Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, nous nous penchons aujourd’hui sur un sujet malheureusement d’actualité, à l’occasion de l’examen de cette proposition de loi visant à renforcer la sécurité des élus locaux et la protection des maires, texte que j’ai déposé au mois de mai dernier avec mes collègues Françoise Gatel, Mathieu Darnaud, Bruno Retailleau, Hervé Marseille et Maryse Carrère et qui a été cosigné par plus de 200 de nos collègues.
Ce sujet, c’est évidemment celui des menaces et violences à l’encontre des élus locaux, plus particulièrement des maires, menaces et violences qui se sont multipliées cette année, comme en témoignent l’incendie volontaire – volontaire, je le répète ! – contre le domicile de Yannick Morez, maire de Saint-Brevin-les-Pins, qui a démissionné depuis lors, ou encore l’attaque à la voiture bélier dirigée contre le domicile du maire de L’Haÿ-les-Roses, Vincent Jeanbrun. D’autres maires ont également été victimes de violences et de menaces.
Ces violences exercées à l’encontre des élus sont insupportables, nous sommes tous d’accord sur ce point. D’ailleurs, le Sénat est, de longue date, très attentif à ce que les élus locaux, particulièrement les maires, reçoivent la protection qui leur est due dans le cadre de leur mandat.
Face à l’accroissement des violences à l’encontre des élus, la commission des lois du Sénat a engagé, à la suite du tragique décès du maire de Signes, Jean-Mathieu Michel, au mois d’août 2019, plusieurs travaux afin de quantifier ces phénomènes et d’y apporter des réponses concrètes et opérationnelles. Son Plan d’action pour une plus grande sécurité des maires, présenté par Philippe Bas en 2019 et adossé à une consultation nationale des élus locaux, a permis de mettre en lumière l’ampleur des incivilités et des violences dirigées contre les élus.
De premières avancées ont été traduites dans la loi relative à l’engagement dans la vie locale et à la proximité de l’action publique, dite Engagement et proximité, notamment grâce au travail de Françoise Gatel et Mathieu Darnaud. D’autres initiatives sénatoriales ont suivi, notamment la proposition de loi de Nathalie Delattre visant à permettre aux assemblées d’élus et aux différentes associations d’élus de se constituer partie civile pour soutenir pleinement, au pénal, une personne investie d’un mandat électif public victime d’agression.
Au mois de mars dernier, j’ai proposé à la commission des lois de lancer un cycle d’auditions sur les agressions visant les élus locaux, après l’agression du maire de Saint-Brevin-les-Pins. Ces travaux nous ont permis d’objectiver le malaise ressenti par les élus municipaux, qui se manifeste par un triple effet : d’abord, une baisse des candidatures aux élections municipales, déjà observée entre 2014 et 2020, posant les ferments d’une crise de la démocratie locale sans précédent ; ensuite, la croissance depuis 2020 du nombre de démissions d’élus municipaux ; enfin, le malaise grandissant des maires, accompagné d’un sentiment d’abandon, que nous constatons tous dans nos échanges quotidiens avec eux. Nous avons tous pu le constater encore récemment à l’occasion de la campagne électorale qui vient de se dérouler ou lors des entretiens réguliers que nous avons avec ces élus.
Le constat est sans appel : si les élus locaux, singulièrement les maires, doivent bénéficier à tout moment de la protection effective de notre République, celle-ci est aujourd’hui largement perfectible.
C’est pourquoi nous avons déposé cette proposition de loi, en nous fixant un double objectif : protéger les élus locaux dans l’exercice de leurs mandats et améliorer leur accompagnement par les acteurs judiciaires et étatiques chargés des élus victimes.
Cette proposition est articulée autour de trois axes visant à renforcer la sécurité des élus locaux : premièrement, renforcer l’arsenal répressif ; deuxièmement, améliorer la prise en charge des élus victimes de violences, agressions ou injures dans le cadre de leur mandat ou d’une campagne électorale ; troisièmement, opérer un changement de culture au sein du monde judiciaire et des acteurs étatiques dans la prise en compte des violences commises sur les élus.
