Madame la présidente, monsieur le ministre, madame la secrétaire d’État, mes chers collègues, la proposition de loi que nous examinons aujourd’hui s’inscrit dans un mouvement plus large de régulation du monde numérique, qui vise, en particulier, à protéger les enfants dans cet espace.
Ce n’est pas la première fois que la Haute Assemblée se penche sur la question : elle a ainsi examiné la proposition de loi visant à combattre le harcèlement scolaire et la proposition de loi visant à garantir le respect du droit à l’image des enfants, et créé la commission d’enquête sur l’utilisation de TikTok. Le Sénat est au rendez-vous des enjeux du numérique.
La spécificité de ce texte est qu’il traite plus particulièrement des plateformes de réseaux sociaux, sur lesquelles les jeunes sont particulièrement exposés à des contenus violents, pornographiques ou illicites.
La mesure phare est une mesure de principe importante : la fixation d’une majorité numérique à 15 ans, âge en dessous duquel l’accord parental est indispensable pour l’inscription à un réseau social.
Cette proposition de loi vise à inscrire, pour la première fois, dans la loi une définition juridique des plateformes de réseaux sociaux, qui reprend celle du DMA européen. Elle prévoit l’obligation, pour les opérateurs de réseaux sociaux, de diffuser des messages de prévention contre le harcèlement. Elle définit un cadre plus contraignant dans lequel les opérateurs d’une plateforme en ligne devront répondre aux réquisitions judiciaires en cas d’enquête préliminaire ou de flagrance.
La navette parlementaire a permis d’enrichir ces dispositions, et le texte qui nous est proposé aujourd’hui, à l’issue de la commission mixte parlementaire, va dans le bon sens.
Toutefois, si les intentions sont louables, je reste toujours dubitatif sur la mesure de contrôle de l’âge via le référentiel établi par l’Arcom.
Que nous propose-t-on avec ce texte ? Les plateformes se voient confier la responsabilité de s’assurer qu’aucun enfant de moins de 15 ans n’accède aux réseaux sociaux sans y être autorisé par un parent, en se conformant à un référentiel établi par l’Arcom, après avis de la Cnil. Il s’agit du même référentiel qui occupera une grande partie de nos débats la semaine prochaine, lors de l’examen du projet de loi visant à sécuriser et réguler l’espace numérique.
Vérifier que les utilisateurs ont bien l’âge de la majorité est une question aussi vieille qu’internet. Voilà plusieurs années que l’Arcom et la Cnil se penchent sur le sujet. Disons les choses comme elles sont : aucune solution technique n’existe à l’heure actuelle. L’équation pour assurer à la fois le contrôle de l’âge, la protection de la vie privée et la sécurité des données semble pour l’instant difficile à résoudre.
Ce n’est pas moi qui le dis, la Cnil le reconnaît elle-même dans un rapport de 2021 : « S’agissant de la vérification de l’âge […], les dispositifs existants ou envisagés sont généralement insatisfaisants à deux titres. Certains reposent sur une collecte massive de données personnelles et apparaissent dès lors difficilement conformes aux principes de protection des données […]. D’autres, moins intrusifs, sont cependant inefficaces parce que trop aisément contournés par les mineurs […]. »
Ce problème n’est pas uniquement français. Aucun pays n’a encore réussi à trouver de solution technique efficace et respectueuse des libertés publiques pour contrôler l’âge en ligne. De plus, même si une solution robuste et française voyait le jour, il existe des solutions de contournement qui font déjà leurs preuves.
Je me souviens de la démonstration que nous avait faite, en direct, ici même, dans cet hémicycle, Cédric O, votre prédécesseur, monsieur le ministre, lorsqu’il avait utilisé son Virtual Private Network (VPN) pour changer virtuellement de pays. Vous me direz que c’est une solution de spécialistes, de connaisseurs. Pourtant les vendeurs de VPN sont depuis des années les partenaires privilégiés des jeunes vidéastes sur YouTube – ceux-là mêmes qui s’adressent à la jeunesse. Voilà qui illustre les problèmes d’une régulation nationale d’internet.
Ainsi, nous comprenons l’intention du législateur avec cette proposition de loi et nous la trouvons louable, mais force est de constater qu’elle risque de ne rester qu’un vœu pieux. Nous débattrons plus profondément du référentiel devant servir au contrôle d’âge la semaine prochaine.
Toutefois, ce texte présente un intérêt majeur, en ce qu’il permet d’ouvrir le dialogue dans les familles sur l’accès aux plateformes pour les adolescents. En définissant un âge de majorité numérique, nous fixons une limite. Si les parents s’emparent du dispositif prévu par la loi, un échange fertile entre les générations pourra naître, entraînant une responsabilisation quant à un bon usage d’internet.
L’éducation, l’accompagnement des enfants dans la découverte du numérique, la pédagogie constituent des enjeux majeurs de la protection des mineurs. Cette proposition de loi y concourt et c’est pourquoi le groupe Écologiste – Solidarité et Territoires la votera.