Intervention de Annie David

Réunion du 24 mars 2005 à 22h00
Avenir de l'école — Adoption des conclusions modifiées du rapport d'une commission mixe paritaire

Photo de Annie DavidAnnie David :

J'en reviens au socle commun. Votre définition aussi restreinte et pauvre de cet « ensemble de connaissances et de compétences qu'il est indispensable de maîtriser pour conduire sa vie personnelle et professionnelle et sa vie de citoyen » pose des problèmes politiques majeurs.

D'une part, ce socle ne permettra pas l'accès à l'émancipation intellectuelle de tous les élèves, et, d'autre part, il aboutit à de fortes inégalités de traitement, venant aggraver les inégalités initiales des élèves à l'intérieur même du système scolaire.

Des inégalités entre les élèves existeront, en effet, puisque ceux d'entre eux qui se trouvent le plus en difficulté n'auront accès qu'à ce socle. Dans le cas où cela ne suffirait pas, serait mis en place un programme personnalisé de réussite éducative. Pensez-vous que la lutte contre l'échec scolaire passe par une aggravation des inégalités de nos jeunes face aux apprentissages ? Savez-vous ce qu'est l'échec scolaire, quelles en sont ses racines ? Connaissez-vous les raisons pour lesquelles 150 000 jeunes sortent de notre système éducatif sans diplôme ou qualification ?

Bien sûr, vous le savez, tout comme vous savez qu'avec des méthodes pédagogiques diversifiées, prenant en compte la diversité des élèves et des établissements, à condition d'en avoir les moyens en personnels, en formation et en temps disponible, on peut véritablement lutter contre ce phénomène.

Ayez le courage de dire ce que vous pensez, comme le font certains, à savoir que « tout le monde n'est pas fait pour faire des études », qu'il faut prendre en compte « l'intelligence de la main », que « certains sont plus doués que d'autres », ou toute autre considération tentant de revenir à la théorie des dons et donnant ainsi à l'orientation précoce un bon alibi, ainsi d'ailleurs qu'un volant de main-d'oeuvre peu ou pas qualifiée, mais faisant preuve d'« employabilité », mot barbare pourtant fétiche du MEDEF, autrement dit de flexibilité, d'adaptabilité, d'une grande capacité de soumission aux contraintes du marché de l'emploi.

Votre socle n'a d'autre origine, d'autre justification, d'autre cohérence que celle-ci. Ainsi vous « gérez » l'échec scolaire au mieux des intérêts économiques.

Mais l'ensemble de la communauté éducative n'est pas dupe et vous l'a fait savoir. Et d'ores et déjà, une manifestation d'opposition à votre texte est en préparation pour le 2 avril prochain.

Il est clair que ce mode de fonctionnement entraînera les effets suivants : dans le cas d'un élève qui a des difficultés, les enseignements communs à tous devront être prioritairement orientés vers l'acquisition de ce socle, alors qu'un temps plus réduit suffira à un autre, qui pourra alors consacrer du temps aux enseignements complémentaires choisis.

Le « commun » ne concernerait-il que le socle, et le « reste », c'est-à-dire les enseignements complémentaires, relèverait-il du choix des élèves en fonction de leurs aptitudes ? Comment parler alors d'égalité d'accès aux savoirs, de culture scolaire commune ? Quelle ambition affichez-vous là pour notre école ? Quelle volonté d'émancipation de nos jeunes visez-vous ?

Par ailleurs, vous n'obtiendrez pas l'adhésion des jeunes à votre note de vie scolaire, ou plutôt à votre note de comportement, car c'est bien de cela qu'il s'agit ! Elle sera prise en compte pour l'obtention du brevet des collèges. Or la conduite n'est un élément ni de compétence ni de connaissance. Vous érigez le respect des règles de comportement au même niveau que les savoirs, alors que le non-respect de ces règles relève des seules sanctions disciplinaires. Faudra-t-il refuser à un élève son brevet parce qu'il aura eu une mauvaise note de comportement ?

Notre ambition est tout autre pour notre école, pour nos jeunes, pour notre pays : une culture commune de haut niveau pour tous. Nous avons essayé, dans les limites permises par l'exercice du débat parlementaire, et avec les conditions que j'ai déjà dénoncées, de vous en expliquer le contenu et le sens, mais en vain...

Nous voulons, je le répète car c'est fondamental, que tous nos jeunes accèdent à ces connaissances, à ces savoirs et à ces compétences de haut niveau Tous les enfants sont « éducables », monsieur le ministre, encore faut-il le vouloir réellement !

Chacun doit pouvoir accéder à l'immensité et à la richesse des cultures humaines, acquérir les outils intellectuels pour comprendre, trier, synthétiser, cerner les enjeux de notre société, développer son goût d'apprendre, s'inscrivant dans une histoire collective qui le relie aux autres. C'est ce que nous appelons « culture scolaire commune ». Dans chaque domaine de la connaissance, elle doit identifier les apprentissages premiers qui formeront la base des apprentissages de la vie, en saisir les articulations, en dégager les savoirs fondamentaux et les techniques élémentaires, sans lesquels ces premiers apprentissages demeureraient hors d'atteinte.

Il s'agit non pas d'enseigner des vérités ex nihilo, comme vous voulez le faire, mais bien de définir une manière de questionner le monde pour y trouver sa place, en même temps que de transmettre les savoirs essentiels que la société humaine a élaborés dans son long cheminement vers la civilisation. C'est bien tout cela qui doit constituer la culture commune transmise par l'école.

Malheureusement, nous n'avons pas pu en discuter dans cet hémicycle. Ce n'est pourtant pas faute d'avoir fait des propositions !

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