Nous avons l'honneur d'accueillir Mme Agnès Pannier-Runacher, ministre de la Transition énergétique. Madame la Ministre, votre présence devant l'Office parlementaire d'évaluation des choix scientifiques et technologiques (OPECST) atteste de votre engagement sans faille en faveur de la sobriété énergétique. Souvent noyé dans un flot de malentendus, ce sujet a surgi au grand jour ces derniers mois.
L'annonce faite au coeur de l'été dernier de la préparation d'un ambitieux plan de sobriété a d'abord été accueillie par une vague de scepticisme. Cependant, face aux difficultés de notre approvisionnement électrique, notre nation a réussi à naviguer habilement dans les eaux tumultueuses de l'hiver, évitant ainsi les coupures et les délestages. Vous avez ainsi prouvé que la sobriété peut être une arme puissante et efficace pour atteindre les objectifs de réduction de la consommation énergétique et reprendre le contrôle de notre destin énergétique.
Le temps de cette audition étant limité, je passe immédiatement la parole à nos deux collègues rapporteurs de l'étude que l'Office a engagée sur la sobriété énergétique pour un bref propos introductif.
Madame la Ministre, nous sommes très honorés de vous accueillir aujourd'hui pour cette audition qui s'inscrit dans le cadre des travaux que je mène avec Olga Givernet depuis l'automne dernier au nom de l'Office. La commission du développement durable et de l'aménagement du territoire de l'Assemblée nationale a en effet saisi l'OPECST d'une étude sur « les implications en matière de recherche et d'innovation technologique de l'objectif de sobriété énergétique ».
Nous avons d'ores et déjà entendu plus d'une cinquantaine d'acteurs venant du monde industriel, des start-up, de la recherche, de l'université, du milieu associatif et des différentes structures qui réfléchissent à cette notion de sobriété aux contours parfois flous.
Le Gouvernement a mené dans ce domaine une action résolue, concrétisée par la présentation, le 6 octobre dernier, du plan de sobriété énergétique, à l'issue d'une phase de concertation avec les acteurs économiques, les représentants du monde associatif, des énergéticiens, des experts et des élus.
Il s'agissait avant tout de faire face à l'urgence de la crise énergétique européenne provoquée en particulier par l'agression russe en Ukraine et aggravée, dans notre pays, par la découverte du phénomène de corrosion sous contrainte dans certains de nos réacteurs, ayant nécessité leur arrêt. Ces problèmes de corrosion ont donné lieu à une audition publique de l'Office le 27 octobre dernier.
Récemment, le Gouvernement a annoncé une nouvelle phase du plan de sobriété énergétique. Par ailleurs, l'examen de la future loi de programmation de l'énergie et du climat (LPEC), à l'automne prochain sans doute, donnera l'occasion aux parlementaires de débattre de la sobriété énergétique et surtout d'envisager les voies et moyens d'y parvenir.
En effet, à côté de la transition vers les énergies décarbonées, renouvelables ou nucléaires, et de l'efficacité énergétique visant à limiter la consommation énergétique pour un service rendu identique, la sobriété apparaît comme un troisième pilier indispensable à la réussite de la transition énergétique et à l'atteinte de nos ambitieux objectifs climatiques. Il ne s'agit plus seulement de faire face à une situation d'urgence comme lors des différents chocs pétroliers des années 1970, mais de prendre en compte la sobriété dans une dimension de long terme.
Avant de passer la parole à Olga Givernet, je rappelle que cette audition est filmée, diffusée en direct et qu'elle sera disponible sur le site internet du Sénat.
Madame la Ministre, nous sommes honorés de vous entendre sur ce sujet fondamental pour la transition énergétique française et la lutte contre le réchauffement climatique. La sobriété n'est ni la décroissance, ni l'écologie punitive, mais constitue de toute évidence un pilier fondamental de notre stratégie de sortie des énergies fossiles et d'efficacité énergétique, comme l'a souligné le Président de la République dans son discours de Belfort.
Ce constat n'allait pourtant pas de soi il y a quelques mois, lorsque le Gouvernement a présenté son plan de sobriété énergétique. Celui-ci visait à éviter les pénuries de gaz et les coupures d'électricité cet hiver. Il a fallu réduire volontairement tous les postes de consommation : chauffage, éclairage, déplacements ou utilisation du numérique. L'objectif est de réduire notre consommation d'énergie de 10 % d'ici à 2024. Vous aurez l'occasion, Madame la Ministre, de nous présenter un retour d'expérience sur ce sujet.
Malgré les nombreuses critiques formulées à l'époque, les uns jugeant ce plan superflu, les autres insuffisant, tous les scénarios de prospective font de la sobriété un levier fondamental pour atteindre la neutralité carbone. Plusieurs études récentes publiées par l'Agence internationale de l'énergie, l'ADEME (Agence de la transition écologique), RTE (Réseau de transport d'électricité) et France Stratégie montrent qu'elle permettra de limiter la pression, notamment sur les métaux critiques nécessaires à la production de panneaux solaires et de batteries.
La sobriété sera tout aussi indispensable pour bénéficier pleinement de l'amélioration de l'efficacité énergétique. En effet, elle permet d'éviter les effets rebonds qui se produisent lorsqu'un gain d'efficacité dans l'utilisation des ressources entraîne une augmentation de la consommation de celles-ci.
Il est ainsi essentiel que la sobriété énergétique trouve toute sa place dans les débats sur la stratégie énergétique et climatique française, en particulier à l'occasion de l'examen de la future LPEC. Je suis donc particulièrement honorée d'en piloter le groupe de travail.
