Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, la commission des affaires économiques a approuvé la proposition de loi de notre collègue Sophie Primas visant à renforcer le rôle des maires dans l'attribution des logements sociaux. Elle a même décidé de renforcer les prérogatives des maires en la matière.
Avant de vous présenter les évolutions souhaitées par notre commission et de répondre à certaines critiques qui ont été formulées, je voudrais revenir sur le diagnostic largement partagé qui nécessite une intervention législative aujourd'hui.
Quel est ce constat ? Les maires ont un rôle central dans le développement du logement social au travers des permis de construire, de l'apport de terrains ou de financements et de la garantie des emprunts. Mais cette centralité ne leur est pas reconnue dans l'attribution des logements, qui leur échappe majoritairement.
Nombreux sont ceux qui déplorent désormais un véritable sentiment de dépossession des maires vis-à-vis du logement social, ce qui fragilise leur volonté d'en construire de nouveaux. Cette défiance est également palpable parmi nos concitoyens, ce qui affaiblit l'acceptation de nouveaux programmes.
Cette perception est alimentée par au moins quatre facteurs.
Premièrement, la pénurie de logements sociaux face à une demande croissante, alors que le parcours résidentiel est complètement bloqué.
Deuxièmement, la montée en puissance de politiques publiques conduisant à des relogements prioritaires, comme le renouvellement urbain, la politique du Logement d'abord ou du droit au logement opposable (Dalo), qui préemptent le peu de logements disponibles, parfois au détriment des demandeurs de la commune où ils sont situés.
Troisièmement, la très grande complexité de la gestion en flux et de la cotation des demandes, qui vont entrer en vigueur fin 2023 et qui suscitent inquiétude et incompréhension.
Quatrièmement, la montée en puissance des intercommunalités, qui contribue à complexifier les modalités de la décision.
Ces constats ont été corroborés par les émeutes de l'été dernier. Le Président de la République n'a-t-il pas déclaré, madame la ministre, devant les 220 maires qu'il recevait à l'Élysée le 25 juin dernier, vouloir travailler sur les attributions de logements sociaux afin de laisser une plus grande marge de manœuvre aux maires et de leur donner une meilleure maîtrise du « peuplement » de leur commune ?
La proposition de loi que nous examinons cet après-midi, sur l'initiative de Mme Sophie Primas, que je remercie très sincèrement, et du groupe Les Républicains, qui l'a inscrite à l'ordre du jour en priorité, identifie parfaitement l'un des nœuds du problème : la marginalisation des maires dans les commissions d'attribution, isolés parmi une douzaine de membres.
Notre commission a donc travaillé à trouver la meilleure solution pour y remédier, en concertation avec les associations d'élus, avec le mouvement HLM et avec les services du ministère du logement.
La commission a retenu trois leviers pour redonner la main au maire.
Premièrement, accorder la présidence de la commission d'attribution des logements sociaux au maire de la commune ou au président de l'intercommunalité lorsque celle-ci est intercommunale. C'est logique et cohérent, puisque les intercommunalités sont les chefs de file de la politique de l'habitat comme gestionnaires du bassin de vie.
Deuxièmement, accorder au maire un droit de veto sur une attribution donnée. Ce droit de veto sera motivé et s'inscrira dans le droit existant.
Troisièmement, généraliser la délégation du contingent de l'État au maire lors de la première attribution d'un programme neuf, lui permettant ainsi d'avoir directement à sa main la moitié des logements à attribuer. Cette faculté est déjà permise par le droit actuel : mise en œuvre dans certains territoires, elle n'est toutefois pas aussi connue ni utilisée qu'elle le devrait.
Cette mesure redonnera au maire une réelle capacité de maîtrise du peuplement. Elle me paraît également de nature à soutenir la construction de nouveaux logements sociaux et l'application de la loi SRU en permettant de répondre à la demande locale et donc de légitimer ce type de construction face aux critiques récurrentes que nous connaissons.
