Intervention de Agnès Pannier-Runacher

Office parlementaire d'évaluation des choix scientifiques et technologiques — Réunion du 24 mai 2023 à 13h40
Audition de Mme Agnès Pannier-runacher ministre de la transition énergétique sur la sobriété énergétique

Agnès Pannier-Runacher, ministre de la Transition énergétique :

Merci beaucoup Monsieur le président, chère Olga Givernet, cher Stéphane Piednoir. Mesdames et Messieurs les membres de l'Office, je vous remercie de l'organisation de cette audition consacrée à la sobriété énergétique, qui est l'un des quatre piliers de notre politique énergétique.

La sobriété repose sur des changements de comportement et non sur des paris technologiques. C'est probablement le levier le plus rapide et le moins coûteux à mettre en oeuvre. Néanmoins, la sobriété reposant sur les comportements et sur la culture, elle pose d'autres questions que l'efficacité énergétique ou le déploiement des énergies renouvelables. L'enjeu est de savoir comment nous pouvons inciter à une évolution des modes de consommation des entreprises, des collectivités et des individus.

Avant de vous exposer notre stratégie et notre action en la matière, je souhaiterais les replacer dans leur contexte climatique. 2022 a été une année de bascule. Au niveau énergétique, la guerre en Ukraine a mis à jour la dépendance de notre pays et de notre continent aux énergies fossiles. Au niveau climatique, je n'ai pas besoin de recenser les épisodes de sécheresse, de canicule, de « méga feux » et l'ensemble des éléments visibles du dérèglement climatique.

Dans ce contexte, j'ai décidé, à l'été 2022, d'élaborer un plan de sobriété énergétique. Ce plan était conçu pour faciliter le passage de l'hiver, mais il ne s'y limitait pas. Il constitue la première marche vers l'objectif de réduction de 40 à 50 % de notre consommation d'énergie, conformément au scénario défini par les experts de RTE, afin d'atteindre la neutralité carbone d'ici 2050.

Réduire la consommation énergétique ne se décrète pas, comme ont dû le confirmer vos travaux. Le plan de sobriété énergétique est donc fondé sur trois principes.

Tout d'abord, l'État doit être exemplaire, sans quoi les acteurs économiques, les collectivités locales et les Français ne consentiraient pas à faire évoluer leurs comportements.

Ensuite, nous demandons aux grands acteurs, que ce soient des collectivités territoriales, des administrations ou des entreprises, de faire les plus grands efforts de réduction de consommation. Cette approche vise l'exemplarité, mais aussi l'efficacité. En effet, ces acteurs suscitent le plus grand nombre de déplacements sur le territoire, à l'occasion des déplacements domicile-travail comme du fait de leurs activités, et occupent la plus grande surface habitable.

Enfin, nous partons du terrain et de la réalité des usages. Notre approche fait le choix de l'incitation, de la responsabilisation et de la transparence, plutôt que d'une coercition indéterminée, consistant à faire une loi générale sans penser à son adaptation. En effet, la loi seule ne suffit pas, a fortiori en matière de comportements et de culture. Ainsi, l'obligation de baisser le chauffage en hiver à 19 degrés Celsius, qui figure pourtant dans notre arsenal législatif depuis 1978, n'a jamais été appliquée.

Notre méthode est celle d'une co-construction autour de dix groupes de travail sectoriels réunissant plus de 300 fédérations professionnelles, des experts, des associations environnementales et des élus locaux. Elle permet de couvrir les principaux enjeux de la sobriété énergétique pour l'administration, les collectivités territoriales et les grandes entreprises, dans le secteur du bâtiment, du sport et de la culture.

Après plusieurs mois de concertation, j'ai présenté le 6 octobre 2022, aux côtés de la Première ministre, un plan de sobriété dans l'objectif de baisser de plus de 10 % notre consommation énergétique d'ici fin 2024. Ce plan a été accueilli avec beaucoup de circonspection, notamment à l'égard de son positionnement et de ses objectifs.