Merci beaucoup Monsieur le président, chère Olga Givernet, cher Stéphane Piednoir. Mesdames et Messieurs les membres de l'Office, je vous remercie de l'organisation de cette audition consacrée à la sobriété énergétique, qui est l'un des quatre piliers de notre politique énergétique.
La sobriété repose sur des changements de comportement et non sur des paris technologiques. C'est probablement le levier le plus rapide et le moins coûteux à mettre en oeuvre. Néanmoins, la sobriété reposant sur les comportements et sur la culture, elle pose d'autres questions que l'efficacité énergétique ou le déploiement des énergies renouvelables. L'enjeu est de savoir comment nous pouvons inciter à une évolution des modes de consommation des entreprises, des collectivités et des individus.
Avant de vous exposer notre stratégie et notre action en la matière, je souhaiterais les replacer dans leur contexte climatique. 2022 a été une année de bascule. Au niveau énergétique, la guerre en Ukraine a mis à jour la dépendance de notre pays et de notre continent aux énergies fossiles. Au niveau climatique, je n'ai pas besoin de recenser les épisodes de sécheresse, de canicule, de « méga feux » et l'ensemble des éléments visibles du dérèglement climatique.
Dans ce contexte, j'ai décidé, à l'été 2022, d'élaborer un plan de sobriété énergétique. Ce plan était conçu pour faciliter le passage de l'hiver, mais il ne s'y limitait pas. Il constitue la première marche vers l'objectif de réduction de 40 à 50 % de notre consommation d'énergie, conformément au scénario défini par les experts de RTE, afin d'atteindre la neutralité carbone d'ici 2050.
Réduire la consommation énergétique ne se décrète pas, comme ont dû le confirmer vos travaux. Le plan de sobriété énergétique est donc fondé sur trois principes.
Tout d'abord, l'État doit être exemplaire, sans quoi les acteurs économiques, les collectivités locales et les Français ne consentiraient pas à faire évoluer leurs comportements.
Ensuite, nous demandons aux grands acteurs, que ce soient des collectivités territoriales, des administrations ou des entreprises, de faire les plus grands efforts de réduction de consommation. Cette approche vise l'exemplarité, mais aussi l'efficacité. En effet, ces acteurs suscitent le plus grand nombre de déplacements sur le territoire, à l'occasion des déplacements domicile-travail comme du fait de leurs activités, et occupent la plus grande surface habitable.
Enfin, nous partons du terrain et de la réalité des usages. Notre approche fait le choix de l'incitation, de la responsabilisation et de la transparence, plutôt que d'une coercition indéterminée, consistant à faire une loi générale sans penser à son adaptation. En effet, la loi seule ne suffit pas, a fortiori en matière de comportements et de culture. Ainsi, l'obligation de baisser le chauffage en hiver à 19 degrés Celsius, qui figure pourtant dans notre arsenal législatif depuis 1978, n'a jamais été appliquée.
Notre méthode est celle d'une co-construction autour de dix groupes de travail sectoriels réunissant plus de 300 fédérations professionnelles, des experts, des associations environnementales et des élus locaux. Elle permet de couvrir les principaux enjeux de la sobriété énergétique pour l'administration, les collectivités territoriales et les grandes entreprises, dans le secteur du bâtiment, du sport et de la culture.
Après plusieurs mois de concertation, j'ai présenté le 6 octobre 2022, aux côtés de la Première ministre, un plan de sobriété dans l'objectif de baisser de plus de 10 % notre consommation énergétique d'ici fin 2024. Ce plan a été accueilli avec beaucoup de circonspection, notamment à l'égard de son positionnement et de ses objectifs.
Outre les nombreux engagements volontaires des différents secteurs, il a cependant conduit à l'adoption de plusieurs mesures réglementaires, notamment pour mettre fin au gaspillage énergétique et favoriser un engagement identique de tous les acteurs. En effet, lorsque certains ne jouent pas le jeu, au détriment d'autres, il est nécessaire de définir des règles communes.
Parmi ces mesures j'en citerai cinq.
Les deux décrets du 5 octobre 2022 imposent la fermeture des portes des locaux climatisés ou chauffés, afin d'éviter la déperdition énergétique, et l'extinction nocturne des publicités lumineuses. Par ailleurs, le décret du 18 octobre 2022 impose l'extinction des publicités lumineuses en cas de pic de consommation d'électricité, c'est-à-dire en cas de signal EcoWatt rouge. De plus, le décret dit « BACS » impose des systèmes de pilotage technique des bâtiments. Enfin, un décret publié le mois dernier permet une suspension temporaire de l'obligation de l'eau chaude sanitaire dans les bâtiments tertiaires.
Nous avons également mis en place des mesures de soutien pour accompagner les Français. La sobriété ne supposant pas d'investissements, la frontière avec l'efficacité énergétique peut être poreuse. Néanmoins, les accompagnements en matière d'ingénierie et de construction de programmes sont utiles.
Nous avons ainsi accompagné les collectivités locales en lançant le programme ACTEE+ (action des collectivités territoriales pour l'efficacité énergétique). Doté de 220 millions d'euros, il permet de réaliser des diagnostics sur l'éclairage ou la gestion des piscines. Pour les TPE-PME, nous avons lancé, avec CCI France, CMA France et La Poste, le programme « Baisse tes Watts », doté de 26 millions d'euros. Pour accompagner les particuliers, nous avons revalorisé certains certificats d'économie d'énergie, afin de mieux soutenir les changements de modes de chauffage au fuel ou le fait de mieux piloter le chauffage domestique. Nous avons également lancé un plan covoiturage et un plan vélo, assortis de certificats d'économie d'énergie, pour inciter au passage vers une économie plus durable. Nous avons enfin accentué le soutien à la rénovation énergétique au travers du dispositif MaPrimeRénov'.
