Intervention de Annie David

Réunion du 24 mars 2005 à 22h00
Avenir de l'école — Adoption des conclusions modifiées du rapport d'une commission mixe paritaire

Photo de Annie DavidAnnie David :

Nous voici arrivés au terme d'une discussion qui nous laisse un arrière-goût d'insatisfaction, de déception, mais aussi de colère.

Ce texte nous laisse un arrière-goût de colère en raison de la déclaration d'urgence sur ce texte et du fait que seules les après-midi et les soirées de mardi et de mercredi, ainsi que la journée de jeudi ont été réservées, la semaine dernière, dans l'ordre du jour parlementaire, à son examen.

Ce qui était prévisible s'est donc produit : nous avons dû poursuivre au-delà. Nous avons également siégé vendredi, dans la précipitation et sans aucune organisation préalable, puis samedi, jusque tard dans la nuit, jusqu'à dimanche matin en fait, et ce après une « convocation » du Parlement pour le moins inaccoutumée, pour ne pas dire inacceptable !

Ce texte nous laisse également un arrière-goût de colère, monsieur le ministre, parce que, alors que l'ensemble de la communauté éducative vous avait fait savoir depuis plusieurs mois qu'elle n'était pas d'accord avec vos propositions, vous ne l'avez pas écoutée !

Vous avez persisté dans votre choix d'en revenir à l'école d'antan et à sa légendaire autorité, à une école à deux vitesses, ne proposant aux élèves les plus en difficulté qu'une orientation précoce, quand elle prévoit pour les autres des apprentissages à la carte, les enseignements complémentaires, voire optionnels, prenant une place de plus en plus importante dans le cursus des élèves.

Aujourd'hui encore, malgré l'intervention musclée des CRS cette nuit dans certains établissements - nous souhaiterions d'ailleurs avoir des précisions à cet égard, monsieur le ministre -, malgré les violences, les provocations et les intimidations qu'ils ont subi lors des imposantes manifestations précédemment organisées, les lycéennes et les lycéens vous ont fait savoir qu'ils veulent un système éducatif luttant contre les inégalités au lieu de les entériner, une école offrant à tous une égalité d'accès, donnant à chaque jeune les mêmes droits en matière d'éducation.

Dans mon département de l'Isère, les lycéens continuent, comme partout ailleurs, de se mobiliser. Ils demandent le retrait de votre texte, espérant trouver une oreille attentive à leurs revendications citoyennes et respectueuse de ces dernières. Des dizaines de lycées sont toujours occupés.

Mais vous continuez, monsieur le ministre, à faire la sourde oreille, en vous appuyant sur une majorité parlementaire muette, éloignée de la réalité des préoccupations de l'ensemble du pays sur cette question qui met en jeu notre conception républicaine de l'école et de la société !

Mais, en plus de la colère, nous ressentons également de l'insatisfaction face à l'absence de débat, situation imposée par vous-même.

En ce qui nous concerne, nous avons participé à ce débat avec la volonté d'aller au fond des questions soulevées, d'être une force de proposition. Nous avons argumenté chaque fois que nous étions en désaccord avec votre texte, comme en atteste la suppression, certes provisoire, de l'article 6 du projet de loi.

Toutefois, par un tour de passe-passe, comme l'a déjà indiqué Serge Lagauche, vous avez non seulement réintroduit cet article, mais aussi aggravé ce dernier puisque, dorénavant, le socle commun fera l'objet d'une évaluation, qui sera prise en compte dans la poursuite de la scolarité. Est-ce à dire qu'un élève confronté à des difficultés personnelles, le conduisant à de mauvais résultats, se verra refuser la poursuite de sa scolarité ?

J'en reviens au déroulement du débat, au cours duquel vous n'avez pas cru bon, monsieur le ministre, de nous répondre, de nous donner votre point de vue sur ces questions importantes.

Evidemment, nous n'ignorions pas votre opposition dogmatique à nos propositions, mais le simple respect du débat démocratique, ou même de notre rôle de parlementaires, aurait voulu que vous nous donniez de véritables réponses, au lieu de vos fréquents « avis défavorable ! », assez méprisants du reste.

Oui, je le maintiens, d'autres choix sont possibles pour notre école, d'autres choix qui, je l'espère - et nous ferons tout pour cela -, permettront bientôt de mener à bien une autre réforme de l'école, plus conforme aux besoins des femmes, des hommes et de notre société.

Nous éprouvons donc de la colère, de l'insatisfaction, mais aussi de l'indignation, car votre texte s'accompagne d'une préparation catastrophique de la carte scolaire de la prochaine rentrée ; les suppressions d'emplois pleuvent, avec leur cortège de suppressions : suppression de classes, de dédoublements, d'options, ainsi que suppression des TPE, auxquels sont pourtant attachés les lycéens.

Ces suppressions aggravent les conditions d'étude des élèves, les conditions de travail des personnels, augmentent les financements à la charge des collectivités territoriales. Elles ont donc pour corollaire une augmentation généralisée des effectifs par classe, la suppression pure et simple de certains enseignements, les risques de fuite d'élèves vers l'enseignement privé, lequel saisira l'occasion pour tenter d'offrir une alternative à ces dégradations, solution financièrement onéreuse pour les familles, bien sûr, mais je sais que cela n'est pas le premier de vos soucis, monsieur le ministre !

Voilà ce qui marquera la rentrée 2005 !

Au-delà de ces sentiments, nous éprouvons aussi, à l'issue de cette discussion, une grande inquiétude pour l'avenir même de notre système éducatif.

Les modifications que vous introduisez, tant dans les modes de fonctionnement du système éducatif que dans les contenus des enseignements, aboutiraient, si nous vous laissions faire, à détruire profondément ce qui constituait jusqu'à présent une grandeur et une force que bien des pays nous envient : un grand service public de l'éducation, au service de notre jeunesse, héritage de la volonté émancipatrice des Lumières et des luttes du mouvement populaire depuis plus d'un siècle.

Cette école, vous voulez la transformer en un simple instrument au service du système économique et politique ultralibéral, auquel le projet de constitution européenne voudrait aujourd'hui donner une force juridique pour les décennies à venir.

A ce propos, j'aimerais connaître votre intention au sujet de l'organisation des Journées européennes. Vous demandez aux académies, monsieur le ministre, d'organiser ces journées, qui s'inscrivent dans les périodes consacrées de manière générale à l'Europe, telles que le Printemps de l'Europe, et vous invitez les enseignants à se procurer un document intitulé « une constitution pour l'Europe ».

En outre, les académies proposent aux établissements de faire intervenir auprès de leurs équipes éducatives l'association européenne des enseignants, l'AEDE, qui promeut le vote du « oui » lors du référendum du 29 juin prochain...

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