Outre les nombreux engagements volontaires des différents secteurs, il a cependant conduit à l'adoption de plusieurs mesures réglementaires, notamment pour mettre fin au gaspillage énergétique et favoriser un engagement identique de tous les acteurs. En effet, lorsque certains ne jouent pas le jeu, au détriment d'autres, il est nécessaire de définir des règles communes.

Parmi ces mesures j'en citerai cinq.

Les deux décrets du 5 octobre 2022 imposent la fermeture des portes des locaux climatisés ou chauffés, afin d'éviter la déperdition énergétique, et l'extinction nocturne des publicités lumineuses. Par ailleurs, le décret du 18 octobre 2022 impose l'extinction des publicités lumineuses en cas de pic de consommation d'électricité, c'est-à-dire en cas de signal EcoWatt rouge. De plus, le décret dit « BACS » impose des systèmes de pilotage technique des bâtiments. Enfin, un décret publié le mois dernier permet une suspension temporaire de l'obligation de l'eau chaude sanitaire dans les bâtiments tertiaires.

Nous avons également mis en place des mesures de soutien pour accompagner les Français. La sobriété ne supposant pas d'investissements, la frontière avec l'efficacité énergétique peut être poreuse. Néanmoins, les accompagnements en matière d'ingénierie et de construction de programmes sont utiles.

Nous avons ainsi accompagné les collectivités locales en lançant le programme ACTEE+ (action des collectivités territoriales pour l'efficacité énergétique). Doté de 220 millions d'euros, il permet de réaliser des diagnostics sur l'éclairage ou la gestion des piscines. Pour les TPE-PME, nous avons lancé, avec CCI France, CMA France et La Poste, le programme « Baisse tes Watts », doté de 26 millions d'euros. Pour accompagner les particuliers, nous avons revalorisé certains certificats d'économie d'énergie, afin de mieux soutenir les changements de modes de chauffage au fuel ou le fait de mieux piloter le chauffage domestique. Nous avons également lancé un plan covoiturage et un plan vélo, assortis de certificats d'économie d'énergie, pour inciter au passage vers une économie plus durable. Nous avons enfin accentué le soutien à la rénovation énergétique au travers du dispositif MaPrimeRénov'.

Grâce à ces mesures et à la communication gouvernementale, les résultats ont été exceptionnels : partout en France des efforts ont été accomplis pour baisser le chauffage, limiter les éclairages et revoir les habitudes de transport et de consommation.

Notre consommation d'électricité globale a baissé de 8 % et notre consommation de gaz de 16 %, après correction des effets météo.

Par ailleurs, nous avons baissé notre consommation combinée de gaz et d'électricité de près de 12 % l'hiver dernier. Nous n'avons pas de trace de trajectoires équivalentes dans les cinquante dernières années.

Nos émissions de gaz à effet de serre ont baissé de 8,5 % au quatrième trimestre. Elles étaient étales durant les trois premiers, alors que nous avions eu recours à plus de gaz dans le contexte de la crise climatique. En particulier, les émissions ont baissé de 15 % dans le secteur des bâtiments sur toute l'année. Ce résultat est intéressant car il dépend très peu de l'activité économique.

Selon le rapport de RTE sur le passage de l'hiver, la mobilisation des Français en faveur de la sobriété a permis d'éviter huit signaux EcoWatt orange et douze signaux EcoWatt rouge. Or, le signal EcoWatt rouge entraîne des mesures de restriction de l'électricité et de baisse de tension pouvant déboucher sur des délestages.

Mieux encore, le 12 décembre 2022, soit durant le pic hivernal théorique de consommation énergétique, l'équivalent de la production de sept réacteurs nucléaires a été économisé. Pour rappel, le programme de relance du nucléaire porte sur six réacteurs, certes plus puissants.

En somme, nous avons su faire en trois mois ce que notre pays n'a pas su faire en trente ans.