Grâce à ces mesures et à la communication gouvernementale, les résultats ont été exceptionnels : partout en France des efforts ont été accomplis pour baisser le chauffage, limiter les éclairages et revoir les habitudes de transport et de consommation.
Notre consommation d'électricité globale a baissé de 8 % et notre consommation de gaz de 16 %, après correction des effets météo.
Par ailleurs, nous avons baissé notre consommation combinée de gaz et d'électricité de près de 12 % l'hiver dernier. Nous n'avons pas de trace de trajectoires équivalentes dans les cinquante dernières années.
Nos émissions de gaz à effet de serre ont baissé de 8,5 % au quatrième trimestre. Elles étaient étales durant les trois premiers, alors que nous avions eu recours à plus de gaz dans le contexte de la crise climatique. En particulier, les émissions ont baissé de 15 % dans le secteur des bâtiments sur toute l'année. Ce résultat est intéressant car il dépend très peu de l'activité économique.
Selon le rapport de RTE sur le passage de l'hiver, la mobilisation des Français en faveur de la sobriété a permis d'éviter huit signaux EcoWatt orange et douze signaux EcoWatt rouge. Or, le signal EcoWatt rouge entraîne des mesures de restriction de l'électricité et de baisse de tension pouvant déboucher sur des délestages.
Mieux encore, le 12 décembre 2022, soit durant le pic hivernal théorique de consommation énergétique, l'équivalent de la production de sept réacteurs nucléaires a été économisé. Pour rappel, le programme de relance du nucléaire porte sur six réacteurs, certes plus puissants.
En somme, nous avons su faire en trois mois ce que notre pays n'a pas su faire en trente ans.
Je citerai quelques exemples d'application du plan de sobriété énergétique.
Tout d'abord, les consignes de température ont été très largement respectées dans les logements et le secteur tertiaire. La baisse drastique des consommations résulte principalement de cette mesure. Ainsi, 92 % des collectivités territoriales ont baissé leur chauffage, 76 % ont réduit la période de chauffe et 86 % des gestionnaires d'infrastructures sportives ont diminué la température de chauffage.
Ensuite, des efforts importants ont été faits concernant l'éclairage. Les éclairages ornementaux des bâtiments publics sont désormais, sauf exception, éteints entre 22 heures et 6 heures.
Enfin, les premiers efforts ont été engagés pour limiter la consommation de carburant et promouvoir le télétravail organisé et concerté. La circulaire signée par la Première ministre début août demandait aux agents en fonction de rouler à 110 km/h sur autoroute, hors mission d'intervention d'urgence.
Afin de montrer l'exemple et d'en mesurer l'utilité, j'ai mené au sein de mon ministère une expérimentation concernant le télétravail, visant à mesurer la baisse de la consommation énergétique des bâtiments lorsqu'ils sont totalement mis à l'arrêt lors de week-ends prolongés. En regard, nous avons mesuré l'effet rebond potentiel chez les agents publics qui acceptaient de communiquer leurs données de consommation.
Les premiers résultats de cette étude menée par l'Institut français pour la performance du bâtiment (IFPEB) et l'ADEME sont très positifs. Nous avons ainsi fermé des bâtiments à Paris et en province, en examinant aussi différentes situations liées aux transports en commun. L'étude nous a renseignés sur les bonnes pratiques à adopter pour que le télétravail puisse entraîner une baisse de la consommation énergétique.
Grâce à ce plan, nous avons engagé la France sur une trajectoire de baisse de la consommation et contribué à rendre acceptable le terme « sobriété » au sein des politiques de transition énergétique et écologique. Mon collègue Christophe Béchu a mis en place, de son côté, un plan de sobriété sur l'eau. Nous aurons besoin de sobriété pour les matières premières, les intrants consommés, mais aussi le foncier, comme le préconise déjà l'objectif Zéro artificialisation nette (ZAN).
Une baisse cruciale de la consommation est nécessaire pour atteindre nos objectifs climatiques, comme nous l'a encore montré cette semaine le rapport de la mission de Jean Pisani-Ferry sur les incidences économiques de l'action pour le climat. Celui-ci énonce que, d'ici 2030, « la transformation reposera principalement sur la substitution de capital aux énergies fossiles : la sobriété contribuera à la réduction des émissions », mais pour 15 % environ, en tout cas pour moins de 20 %. Nous faisons nôtre cet objectif. Il nous faut adopter l'approche la plus scientifique et la plus expérimentale possible pour avancer.
Le rapport précise aussi que « la sobriété n'est pas nécessairement synonyme de décroissance et peut de plus être source de bien-être ». Nous devons donc approfondir les mesures de sobriété pour les inscrire dans le temps. C'est pourquoi, lors du Conseil de planification écologique de janvier 2023, le Président de la République a annoncé la préparation d'un deuxième plan de sobriété.
Ce plan a été engagé dès mars par une large concertation avec les collectivités territoriales, les corps intermédiaires, les experts, les acteurs économiques, les associations environnementales et les administrations. Les différents groupes de travail sectoriels ont été réunis plusieurs fois.
La consommation énergétique a continué de baisser depuis le début de l'année, y compris pour les consommateurs protégés par le bouclier énergétique, qui ne sont pas soumis à la volatilité des prix. En revanche, deux frustrations subsistent.
Le numérique reste un angle mort de notre politique de sobriété. En effet, il est très difficile d'évaluer la consommation liée au numérique et l'impact énergétique que peut avoir la conception d'applications au sein des grandes entreprises (ERP).
