Intervention de Daniel Salmon

Réunion du 18 juillet 2023 à 10h00
Reconstruction des bâtiments dégradés au cours de violences urbaines — Discussion générale

Photo de Daniel SalmonDaniel Salmon :

Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, le drame de la mort de Nahel, tué par un policier à Nanterre le 27 juin, a suscité l’émotion de toute la Nation.

Puis, une colère immense a submergé le pays. Les ressorts profonds de celles-ci sont présents de manière chronique. Ils n’ont toujours pas été clairement analysés, donc compris, alors que c’est l’une des conditions pour apporter des réponses et éviter qu’une telle situation ne se reproduise.

Une partie de l’expression de cette colère s’est cristallisée dans la casse, le pillage, la violence. Nous sommes pris de vertige face à cette autodestruction.

Bien sûr, rien ne peut justifier cette violence, les intimidations, les agressions, la destruction de commerces et de bâtiments publics. Les écologistes ont tout de suite condamné fermement ces modes d’action violents. Ils ont condamné les attaques inqualifiables qu’ont subies des élus de la République, de nouveau en première ligne.

Mais rappelons que les forces de l’ordre, malgré des missions de plus en plus difficiles, se doivent d’avoir des pratiques exemplaires dans chacun de leurs actes du quotidien, car l’exemplarité est le meilleur rempart de la démocratie. La violence légitime ne doit en aucun cas sombrer dans la violence injustifiée.

Alors que les émeutes urbaines sont calmées pour le moment, tout le monde est d’accord sur la nécessité de reconstruire, et vite !

Une école, un centre de loisirs, une salle des fêtes ou un service d’état civil constituent des services essentiels. Les élus des communes touchées par ces émeutes attendent des assouplissements et l’accélération de procédures afin d’engager au plus vite les chantiers de rénovation ou de reconstruction.

Précisons dans un premier temps que nous déplorons fortement la volonté du Gouvernement de faire passer ces dispositifs à travers une loi d’habilitation, qui n’apporte pas de gain de temps et contraint encore une fois les parlementaires dans leur droit d’amendement.

Si les délais de procédure en matière d’urbanisme et de publicité des marchés publics sont raccourcis, la question de la disponibilité des matériaux et des entreprises reste entière. Nous lançons également quelques alertes.

Monsieur le ministre, la qualité du bâti reconstruit est primordiale. Reconstruire à l’identique serait préjudiciable si les exigences de performances environnementales, notamment thermiques, mais aussi de fonctionnalité n’étaient pas réinterrogées. Attention à ne pas confondre vitesse et précipitation !

Par ailleurs, le texte tend à déroger aux règles de passation et de dévolution des marchés publics : si nous entendons la nécessité de cette mesure, il importe que l’État assure un contrôle strict, afin d’éviter les dérives et de prévenir d’éventuels conflits d’intérêts.

Au final, nous l’avons dit, ce texte est une réponse partielle et court-termiste. Certes, elle est nécessaire et attendue par les élus locaux ; c’est pourquoi nous la voterons. Mais elle ne constitue en rien un début d’analyse des causes structurelles des événements, ce qui permettrait de fixer un cap. Sur ce point, il n’y a aucune réponse ni aucune méthode de la part du Président de la République et du Gouvernement.

Certes, depuis 2005, la politique de la ville a apporté quelques réponses. Mais les actions se sont concentrées sur de la rénovation urbaine. Je pense par exemple au nouveau programme de renouvellement urbain lancé en 2014. Cependant, le plus souvent, ces rénovations ont été menées sans les habitants, voire leur ont été imposées, et la question de l’accompagnement social a été mise de côté.

En France, la croyance selon laquelle le social se règle par le spatial est profondément ancrée. La rénovation a permis de changer le visage de nombreux quartiers, mais sur l’école, sur les discriminations, sur l’accès à l’emploi, sur le rapport à la police, sur la concentration d’inégalités, d’injustices, de frustrations et d’échecs et sur la relégation, les problématiques restent entières.

La sociologue et urbaniste Marie-Hélène Bacqué, autrice en 2013 d’un rapport sur la politique de la ville, souligne la perte de sa substance sociale. Cette politique a été bureaucratisée, et les professionnels et associations qui y contribuent sont aujourd’hui largement épuisés par les logiques de concurrence et d’appel d’offres.

À quand un grand plan de services publics dans les quartiers populaires ? À quand la coconstruction avec les habitants des politiques de transformation sociale ? À quand une réforme profonde de l’institution policière afin qu’elle retrouve un ancrage local et un rôle de gardien de la paix ?

À partir de ces quartiers se posent des questions centrales pour la société française : celle de l’égalité, celle de la démocratie, celle de la gestion de la crise climatique, qui s’y fera sentir plus fortement qu’ailleurs, et celle de notre héritage colonial. Pour toutes les embrasser, il faut de la volonté et du courage politique. Nous les attendons.

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