Je voudrais enfin répondre aux trois critiques principales formulées contre ce texte.
La première est de ne pas apporter de solution à la pénurie de logements sociaux et à la crise du logement. J'y souscris bien volontiers ! Vous le savez, j'ai toujours été en première ligne pour dénoncer les coupes claires du Gouvernement contre le logement, en particulier contre le logement social. La pénurie que nous constatons aujourd'hui est directement liée à la politique menée par Emmanuel Macron depuis 2017, dont les bailleurs sociaux ont été les premières victimes avec la RLS. Avec un peu plus d'un milliard d'euros par an en plus, beaucoup de logements sociaux seraient sortis de terre aujourd'hui sans cette politique !
Ce n'est pas l'objet du texte dont nous débattons. Je pense toutefois que celui-ci contribuera à débloquer des dossiers de construction de logements sociaux en redonnant confiance aux maires.
La deuxième critique adressée à cette proposition de loi est de ne pas constituer une réponse suffisante aux émeutes de l'été dernier. Là aussi, je reprends volontiers la critique : ce texte n'a nullement la prétention de résoudre le problème ô combien complexe et profond des quartiers prioritaires et, plus généralement, de l'intégration. C'est juste un élément qui doit permettre d'avancer dans la bonne direction.
Nous l'avions d'ailleurs indiqué dans le rapport d'information intitulé La politique de la ville, un tremplin pour les habitants, que nous avons publié à l'été 2022 avec Viviane Artigalas et Valérie Létard.
Enfin, comme l'a souligné Sophie Primas, certains reprochent à ce texte de rétablir le clientélisme, voire de permettre une discrimination des demandeurs en fonction de leur origine ou de leur nom sur des critères qui seraient non républicains.
Je trouve ce soupçon aussi insultant que blessant vis-à-vis des maires. §Gardons-nous des anathèmes ! Peut-on reprocher à un maire de vouloir loger ses habitants, à commencer par les ménages Dalo déjà installés sur sa commune ? Je ne le crois pas.
Je tiens à souligner qu'il n'y a absolument aucune ambiguïté dans ce texte : certes, la capacité du maire à décider est renforcée, mais celui-ci devra bien évidemment appliquer la législation en vigueur. La proposition de loi de Sophie Primas ne vient pas modifier les règles définissant les publics prioritaires, découlant de la mise en œuvre du droit au logement opposable ou encore de la future mise en œuvre de la gestion en flux et de la cotation des demandes de logement.
Si le maire utilise son droit de veto, il le fera sur une base légale. Concrètement, il le fera sur la base du travail de qualification du parc social et de son occupation réalisé par les bailleurs sociaux, en concertation avec les élus à l'échelon intercommunal, qui vise à identifier les résidences disposant de capacités d'accueil et celles, plus fragiles, ayant besoin de stabilisation.
L'Union sociale pour l'habitat (USH) a édité un document de référence et de cadrage qui identifie une cinquantaine de critères objectifs, et tout à fait républicains. Ce travail d'identification a notamment été mené dans des intercommunalités telles que Valenciennes, Limoges, Grenoble, Plaine Commune ou Boucle Nord de Seine en région parisienne, toutes parfaitement républicaines, me semble-t-il.
Nous le savons tous, nombre de difficultés s'expliquent par la concentration de publics fragiles dans les mêmes résidences. Pour réussir la mixité sociale, il faut autant accueillir des ménages fragiles que favoriser des ménages pouvant apporter de la stabilité à une résidence ou à un quartier.
Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, c'est bien dans cet état d'esprit que la commission des affaires économiques a travaillé. Elle a souhaité, au travers de ce texte, non seulement redonner aux maires la main sur les attributions, mais surtout les conforter dans leur rôle central de garant et du bien vivre ensemble dans leur commune et de l'accès au logement. C'est ce que nos concitoyens attendent.