La baisse de la consommation de carburant n'a pas été au rendez-vous. En effet, l'attention s'est plutôt portée sur l'électricité et le gaz. Cet élément doit être abordé et renforcé.
La sobriété doit contribuer à l'atteinte de l'objectif de réduction de 30 % de consommation d'énergie finale en 2030 par rapport à 2012. Cet objectif est fixé par la directive européenne sur l'efficacité énergétique, en cours de finalisation.
La deuxième étape du plan de sobriété sera dévoilée mi-juin. Elle vaudra pour 2023-2024, mais n'a pas prétention à aller au-delà. Elle mettra l'accent sur deux sujets.
D'une part, l'intégration d'un volet sobriété estivale, insistant sur les bons gestes à adopter pour réduire sa consommation pendant l'été.
D'autre part, l'approfondissement de l'implication des grands acteurs, notamment les grandes entreprises. Je leur ai demandé d'adopter en conseil d'administration des objectifs chiffrés de baisse de leur consommation, puis de les présenter si possible en comité social et économique (CSE), afin de leur donner une plus grande force juridique, ainsi que de les publier sur internet pour les rendre opposables, au moins d'un point de vue réputationnel. Par ailleurs, les entreprises doivent développer le télétravail et examiner la possibilité de faire de la question de la vitesse des salariés sur les routes un élément de dialogue social.
A moyen terme, nous devons travailler sur les co-bénéfices de la sobriété sur la santé ou sur la biodiversité. Ce sera l'objet de la LPEC et ce sera au coeur des activités du groupe de travail « sobriété ». Il faut rendre la sobriété désirable. Je citerai deux exemples.
Tout d'abord, 40 % des trajets en ville s'effectuent sur moins de cinq kilomètres. Or, les médecins indiquent qu'il faudrait faire une demi-heure d'activité sportive légèrement soutenue par jour. Ainsi, il est possible d'abandonner la voiture pour marcher ou faire du vélo. Cependant, il faut créer une habitude et rendre ces comportements désirables. Il faut également mettre en place les infrastructures adéquates, par exemple pour garantir la sécurité des trajets cyclistes.
Ensuite, l'éclairage public nocturne nuit fortement à la biodiversité. Dans un certain nombre de communes rurales ou périphériques, cette nuisance est directement mesurable. Si certains enjeux relatifs à la biodiversité sont planétaires et multifactoriels, le bénéfice d'une réduction des éclairages publics est directement visible.
Par ailleurs, l'écoconception des politiques publiques doit être renforcée. Chaque fois que nous construisons une nouvelle école, nous devons réfléchir à ses implications énergétiques ou à sa desserte par les transports en commun. L'écoconception des politiques publiques est d'abord un sujet national relevant du législateur, mais sa dimension est également locale.
Aussi, la gouvernance locale doit pouvoir être adaptée en fonction des situations. Au sein des groupes de travail locaux consacrés à la sobriété, un élu de l'association France urbaine avait par exemple souhaité étaler les horaires d'ouverture des écoles, des usines ou des bureaux, afin de favoriser la sobriété des transports et éviter les pics de voyageurs.
La question est très judicieuse, mais la réponse très complexe à mettre en oeuvre. Les élus locaux n'ont la main ni sur l'Éducation nationale, ni sur les horaires d'ouverture des entreprises. Il ne suffit pas d'étaler les horaires d'ouverture entre 8 et 9 heures du matin. Sur un tel sujet, nous sommes confrontés à la granularité du réel.
A minima, cela pose la question de la gouvernance locale et de la contractualisation. Ainsi, nous entrons dans une planification de la sobriété bien plus ambitieuse.
Mesdames et Messieurs, vous aurez compris qu'après le sprint du premier plan de sobriété, nous nous engageons désormais dans un marathon. Celui-ci est crucial pour faire face au défi climatique.
Madame la Ministre, vous avez évoqué un certain nombre de points que nous avons relevés lors de nos auditions. Vous soulignez à juste titre le besoin d'organisation et de coordination de nos systèmes. Le besoin d'information est également primordial : des plateformes numériques peuvent aider à prendre des décisions, s'agissant du covoiturage ou du réglage de la ventilation dans les bâtiments par exemple. Les questions d'écoconception et de low tech ont également été évoquées. Prendre en compte l'énergie grise permet, par exemple, de fabriquer des équipements sans gaspillage.
Vous avez parlé de court, de moyen et de long terme. Pourriez-vous évoquer le calendrier, les horaires, la saisonnalité, autant de facteurs qui affectent la production agricole ?
Par ailleurs, la baisse actuelle du prix de l'énergie pourrait occasionner des formes de relâchement sur l'attention portée à la sobriété. Comment pouvons-nous davantage inciter à la sobriété, sachant que les actions menées en France sont relativement inédites au niveau international ? Je tiens à saluer les initiatives du Gouvernement sur ce sujet.
En effet, la notion de sobriété portée par la France est assez spécifique. Si beaucoup de pays ont pris des mesures de sobriété cet hiver, celles-ci sont restées ponctuelles. Au contraire, la France a fait de la sobriété un aspect essentiel de la transition énergétique.
Cette orientation est également partagée par l'Inde, qui présidera la prochaine réunion du G20 au mois de juillet. Nous avons essayé de porter ensemble cette conception de la sobriété dans la déclaration commune du G7, où l'Inde était invitée, afin d'attirer l'attention de nos partenaires sur l'importance de la maîtrise de la consommation d'énergie. Si l'usage de la technologie pour faire baisser la consommation d'énergie est largement admis, l'idée d'interroger nos modèles de consommation ne fait pas l'unanimité au sein du G7. Nous allons donc essayer de porter ce sujet aux niveaux européen et international.