S’agissant du premier axe, il importe que les agressions et violences commises sur les élus locaux soient plus sévèrement sanctionnées. C’est la raison pour laquelle nous avons proposé d’aligner les peines encourues en cas de violences commises sur les élus locaux sur le régime existant pour les dépositaires de l’autorité publique que sont les policiers ou les gendarmes. Nous souhaitons également créer une peine de travail d’intérêt général en cas d’injure publique proférée à l’encontre des élus locaux ou personnes dépositaires de l’autorité publique. Nous voulons aussi renforcer les sanctions encourues en cas de harcèlement, notamment en ligne, des élus locaux. L’augmentation des faits de cyberharcèlement des élus locaux est une réalité qui ne cesse malheureusement de croître, qui est difficilement réprimée et contre laquelle il faut à tout prix lutter.
Au titre du deuxième axe, nous proposons de simplifier l’octroi de la protection fonctionnelle pour les maires en rendant cette protection automatique afin d’éviter qu’un maire ou un adjoint au maire ait à en faire la demande à son conseil municipal. De surcroît, il paraît nécessaire d’imposer la prise en charge par l’État des coûts de couverture assurantielle pour la protection fonctionnelle pour les communes de moins de 10 000 habitants et de ne pas laisser cette charge à leur seul budget.
Enfin, les élus locaux bénéficiant de la protection fonctionnelle ne doivent pas avoir à s’acquitter du reste à charge ou de dépassements d’honoraires. Il convient donc d’améliorer la couverture de ces frais d’avocat en garantissant un reste à charge égal à zéro.
De la même manière, afin de garantir, dans un contexte de crise des vocations électorales, l’engagement des citoyens dans les campagnes électorales et de permettre à chacun d’être candidat aux élections sans craindre pour sa sécurité, nous avons proposé l’institution d’un droit à la protection fonctionnelle pendant la campagne électorale pour les candidats, protection qui serait prise en charge par l’État. Celle-ci serait complétée par une prise en charge des dépenses des candidats pour leur sécurité. Nous y reviendrons certainement lors de la discussion des articles.
Enfin, l’amélioration de la protection des élus locaux passe également par l’accès à une couverture assurantielle adaptée et robuste pour les risques liés à leur mandat.
J’en viens au dernier axe. Nous souhaitons provoquer un profond changement de culture au sein du monde judiciaire et des acteurs étatiques dans la prise en compte des réalités des mandats électifs locaux.
Le double caractère d’agent de l’État et de justiciable des maires les place successivement, voire simultanément, comme partenaires privilégiés du ministère public, mais aussi comme justiciables, qu’ils soient mis en cause ou victimes dans le cadre de l’exercice de leur mandat.
Au surplus, les maires signalent régulièrement des faits ou comportements au procureur de la République et se retrouvent, sans être accompagnés, responsables d’assurer la communication des décisions judiciaires auprès de leurs administrés.
En conséquence, nous proposons de créer un mécanisme de dépaysement d’office des affaires lorsqu’un élu est mis en cause, afin d’éviter qu’il ne se retrouve mis en cause et pris en charge comme victime par le même procureur de la République.
Par ailleurs, il est primordial de mieux informer les maires et de faciliter leur compréhension des décisions judiciaires. C’est pourquoi nous prévoyons qu’ils soient informés dans un délai suffisamment bref – un mois – de ce que devient leur plainte : classement sans suite ou poursuite de la procédure. Il faut qu’ils sachent ce qui se passe.
Enfin, l’idée selon laquelle le procureur de la République puisse, à la demande du maire, s’exprimer dans le bulletin municipal fait débat. Il s’agit non pas d’évoquer les sujets concernant la commune, mais d’exposer les grandes lignes d’une politique pénale afin de permettre à nos concitoyens de mieux comprendre les situations. C’est un point assez nouveau, mais qui me paraît intéressant pour l’information du grand public. Évidemment, personne ne connaît le procureur de la République en dehors de circonstances judiciaires – c’est ce que je souhaite à chacun d’entre nous. Il est donc utile que la population puisse identifier cet acteur et comprendre son travail.
Encore récemment, ce qui, moi, m’a le plus surpris dans les relations qui existent – ou qui n’existent pas, d’ailleurs – entre le monde judiciaire ou le monde préfectoral et les maires, c’est que, malgré des situations locales signalées d’actes de violence ou de menaces, que celles-ci soient cyber ou physiques, nombre d’élus n’ont pas de contact avec le procureur de la République ou le substitut, quelquefois même pas avec le préfet de leur département.