Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, les émeutes qui ont eu lieu entre le 27 juin et le 5 juillet dernier à la suite de la mort du jeune Nahel ont surpris par leur violence et par l’ampleur des dégâts qu’elles ont entraînés.
Elles ont touché l’Île-de-France, les métropoles, près de 500 communes dans des territoires jusqu’ici épargnés, et elles ont causé la dégradation, voire la destruction de plus de 800 bâtiments publics, mairies, écoles, bibliothèques ou postes de police, ce qui a affecté la continuité du service public. Les commerces n’ont pas été épargnés non plus : ils ont parfois subi des pillages.
Le présent projet de loi d’urgence formule en trois articles la réponse du Gouvernement face à ces événements, laquelle prend la forme d’une demande d’habilitation à légiférer par ordonnance, afin de créer un cadre juridique d’exception, notamment en matière de droit de l’urbanisme et de la construction.
De nombreuses communes et villes font désormais face à l’impérieuse nécessité de rouvrir centres aérés et bases de loisirs pour accueillir les enfants cet été, de réhabiliter leurs écoles pour les accueillir dès la rentrée de septembre prochain et d’assurer la continuité de certains services publics dont les bâtiments ont été touchés.
Pour autant, si les intentions sont louables, le texte est limité par une faiblesse criante, à savoir son imprécision, tant sur le périmètre des actions pour lesquelles le Gouvernement demande à légiférer par ordonnance que sur ses aspects financiers.
Il comporte en outre de nombreuses inconnues. Si le Gouvernement a évoqué la possibilité de reconstruire en améliorant la performance environnementale, la sécurité et l’accessibilité des bâtiments par rapport à leur état antérieur, cette intention n’est pas clairement précisée dans le texte.
Le texte prévoit que la reconstruction pourra se faire « nonobstant toute disposition de droit de l’urbanisme contraire », y compris lorsqu’un document d’urbanisme applicable en dispose autrement. Or nous n’avons aucune garantie en termes de protection du patrimoine ou de participation du public.
Les installations provisoires destinées à accueillir du public ou à garantir la continuité des services publics entreront-elles, monsieur le ministre, dans le champ des ordonnances ?
Aucune précision n’est donnée non plus sur l’encadrement de la durée de mise en œuvre des mesures d’urgence. Tout au plus évoque-t-on « un délai limité ».
Enfin, le délai de deux à trois mois annoncé pour publier les ordonnances nous semble totalement en contradiction avec le discours du Gouvernement sur le caractère d’urgence des actions à mener. Nous demanderons donc une publication plus rapide de celles-ci par voie d’amendement.
Élaboré dans l’urgence, ce texte n’est de toute façon pas le bon véhicule législatif, qui permettrait d’apporter les financements nécessaires en cas de dépenses accidentelles ou liées à des circonstances exceptionnelles. Mais nous ne pouvons pas nous exonérer de voter en sa faveur, car il est malgré tout nécessaire pour rassurer les élus et nos concitoyens.
Pour autant, ces faiblesses exigent un contrôle parlementaire rigoureux, pour à la fois accélérer les travaux et encadrer ceux-ci, afin d’éviter les abus.
Enfin, plus largement, nous ne pouvons pas nous empêcher de souligner que ce texte, exclusivement technique, ne résoudra pas le problème de fond : la destruction la plus préoccupante est celle de notre cohésion sociale.
Les émeutes ne sauraient être qualifiées de manière réductrice d’« urbaines », comme ce fut le cas par exemple en 2005. En effet, aucun territoire n’a été épargné : sur 553 communes touchées, 169 ne comprennent pas de quartiers prioritaires de la politique de la ville.
C’est la triste illustration d’un mal-être qui s’aggrave, d’une déconnexion de plus en plus évidente entre l’État et la population, d’un fossé devenu béant entre certaines classes sociales et entre Français.
Monsieur le ministre, les mobilisations sociales qui se succèdent inlassablement devraient vous interpeller. Nous n’en serions pas là aujourd’hui si l’État avait apporté des réponses concrètes au déclassement d’une large partie de la population, ghettoïsée géographiquement et socialement, au moins depuis les dernières émeutes de 2005, si ce n’est depuis plus de trente ans.
Les élus et les associations, comme les familles, dénoncent la disparition progressive de la police de proximité. Les questions systémiques, telles que celle des discriminations et du racisme au sein des forces de police, n’ont jamais été réglées et elles ont été très peu débattues.
Depuis 1990, les politiques de la ville successives ont représenté 90 milliards d’euros d’investissements de la part de l’État. C’est aussi le montant annuel des exonérations de cotisations sociales pour les entreprises… Et ce n’est rien en comparaison des dépenses engagées depuis 2020 pour faire face à la pandémie. Faut-il dès lors s’étonner du résultat ?
Les politiques de la ville n’ont jamais réglé l’absence de mixité sociale dans les quartiers dits sensibles, alors que c’est l’un des problèmes fondamentaux qui explique, entre autres, l’explosivité du contexte actuel.
L’urgence est d’interroger leurs postulats, de créer une nouvelle urbanité et de mettre fin au culte du zonage, un « étiquetage » qui fait fuir les populations plus qu’il ne les attire.
Toutefois, la réponse financière à elle seule ne réglera pas tout. Il faut apporter des solutions éducatives, familiales et sociales. Pour l’État, la véritable urgence, mes chers collègues, consiste à prendre des mesures qui soient à la hauteur des enjeux, pour faire en sorte que ces expressions de violence ne se reproduisent plus, pour éviter la fragmentation continue de notre société et pour ne pas atteindre un point de non-retour.
Nous avons posé un diagnostic et formulons inlassablement des propositions concrètes pour remédier aux difficultés : renforcer la protection des élus locaux, toujours en première ligne ; renforcer les moyens des collèges et lycées, où les conditions d’enseignement ne font que se dégrader depuis cinq ans ; accompagner les familles monoparentales ; organiser un comité interministériel des villes et formuler des propositions concrètes et transversales ; enfin, oser traiter la question sécuritaire en envisageant des réformes profondes et le retour d’une véritable police du quotidien sur tout le territoire.