L'effet prix est effectivement important. Ce sujet sera examiné en vue des futures recommandations de politique publique qui seront inscrites dans la LPEC. Il comprend l'examen des niches fiscales brutes, mais aussi du signal prix. Nous devons suivre une ligne de crête entre, d'une part, la préservation du pouvoir d'achat de ceux qui n'ont pas les moyens de sortir facilement des énergies fossiles, et d'autre part l'envoi d'un signal prix qui permette d'inciter à des comportements moins énergivores.
La démarche adoptée par « Fit for 55 » acte qu'aucun secteur ne doit échapper à la prise en compte de son empreinte carbone, y compris le transport maritime international ou l'aviation, secteurs qui ont longtemps été laissés de côté. Tous les secteurs payent-ils le prix réel correspondant à leurs émissions ? Cette question mérite d'être étudiée. De plus, il faut trouver les moyens de faire payer le prix du CO2 à ceux qui en ont les moyens.
Merci, Madame la Ministre, pour vos propos. Nous voyons bien que beaucoup reste à faire. Nous parlons de « la » sobriété alors que celle-ci revêt plusieurs dimensions : structurelle avec l'organisation de l'espace qui relève plutôt des politiques publiques, dimensionnelle avec la question de la communication à destination des usagers, sans parler de la sobriété d'usage et des questions de déplacement.
Vos estimations concernant les baisses de CO2 concordent avec celles de négaWatt. La baisse de 8 % enregistrée l'hiver dernier est similaire à celle observée durant le confinement. Ce résultat est remarquable.
Par ailleurs, je pense que l'acceptabilité des co-bénéfices est extrêmement importante pour le passage à l'acte de l'opinion publique et pour rendre plus pérennes les usages et les comportements. Concernant l'exemplarité de l'État, la gestion technique des bâtiments publics, qui est une obligation légale, n'est absolument pas appliquée. Par exemple, l'extinction du chauffage la nuit n'est jamais programmée, alors qu'il s'agit d'un réflexe dans le secteur privé.
Si la mesure des 19 degrés a bien été respectée, il ne faudrait pas occulter l'impact de l'effet prix. Les ménages ont d'abord pensé en termes de contraintes budgétaires. Par ailleurs, la limitation de la vitesse pourrait provoquer un effet report sur les routes départementales. Le résultat en termes de réduction des émissions pourrait ainsi ne pas être si spectaculaire.
Nous sommes attachés au terme « juste assez », celui de « sobriété » étant assez mal défini et celui de « suffisance » étant trop négativement connoté.
Je partage un grand nombre de vos propos.
Outre l'exemplarité, le développement de la gestion technique des bâtiments publics permet un retour rapide sur investissement. Sa réalisation est en cours au niveau de l'État et devra être déclinée par les collectivités territoriales. Nous nous préoccupons également de l'ingénierie d'accompagnement de ces dernières, afin qu'elles connaissent les coûts et les bénéfices des opérations de rénovation.
Par ailleurs, entre le début et la fin de l'année, nous observons une amélioration massive de l'économie d'énergie réalisée sur des contrats dont les montants sont restés strictement identiques, les prix de l'électricité et du gaz étant couverts par le bouclier énergétique. La consommation d'électricité diminuait de 2 % en début d'année et de 8 à 9 % en fin d'année. Ces chiffres sont plus nets encore pour le gaz.
La communication autour de l'envolée des prix a pu avoir un impact sur l'anticipation du risque d'augmentation de la facture par les ménages. L'effet prix était peut-être psychologique, mais les consommations entre le début et la fin de l'année présentent une véritable différence. L'effet prix est en revanche très net, sur le gaz notamment, dans le monde de l'entreprise, et particulièrement dans le secteur industriel où la baisse de consommation avoisine les 20 %.
Concernant la vitesse sur la route, il faut en effet éviter les effets de report. Néanmoins, nous souhaitons provoquer des changements d'habitudes dans des cadres professionnels accoutumés aux négociations sociales. Cette préoccupation peut entrer en résonance avec la diminution de la consommation de carburant. La réduction de la vitesse permet par exemple à l'employeur de payer moins de carburant. Elle diminue la fatigue des conducteurs et augmente la sécurité au travail. Nous souhaitons que chaque employeur s'interroge sur les meilleures façons d'économiser du carburant en prenant en compte la qualité de vie au travail. Les négociations intégreront aussi d'autres éléments, comme le télétravail, l'organisation des réunions et des déplacements, en fonction des besoins particuliers de l'entreprise.
Je refuse en effet d'imposer une vision parisienne et centralisée de ce qui est bon pour les entreprises. En revanche, nous pouvons poser un cadre de discussion et de négociations et proposer aux employeurs des trajectoires de réduction de leurs empreintes en Scope 1 et 2.
Par ailleurs, concernant la valeur de l'exemplarité, l'État a créé le concours CUBE (Concours usages bâtiment efficace) qui invite une catégorie d'acteurs, écoles, bâtiments publics ou entreprises, à diminuer leur consommation d'énergie à travers le seul prisme de la sobriété. Ces concours ont un fort impact, en entraînant une baisse de 11 % de la consommation d'énergie en moyenne, et jusqu'à 30 % pour les acteurs les plus engagés.
Dans les collèges et lycées, on constate que le taux d'adhésion aux mesures coconstruites autour de l'établissement scolaire dépasse 80 % chez les élèves, qui les répliquent chez eux, et chez les parents d'élèves. Ces démarches montrent que la sobriété peut également servir de catalyseur pour l'élaboration de narratifs et de projets communs au sein d'une organisation. Nous continuerons donc à soutenir ces concours en multipliant les angles et les catégories (TPE, PME, etc.).