Je citerai quelques exemples d'application du plan de sobriété énergétique.

Tout d'abord, les consignes de température ont été très largement respectées dans les logements et le secteur tertiaire. La baisse drastique des consommations résulte principalement de cette mesure. Ainsi, 92 % des collectivités territoriales ont baissé leur chauffage, 76 % ont réduit la période de chauffe et 86 % des gestionnaires d'infrastructures sportives ont diminué la température de chauffage.

Ensuite, des efforts importants ont été faits concernant l'éclairage. Les éclairages ornementaux des bâtiments publics sont désormais, sauf exception, éteints entre 22 heures et 6 heures.

Enfin, les premiers efforts ont été engagés pour limiter la consommation de carburant et promouvoir le télétravail organisé et concerté. La circulaire signée par la Première ministre début août demandait aux agents en fonction de rouler à 110 km/h sur autoroute, hors mission d'intervention d'urgence.

Afin de montrer l'exemple et d'en mesurer l'utilité, j'ai mené au sein de mon ministère une expérimentation concernant le télétravail, visant à mesurer la baisse de la consommation énergétique des bâtiments lorsqu'ils sont totalement mis à l'arrêt lors de week-ends prolongés. En regard, nous avons mesuré l'effet rebond potentiel chez les agents publics qui acceptaient de communiquer leurs données de consommation.

Les premiers résultats de cette étude menée par l'Institut français pour la performance du bâtiment (IFPEB) et l'ADEME sont très positifs. Nous avons ainsi fermé des bâtiments à Paris et en province, en examinant aussi différentes situations liées aux transports en commun. L'étude nous a renseignés sur les bonnes pratiques à adopter pour que le télétravail puisse entraîner une baisse de la consommation énergétique.

Grâce à ce plan, nous avons engagé la France sur une trajectoire de baisse de la consommation et contribué à rendre acceptable le terme « sobriété » au sein des politiques de transition énergétique et écologique. Mon collègue Christophe Béchu a mis en place, de son côté, un plan de sobriété sur l'eau. Nous aurons besoin de sobriété pour les matières premières, les intrants consommés, mais aussi le foncier, comme le préconise déjà l'objectif Zéro artificialisation nette (ZAN).

Une baisse cruciale de la consommation est nécessaire pour atteindre nos objectifs climatiques, comme nous l'a encore montré cette semaine le rapport de la mission de Jean Pisani-Ferry sur les incidences économiques de l'action pour le climat. Celui-ci énonce que, d'ici 2030, « la transformation reposera principalement sur la substitution de capital aux énergies fossiles : la sobriété contribuera à la réduction des émissions », mais pour 15 % environ, en tout cas pour moins de 20 %. Nous faisons nôtre cet objectif. Il nous faut adopter l'approche la plus scientifique et la plus expérimentale possible pour avancer.

Le rapport précise aussi que « la sobriété n'est pas nécessairement synonyme de décroissance et peut de plus être source de bien-être ». Nous devons donc approfondir les mesures de sobriété pour les inscrire dans le temps. C'est pourquoi, lors du Conseil de planification écologique de janvier 2023, le Président de la République a annoncé la préparation d'un deuxième plan de sobriété.

Ce plan a été engagé dès mars par une large concertation avec les collectivités territoriales, les corps intermédiaires, les experts, les acteurs économiques, les associations environnementales et les administrations. Les différents groupes de travail sectoriels ont été réunis plusieurs fois.

La consommation énergétique a continué de baisser depuis le début de l'année, y compris pour les consommateurs protégés par le bouclier énergétique, qui ne sont pas soumis à la volatilité des prix. En revanche, deux frustrations subsistent.

Le numérique reste un angle mort de notre politique de sobriété. En effet, il est très difficile d'évaluer la consommation liée au numérique et l'impact énergétique que peut avoir la conception d'applications au sein des grandes entreprises (ERP).

