Intervention de Laure Darcos

Réunion du 18 juillet 2023 à 10h00
Reconstruction des bâtiments dégradés au cours de violences urbaines — Discussion générale

Photo de Laure DarcosLaure Darcos :

Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, durant plus d’une semaine, la France s’est trouvée plongée dans le chaos après la mort de Nahel à Nanterre. Durant plus d’une semaine, de très nombreuses villes ont été otages de la violence inouïe des émeutiers, qui n’attendaient qu’une occasion pour laisser libre cours à leur haine de notre pays et de ses institutions.

Il fallait en découdre avec les forces de l’ordre et mettre à terre les édifices publics représentatifs de cette France qu’ils ne respectent pas et dont ils ignorent tous les codes collectifs.

À peine les dernières fumées d’incendie dissipées, certains observateurs se sont livrés à des critiques absurdes : nous aurions abandonné les quartiers populaires et méprisé ceux qui y vivent péniblement, victimes de la pauvreté, des discriminations et du racisme. Or c’est tout l’inverse : tous les élus le savent bien.

Mon département, l’Essonne, a été le théâtre de violents affrontements et a connu son lot de dégradations et de pillages. Mairies, écoles, médiathèques, maisons de quartier, postes de police municipale, commerces, restaurants, bus et voitures : rien n’a échappé aux destructions. Mais les maires ont eu l’intelligence collective de ne pas trop en faire état sur les réseaux sociaux et dans les médias, pour éviter d’exciter ces jeunes, qui faisaient entre eux de la surenchère sur Snapchat d’un quartier à l’autre.

Rien ne justifie un tel déchaînement de violence contre les personnes et les biens.

Aujourd’hui, le constat est amer, et la colère des élus de nos communes est d’autant plus légitime que les émeutiers ont voulu faire table rase des services publics, pourtant si indispensables à la population, y compris à eux-mêmes. C’est la preuve supplémentaire de leur aveuglement.

Nos écoles, lieux d’apprentissage du vivre ensemble et de la transmission des savoirs, ont été la cible délibérée des voyous. Ces écoles, où les enfants apprennent à user de la raison et à s’exercer à l’esprit critique sous le regard bienveillant de leurs professeurs, hussards de la République, abandonnés depuis longtemps par leur ministère !

Et pourtant, selon le célèbre pédopsychiatre Boris Cyrulnik, interrogé dans Le Point la semaine dernière : « Ces enfants sont désespérés, car ils ne sont pas tutorisés. » Pour ce spécialiste de la toute petite enfance, ces jeunes désécurisés obéissent à des rituels claniques. Seule l’éducation peut les sauver.

Le plus triste est que ces délinquants ont surtout puni leurs petits frères et petites sœurs, qui, ne pouvant pas partir en vacances cet été, seront privés des activités culturelles et ludiques que les maisons de quartier et les médiathèques leur auraient offertes.

Le coût des dommages est insupportable pour nos communes et pour les professionnels. France Assureurs estime qu’il est trois fois supérieur à celui des sinistres occasionnés par les quatre semaines d’émeutes de l’automne 2005.

Dix jours après le début des violences urbaines, plus de 11 000 sinistres ont été déclarés, pour un coût total de 650 millions d’euros, dont 227, 5 millions pour les biens des collectivités territoriales et 357, 5 millions pour ceux des professionnels.

Dans ce contexte, la Première ministre a adressé une circulaire aux préfets, le 5 juillet dernier, afin d’accélérer les procédures de reconstruction et de réparation. Je salue cette initiative, dont l’objectif était d’éviter que des interprétations trop strictes de notre législation relative aux procédures d’urbanisme et aux règles de la commande publique n’entravent la dynamique de reconstruction.

L’exigence de célérité doit prévaloir sur l’application tatillonne des normes, dont notre pays s’est fait une spécialité.

Le projet de loi que le Gouvernement soumet à l’examen du Sénat aujourd’hui comporte trois articles d’habilitation à légiférer par ordonnance dans le champ des règles d’urbanisme, de la commande publique et du financement de la reconstruction.

L’article 1er a pour objet de faciliter la reconstruction à l’identique, les travaux immédiats et la réduction des délais. L’habilitation prévoit notamment la possibilité pour les reconstructions à l’identique d’appliquer les règles d’urbanisme en vigueur au moment de la délivrance de l’autorisation d’urbanisme initiale, ainsi que la faculté de démarrer les travaux de reconstruction dès le dépôt de la nouvelle demande.

L’article 2 a pour objet d’autoriser à déroger aux règles de passation et de dévolution des marchés publics et aux règles de recours aux marchés globaux prévues par le code de la commande publique. Ainsi, il sera permis aux maîtres d’ouvrage publics de conclure des marchés ou des lots d’un marché sans publicité, mais avec mise en concurrence préalable, pour les travaux inférieurs à 1 million d’euros hors taxes, et de s’affranchir de l’obligation d’allotissement, afin de pouvoir confier à un même opérateur un marché global.

Enfin, l’habilitation de l’article 3 prévoit la possibilité de subventionner les collectivités au-delà du plafond de 80 %, de déroger au plafonnement des fonds de concours versés entre établissements publics de coopération intercommunale (EPCI) et communes, et d’accélérer les versements du FCTVA.

Indéniablement, de telles dispositions sont de nature à répondre à la demande des élus locaux, qui veulent rendre de nouveau accessibles à leurs administrés les services publics de proximité dont ils ont tant besoin. Le Sénat est là pour les entendre et les soutenir. Notre groupe se prononcera donc en faveur de ce texte.

La reconstruction achevée, nous ne pourrons pas faire l’économie d’une réflexion sur la prévention de cette délinquance, de plus en plus précoce, sur la nécessité de restaurer l’autorité de l’État dans les quartiers gangrénés par le trafic de drogue, sur le besoin d’éducation, y compris des parents, sur la nécessité de la sanction et de la réparation, ainsi que sur l’accompagnement global des personnes déclassées.

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