Enfin, nous disposons d'une grande masse de données sur la consommation énergétique. Enedis est reconnu comme le meilleur réseau digital au monde, notamment par des experts de Singapour. Un certain nombre d'équipements consommant de l'énergie pourraient faire l'objet d'offres de contrats d'électricité valorisant la sobriété. L'hiver dernier, nous avons modifié le moment de déclenchement automatique des chauffe-eau, ce qui a permis de ne pas devoir appeler une puissance de 2,5 gigawatts. Ce raisonnement peut être étendu au chauffage, aux box internet, etc.
Madame la Ministre, je n'ai pas très bien saisi votre réponse concernant la baisse de la consommation d'électricité et de gaz. La baisse de la consommation de gaz ayant été deux fois plus importante que celle de l'électricité, il apparaît probable que l'explosion des prix a eu plus d'impact que les recommandations gouvernementales. Quels éléments vous font penser l'inverse ?
Le rapport Pisani-Ferry recommande entre 25 et 34 milliards d'euros d'investissement d'ici 2030. Comment comptez-vous concrétiser ce plan, si vous souhaitez le faire, et quelles seront vos priorités d'investissement ?
D'abord, le gaz est beaucoup plus utilisé pour le chauffage que l'électricité, mais beaucoup moins pour d'autres usages. Cet élément explique la baisse plus importante de consommation du gaz chez les acteurs résidentiels par rapport à l'électricité. Je répète que pour les particuliers, le coût du gaz comme celui de l'électricité est resté identique du début à la fin de l'année. Or, en février 2022, les diminutions de consommation combinées avoisinaient 2 %, contre 12 % en décembre. L'effet prix n'est donc pas l'élément d'explication directe de la baisse de consommation des ménages.
Je voudrais vous faire part de quelques remarques concrètes qui m'ont été faites dans ma circonscription.
Tout d'abord, dans la région lyonnaise, les halls des concessionnaires automobiles sont constamment éclairés. Ne faudrait-il pas prendre une mesure claire sur ce sujet ?
Par ailleurs, les consignes de température ne sont pas les mêmes en Italie et en France. L'alliance européenne constituée autour du nucléaire pourrait-elle trouver un équivalent concernant la sobriété, afin que la France bénéficie de l'expérience d'autres pays ?
Lorsque j'étais vice-président d'université, j'ai eu l'honneur de recevoir Stéphane Diagana, qui travaille sur la conception de bâtiments et sur la circulation en leur sein. Or, dans beaucoup de bâtiments, l'ascenseur est directement visible en entrant, contrairement à l'escalier, plus caché. C'est notamment le cas à l'Assemblée nationale. Cet élément pose problème et ignore les co-bénéfices sur la santé.
Vous nous avez parlé de sprint et de marathon pour différencier le premier plan sobriété du second, deux pratiques qui demandent un entraînement complètement différent. Par conséquent, quel retour d'expérience faites-vous sur ce sprint ? Comment faire de la sobriété un mode de vie, de pensée et de conception ? Les sociologues sont-ils associés à la conception de ce deuxième plan de sobriété ? Je vous remercie pour votre action sur ce sujet.
Concernant les halls de concessionnaires, je partage votre avis. Il est indispensable qu'un décret fournisse une règle commune, sur cette question comme sur d'autres. En effet, il ne faut pas que les bons élèves en matière de sobriété soient moins attractifs que leurs concurrents. La question se joue au niveau des filières. Nous avons appliqué ce raisonnement à la grande distribution, afin de recréer un fonctionnement commun moins énergivore. Ainsi, le maintien de mauvaises pratiques sera sanctionné en termes de réputation, d'attractivité, ou plus simplement via des sanctions administratives et financières.
Concernant la question du plan européen de sobriété, je souhaite pousser cette idée, comme lors du G7. Différentes accroches existent dans les textes et la question suscite l'intérêt de la Commission européenne. Néanmoins, aucune politique concrète n'est encore définie. Nous y travaillons avec l'Agence internationale de l'énergie, son directeur général Fatih Birol souhaitant faire de la sobriété l'un des thèmes de sa réunion ministérielle de janvier ou février 2024.
La question de l'écoconception des politiques publiques et des bâtiments rejoint celle du nudge. Il faut rendre la sobriété accessible et facile à appréhender. Par exemple, le déclenchement automatique des vidéos en ligne consomme de l'énergie. La sobriété est la somme d'une multitude de petites actions. Je travaille avec la French Tech Corporate Community, qui réunit les directeurs des services informatiques et technologiques de la plupart des grandes entreprises, pour qu'ils réfléchissent au déploiement des habitudes de sobriété numérique. Nous étudions à la fois l'usage des smartphones ou des ordinateurs et des sujets plus techniques comme la conception des serveurs.
Nous avons besoin en effet de nous appuyer sur des travaux académiques en matière de sobriété. Si quelques associations et personnalités s'intéressent à ce sujet, nous ne disposons pas encore d'un corpus très établi. Si le corpus philosophique est abondant, il faut passer à une approche sociologique visant à rendre désirable une conception plus durable de la vie, en privilégiant par exemple la qualité à la quantité. Ces éléments sont encore peu explorés. Que deviendront le marketing et la publicité dans un monde durable ? Je suis éblouie par les grandes écoles qui s'inscrivent dans la transition écologique et énergétique. Néanmoins, il faut que l'enseignement change en conséquence, par exemple sur le marketing et la publicité.