La baisse de la consommation de carburant n'a pas été au rendez-vous. En effet, l'attention s'est plutôt portée sur l'électricité et le gaz. Cet élément doit être abordé et renforcé.

La sobriété doit contribuer à l'atteinte de l'objectif de réduction de 30 % de consommation d'énergie finale en 2030 par rapport à 2012. Cet objectif est fixé par la directive européenne sur l'efficacité énergétique, en cours de finalisation.

La deuxième étape du plan de sobriété sera dévoilée mi-juin. Elle vaudra pour 2023-2024, mais n'a pas prétention à aller au-delà. Elle mettra l'accent sur deux sujets.

D'une part, l'intégration d'un volet sobriété estivale, insistant sur les bons gestes à adopter pour réduire sa consommation pendant l'été.

D'autre part, l'approfondissement de l'implication des grands acteurs, notamment les grandes entreprises. Je leur ai demandé d'adopter en conseil d'administration des objectifs chiffrés de baisse de leur consommation, puis de les présenter si possible en comité social et économique (CSE), afin de leur donner une plus grande force juridique, ainsi que de les publier sur internet pour les rendre opposables, au moins d'un point de vue réputationnel. Par ailleurs, les entreprises doivent développer le télétravail et examiner la possibilité de faire de la question de la vitesse des salariés sur les routes un élément de dialogue social.

A moyen terme, nous devons travailler sur les co-bénéfices de la sobriété sur la santé ou sur la biodiversité. Ce sera l'objet de la LPEC et ce sera au coeur des activités du groupe de travail « sobriété ». Il faut rendre la sobriété désirable. Je citerai deux exemples.

Tout d'abord, 40 % des trajets en ville s'effectuent sur moins de cinq kilomètres. Or, les médecins indiquent qu'il faudrait faire une demi-heure d'activité sportive légèrement soutenue par jour. Ainsi, il est possible d'abandonner la voiture pour marcher ou faire du vélo. Cependant, il faut créer une habitude et rendre ces comportements désirables. Il faut également mettre en place les infrastructures adéquates, par exemple pour garantir la sécurité des trajets cyclistes.

Ensuite, l'éclairage public nocturne nuit fortement à la biodiversité. Dans un certain nombre de communes rurales ou périphériques, cette nuisance est directement mesurable. Si certains enjeux relatifs à la biodiversité sont planétaires et multifactoriels, le bénéfice d'une réduction des éclairages publics est directement visible.

Par ailleurs, l'écoconception des politiques publiques doit être renforcée. Chaque fois que nous construisons une nouvelle école, nous devons réfléchir à ses implications énergétiques ou à sa desserte par les transports en commun. L'écoconception des politiques publiques est d'abord un sujet national relevant du législateur, mais sa dimension est également locale.

Aussi, la gouvernance locale doit pouvoir être adaptée en fonction des situations. Au sein des groupes de travail locaux consacrés à la sobriété, un élu de l'association France urbaine avait par exemple souhaité étaler les horaires d'ouverture des écoles, des usines ou des bureaux, afin de favoriser la sobriété des transports et éviter les pics de voyageurs.

La question est très judicieuse, mais la réponse très complexe à mettre en oeuvre. Les élus locaux n'ont la main ni sur l'Éducation nationale, ni sur les horaires d'ouverture des entreprises. Il ne suffit pas d'étaler les horaires d'ouverture entre 8 et 9 heures du matin. Sur un tel sujet, nous sommes confrontés à la granularité du réel.

A minima, cela pose la question de la gouvernance locale et de la contractualisation. Ainsi, nous entrons dans une planification de la sobriété bien plus ambitieuse.

Mesdames et Messieurs, vous aurez compris qu'après le sprint du premier plan de sobriété, nous nous engageons désormais dans un marathon. Celui-ci est crucial pour faire face au défi climatique.

Aucun commentaire n'a encore été formulé sur cette intervention.

Inscription
ou
Connexion