sénatrice, vice-présidente de l'Office, rapporteure. - Le 11 mai dernier, l'Office a organisé une audition publique sur les enjeux scientifiques du traité international visant à mettre un terme à la pollution plastique.
Je rappelle que l'Assemblée des Nations unies pour l'environnement a adopté en mars 2022 une résolution historique visant à mettre en place un instrument international juridiquement contraignant pour mettre fin à la pollution plastique. Elle a prévu cinq sessions de négociations, dont une aura lieu ces prochains jours à Paris.
Le principe d'un traité international faisait partie des recommandations adoptées par l'Office en décembre 2020. Philippe Bolo et moi-même avions rédigé un projet de résolution visant à promouvoir un tel traité qui, déposé à l'Assemblée nationale et au Sénat à l'été 2021, a été adopté à l'unanimité par l'Assemblée nationale, en novembre 2021.
L'audition publique organisée par l'Office s'est tenue sous la forme de deux tables rondes. La première a évoqué les arguments scientifiques en faveur de l'élaboration d'un tel traité. J'en résumerai les éléments de présentation et les résultats. Philippe Bolo fera la synthèse de la seconde, consacrée aux enjeux scientifiques des propositions en discussion.
La première table ronde a souligné le caractère global, incontrôlable et particulièrement nocif de la pollution plastique pour l'environnement et la santé humaine.
D'ici à 2060, la production de plastique devrait tripler pour atteindre 1,2 milliard de tonnes. Cette croissance est tirée par l'explosion du nombre des emballages à usage unique, qui représentent 40 % des usages du plastique. Pourtant, le consommateur ne choisit pas d'acheter du plastique. Comme l'a souligné Hervé Corvellec, ce matériau a été imposé par un système de production, de distribution et de consommation basé sur l'abondance et la mobilité, dans lequel le plastique est un accompagnateur quasiment discret, en raison de ses qualités de protection sanitaire, de légèreté et de commodité. La jetabilité de l'emballage plastique à usage unique apparaît comme un atout dans la mesure où ni le producteur, ni le distributeur, ni le consommateur n'a besoin de le prendre en charge après usage. En ce sens, le plastique participe à la normalisation du déchet. Ainsi, le marché des eaux en bouteille ne se justifie-t-il que parce qu'il est considéré comme normal de jeter ces bouteilles après en avoir bu le contenu.
Néanmoins ces déchets plastiques post-consommation s'accumulent au point de former une pollution incontrôlable. Sur les 8,3 milliards de tonnes de plastique produites depuis 1950, dont la moitié depuis seulement 2000, seuls 30 % continuent d'être en utilisation. Le reste, soit 5,8 milliards de tonnes, est devenu des déchets, soit mis en décharge, soit rejetés directement dans l'environnement. Au total, 4,9 milliards de tonnes de déchets plastiques sont donc présentes dans l'environnement, héritées des modes de gestion des déchets à l'échelle planétaire.
En outre, le processus de fragmentation et de dispersion dans l'environnement, dans l'air, les fleuves, les mers, les océans et dans le milieu terrestre naturel n'en est qu'à son début. Jeroen Sonke a démontré que 97 % des plastiques se trouvent encore dans le milieu terrestre anthropisé, c'est-à-dire les décharges, les milieux urbains ou industriels et les sols agricoles. Par conséquent, en retenant une hypothèse de cinétique de fragmentation des plastiques de 3 % par an et un scénario d'arrêt de la production en 2040, non encore prévisible puisque la production reste exponentielle, le pic de la pollution plastique dans les sols naturels ne devrait pas intervenir avant 2400 et celui dans les sédiments des grands fonds marins plus tard encore.
L'effet d'accumulation des microplastiques dans les sols, les océans et les sédiments marins durera des siècles, et cette pollution a de graves effets sur l'environnement et la santé humaine. Comme l'a souligné Andrès Del Castillo, parmi les six limites planétaires déjà dépassées en 2022 figure la pollution par les nouvelles substances chimiques introduites dans l'environnement due, en particulier, à l'explosion de la production des plastiques, polymères auxquels sont ajoutés des additifs. Il a rappelé que 13 000 produits chimiques sont utilisés dans la production des plastiques. Les données n'existent que sur un peu plus de la moitié de ces produits, soit environ 7 000, dont près de 3 200 identifiés par les scientifiques comme des substances chimiques préoccupantes. Or seuls 130 produits chimiques préoccupants sont réglementés par des conventions internationales.
La pollution plastique contribue également au réchauffement climatique. Selon Jeroen Sonke, 12 % du pétrole sont convertis chaque année en polymères, en majorité pour des emballages à usage unique. Andrès Del Castillo a souligné qu'un rapport récent montre que d'ici à 2050, les émissions de gaz à effet de serre résultant de la fabrication du plastique pourraient atteindre plus de 56 gigatonnes, soit 10 à 13 % de l'ensemble du budget carbone à la disposition de la communauté internationale pour respecter l'accord de Paris.
Xavier Cousin a rappelé que la pollution plastique, notamment par les microplastiques, n'épargnait aucun des maillons de la chaîne trophique en milieu marin, provoquant des perturbations de la croissance et de la reproduction. Si les microplastiques ne s'accumulent pas dans le tube digestif et ne semblent pas franchir les tissus, l'exposition aux microplastiques est permanente dans la mesure où les êtres vivants en ingèrent en continu.
Bien que l'évaluation du risque reste difficile, la pollution plastique a une incidence certaine sur la santé humaine. Le risque se définit par l'association d'un danger et d'une exposition, laquelle est difficile à mesurer. Muriel Mercier Bonnin a rappelé l'impact médiatique de l'information selon laquelle un être humain consommerait cinq grammes de plastique par semaine, soit l'équivalent d'une carte de crédit. En réalité, l'étude citée fixait une fourchette beaucoup plus large, entre 0,1 et 5 grammes par semaine, qui a été contredite par des études ultérieures concluant à une ingestion comprise entre 4,1 microgrammes et 130 à 310 microgrammes par semaine.
Toutefois, la pollution plastique a un effet certain sur la santé humaine au travers des produits chimiques. Véronique Gayrard a évoqué le bisphénol A, considéré dans le règlement REACH comme une substance très préoccupante en raison de ses propriétés toxiques en matière de reproduction et en tant que perturbateur endocrinien, alors même que nous en absorbons cent fois plus que la dose journalière tolérable fixée par l'Autorité européenne de sécurité des aliments.
Des études récentes sur l'exposition du microbiote intestinal aux microplastiques mettent en avant plusieurs points de vigilance qui révéleraient l'impact négatif des microplastiques. Néanmoins, de nombreux verrous cognitifs et méthodologiques restent à lever pour réellement évaluer le risque d'une exposition quotidienne aux micro et nanoplastiques, qu'il s'agisse de la mesure des effets toxicologiques ou de la difficulté à les détecter dans les fluides biologiques, sans parler des problèmes de contamination des préparations par les plastiques présents dans l'environnement des laboratoires.