À l'automne, la Première ministre déclarait que la sobriété et le rationnement étaient de puissants outils de justice sociale. Beaucoup en doutent encore. De plus, comme le montre la science politique, une définition rabotée de la sobriété, résumée à des petits gestes, risque de créer un conflit de cadrage.
Dès lors, comment assurer la conciliation entre sobriété et justice sociale ? Je pense notamment à la mise en place des zones à faibles émissions, qui touchent les citoyens au quotidien de manière très différenciée.
Les incitations à la sobriété énergétique n'ont de chance d'être suivies que si elles s'inscrivent dans un plan d'ensemble de réduction des consommations d'énergie. Comment inciter chacun à fournir des efforts sans vouloir, par exemple, réguler les jets privés ? De même, les publicités pour les avions ou les voitures pourraient être retirées de l'espace public, la vitesse sur l'autoroute réduite. Quid des exonérations fiscales, qui coûtent cher au contribuable et augmentent notre consommation énergétique ? L'exonération totale du kérosène aérien sur les vols domestiques représente 1,3 milliard d'euros de manque à gagner, et celle sur le transport routier 300 à 500 millions d'euros. Nous faisons face à un problème de cohérence entre les discours et les décisions publiques.
Par ailleurs, la gestion thermique des bâtiments est défectueuse, sans parler des installations d'énergie renouvelable. L'État doit donner des signaux forts de son implication dans la transition énergétique.
Sur ce dernier point, l'État a strictement respecté la température de consigne, accéléré son équipement en gestion technique des bâtiments et explore l'installation d'énergies renouvelables, comme la géothermie, pour l'Élysée par exemple. Néanmoins, ces changements prennent un certain temps et relèvent plus de l'efficacité énergétique et de l'utilisation des énergies renouvelables que de la sobriété. Lorsque le plan de sobriété énergétique a été annoncé, beaucoup pensaient qu'il serait peu respecté dans les ministères. Au contraire, il a été strictement appliqué.
Le plan de sobriété énergétique n'est pas une somme d'écogestes. Il passe d'abord par la mobilisation des grandes entreprises, collectivités locales et administrations, avec un reporting et une collecte de données sectorisées, dans le sport par exemple. Ainsi, en Ligue 1, dix-huit ou vingt clubs respectent les consignes d'éclairage du plan. La question du transport des joueurs n'est pas encore résolue, le sujet comportant des enjeux multiples. Cette question qui paraissait anecdotique il y a quelques années est devenue primordiale. De la même manière, dans la culture, les grands spectacles utilisent désormais Enedis, au lieu de générateurs électriques au fuel.
Je partage vos considérations concernant l'équité sociale, qui fait l'objet de plusieurs mesures. « Fit for 55 » ne laisse plus de côté les secteurs aéronautique et maritime : au niveau européen, tous les secteurs payent d'une manière ou d'une autre, et les exigences augmentent chaque année. Je rappelle que « Fit for 55 » représente 3 500 pages de législation. Ce texte est le plus ambitieux et exigeant au monde en matière de transition énergétique et climatique, au point que son applicabilité et son acceptabilité sont contestées par certains. Il faut d'abord le déployer en tenant compte des différences territoriales de consommation d'énergie et de capacité à sortir des énergies fossiles.
Le malus au poids est déjà inclus dans les critères de soutien public. Les exonérations fiscales sur le transport routier donnent lieu à des discussions animées depuis des années. Nous devons tenir compte de l'impact qu'aurait la fin de cette niche fiscale sur les transporteurs. Ces derniers sont loin d'être les personnes profitant le plus de la situation et constituent un maillon assez indispensable de notre approvisionnement énergétique. Il faut les accompagner pour qu'ils diminuent progressivement leur consommation de carburant.
Nous devons penser aux alternatives. Or, nous ne disposons pas aujourd'hui d'une offre pléthorique de transports routiers décarbonés. Nous subventionnons leur émergence, sachant qu'ils coûtent deux à trois fois plus cher que les poids lourds classiques, et tentons d'accompagner la transition énergétique des transporteurs.
Prenons garde à la tentation collective d'adopter des mesures fortes pour avoir les mains propres, tout en déplaçant les problèmes ailleurs dans le monde. Au fond, nous avons exporté la pollution. Cette pseudo-solution est à la fois terriblement hypocrite, destructrice du tissu économique et défavorable aux personnes les plus précaires.
Dans le bassin minier, nous avons perdu des dizaines de milliers d'emplois à la suite de la fermeture des mines ainsi que des restructurations successives de l'industrie lourde et de l'industrie automobile. Ces stigmates se répercutent aujourd'hui sur le nombre de personnes au RSA, sur l'absence de perspective pour les jeunes et sur la dépolitisation.
Certes, mais ce sujet n'a pas grand-chose à voir avec la question initiale.
Nous pouvons, par exemple, choisir de fermer les usines de SUV, mais celles-ci seront reconstruites de l'autre côté de la frontière et des milliers d'emplois de techniciens seront supprimés par cette décision.
Comment avez-vous travaillé sur l'impact du numérique ? Nous lisons souvent qu'il consomme énormément d'électricité. Avez-vous prévu de lancer une étude sur cette question ?
Vous avez également parlé de communication, en lien avec la biodiversité et la santé. Cependant, il faut également continuer à parler du coût. En effet, je ne pense pas que la communication ait eu l'impact que vous lui prêtez sur la baisse des consommations d'énergie cet hiver.
Enfin, concernant l'exemplarité de l'Etat, dans les écoles la règle des 19 degrés ne passe ni auprès des enfants, ni auprès des enseignants. En établissement d'hébergement pour personnes âgées dépendantes (Ehpad) ou en maternelle, cette mesure est-elle adaptée ?
