros, soit un fort rehaussement par rapport au seuil de droit commun, qui est de 100 000 euros.
Ces dérogations permettraient également de ne pas allotir les marchés et, enfin, de conclure plus facilement des marchés globaux.
Le gain de temps estimé de la dérogation au principe de publicité s'élève, pour l'acheteur public, à quatre semaines. En permettant de ne passer qu'un seul marché, la conclusion d'un marché global entraînerait quant à elle un gain approximatif de quatre mois.
Les dérogations que nous propose le Gouvernement nous paraissent justifiées et proportionnées pour atteindre l'objectif de prompt rétablissement des services publics dans les communes concernées.
Dans une démarche constructive, la commission a adopté un amendement à cet article visant à clarifier l'étendue du périmètre de ces dérogations, en mentionnant les « acheteurs soumis au code de la commande publique », notamment afin de lever une ambiguïté résultant du texte initial et d'inclure les bailleurs sociaux.
Notre soutien à ce texte n'est cependant pas un chèque en blanc. À ce titre, nous avons émis trois réserves, monsieur le ministre.
En premier lieu, le seuil d'un million d'euros, évoqué par le Gouvernement, en dessous duquel les acheteurs publics pourront déroger au principe de publicité, ne nous semble pas à la hauteur des enjeux de reconstruction des bâtiments publics. Nous souhaiterions que le Gouvernement réévalue ce seuil, en prenant en considération les besoins réels exprimés par les collectivités publiques, afin que ce régime exceptionnel soit plus aisément mobilisable par les acheteurs publics.
En effet, il existe une marge de manœuvre significative, puisque la réglementation européenne autorise des dérogations jusqu'à 5, 3 millions d'euros.
C'est pourquoi la commission a adopté un amendement tendant à modifier l'intitulé du projet de loi : celui-ci mentionnera désormais les travaux de « réfection » des bâtiments endommagés, afin d'en illustrer la portée réelle.
Monsieur le ministre, nous nous sommes en outre interrogés sur l'étendue du dispositif de l'amendement n° 5 du Gouvernement, que nous avons examiné ce matin en commission. En effet, alors que, en réponse à notre demande, les services du ministère nous ont assuré à trois reprises que les travaux de voirie publique ne feraient pas partie des équipements publics, l'objet de cet amendement les cite explicitement.
Nous attendons donc des précisions de votre part quant au périmètre précis de l'ordonnance : la voirie, les lampadaires, la vidéoprotection, pour ne citer que ces exemples, sont-ils inclus ? Je vous remercie par avance de toutes ces précisions.
Enfin, à l'instar du Conseil d'État, nous regrettons que le Gouvernement ne soit pas allé au bout de la démarche d'urgence, qui aurait consisté à inscrire directement le dispositif dérogatoire dans le projet de loi, plutôt qu'à recourir à une ordonnance. En effet, le gain de temps que l'on peut espérer de cette dérogation au principe de publicité serait de quatre semaines, soit un délai bien inférieur aux deux mois demandés par le Gouvernement pour publier l'ordonnance.
À tout le moins, il nous semblerait opportun que l'ordonnance soit présentée en conseil des ministres dans les meilleurs délais, si possible avant la pause estivale, afin que les procédures de passation des marchés puissent être entamées rapidement.