Le petit-fils de paysans corréziens que je suis est ravi de voir que la sobriété millénaire des campagnes est importée dans les villes. Pour une fois que la Haute Corrèze est en avance sur son temps, j'en suis très satisfait ! Pline raconte que l'empereur Tibère a mis à mort un artisan verrier lui ayant proposé du verre incassable, car cette innovation aurait mis les autres ouvriers au chômage.
Ces deux exemples montrent que le rapport au progrès et à la technologie a beaucoup changé. Nous avons donc besoin de la science, des connaissances et des sciences humaines. Vous nous avez dit que vous pouvez solliciter des compétences individuelles. Mais votre ministère ne devrait-il pas passer des programmes et des contrats d'objectifs avec les grands opérateurs de la recherche, notamment le CNRS ? Nous avons besoin d'une programmation de la recherche.
Le numérique représente 2 % de nos émissions de gaz à effet de serre, avec une projection de multiplication par trois d'ici 2050, et 10 % de notre consommation d'électricité avec, comme principale source de consommation, les outils et non les usages.
Ces chiffres montrent l'importance du reconditionnement et de la lutte contre l'obsolescence programmée. La Direction générale de la concurrence, de la consommation et de la répression des fraudes (DGCCRF) mène un important travail à ce sujet. Nous devons aller plus loin et inciter les citoyens à réparer les outils numériques plutôt que de les changer.
En 2019, un programme d'évaluation de l'empreinte carbone du numérique a été lancé avec le ministère de la Transition écologique et suivi d'un plan visant à la stabiliser d'ici 2025. En utilisant notamment le levier technologique que constitue la 5 G, ce plan visait à absorber l'augmentation des usages des données.
De plus, un travail est mené concernant l'écoconception des applications numériques. Par exemple, certaines applications professionnelles n'ont pas besoin d'être rafraîchies toutes les deux heures. Cédric O et Jean-Noël Barrot ont repris les objectifs de décarbonation du numérique avec des plans d'action assez précis.
Le prix constitue, en effet, un élément primordial de gestion de la consommation d'énergie. La potentielle suppression des niches fiscales, déjà mentionnée, est un moyen de réduire la consommation d'énergie, de même que la gestion du tarif du bouclier énergétique, ou du prix du gaz par rapport à l'électricité, celle-ci étant décarbonée à 90 %. Des propositions seront sans doute faites sur ces questions.
La règle des 19 degrés, quant à elle, est inscrite depuis longtemps dans la loi. Cette température est assez communément partagée, notamment par l'expertise médicale. Elle a été adoptée par la plupart des pays européens ayant mis en place des plans de sobriété. En revanche, les crèches, les maternelles et les Ehpad ne sont pas soumis à cette règle. Le véritable problème concerne les passoires thermiques, qui nécessitent d'importantes rénovations. C'est l'enjeu du plan école lancé par Christophe Béchu, dont les retombées sont importantes : les émissions de gaz à effet de serre baissent, la consommation d'énergie également et les enfants comme les professeurs travaillent dans de meilleures conditions, été comme hiver.
Enfin, nous n'avons pas encore réfléchi à l'établissement de contrats d'objectifs avec de grands opérateurs. Il pourrait s'agir de l'une des recommandations du groupe « sobriété » travaillant sur la loi de programmation sur l'énergie et le climat. J'en parlerai à ma collègue Sylvie Retailleau.
Je voudrais vous remercier, Madame la Ministre, d'être venue nous parler de la sobriété, vertu exemplaire dont l'État prend en charge la diffusion au risque d'aboutir à des paradoxes. En effet, l'État, dans sa complexité, n'est pas le plus à même de parler de cette notion et risque le ridicule.
Vous êtes née en 1974. J'étais alors jeune sous-préfet : le ministère de l'Intérieur avait envoyé, à la suite du deuxième choc pétrolier, une circulaire relative à l'extinction des vitrines des commerces à 22 heures. Celle-ci a suscité une forte émotion, mais elle a été appliquée, de manière très inégale, et est vite devenue obsolète. Je ne pense pas que l'État doive trop entrer dans le détail de la sobriété.
En revanche, le patrimoine de CO2 que les Français peuvent mobiliser dans leur vie quotidienne devrait peut-être faire l'objet d'un suivi individualisé, afin que chacun sache où il en est et puisse avoir les bons gestes. À cet égard, l'effet prix me paraît particulièrement important. Les factures de chauffage au gaz ont tout de même doublé dans la plupart des cas : j'ai du mal à comprendre les effets du bouclier énergétique.
Pour répondre à la question des jets privés, la plupart sont utilisés par des entreprises pour des besoins professionnels. Les entreprises pourraient disposer d'un patrimoine de CO2, avec des dépenses, des économies et des émissions plafonnées. Ce système permettrait de responsabiliser les acteurs. L'Office devrait travailler sur les systèmes de contrôle et de mesure en la matière, de la même manière que, pour l'électricité comme pour le gaz, les compteurs connectés ont constitué une véritable révolution.
J'ajoute qu'avec le passage du patrimoine français d'énergie électrique de 450 TW/h à 300 TW/h, toutes nos « petites économies » sont balayées par une seule décision, si pertinente et légitime soit-elle. Les systèmes centralisés, s'ils ne sont pas maîtrisés, découragent les gestes individuels dont l'addition totale représente en général une part très minoritaire des grands acteurs. La décarbonation des processus industriels et de l'énergie est un devoir absolu. Le rôle de l'OPECST consiste plutôt à examiner la relation entre coûts et rendements de telle ou telle mesure. Néanmoins, je partage l'orientation générale de la sobriété.
La réunion est close à 15 h 10.