Intervention de Pascal Allizard

Réunion du 11 octobre 2023 à 22h00
Débat préalable à la réunion du conseil européen des 26 et 27 octobre 2023

Photo de Pascal AllizardPascal Allizard :

Monsieur le président, madame la secrétaire d’État, mes chers collègues, l’agression russe contre l’Ukraine a marqué le retour de la guerre, une guerre totale, sur le continent européen. Nous assistons presque impuissants à l’essor d’une instabilité grandissante au pourtour de l’Union européenne et à l’affaiblissement des instances internationales de dialogue et de résolution des conflits.

Qu’en est-il, dans tout cela, de l’Union européenne ? Malgré les quelques mesures prises, les Européens font face à la convergence des autoritarismes, de régimes qui se soutiennent plus ou moins directement et tentent par tous moyens d’action ou d’opportunité de nous déstabiliser.

Il y a quelques jours, au début de ce mois, Vladimir Poutine a fait cette déclaration : la guerre en Ukraine est non pas « un conflit territorial », mais un événement qui doit déterminer les « principes sur lesquels le nouvel ordre mondial sera fondé ».

Je le relève à mon tour : la récente attaque de groupes terroristes liés à certaines puissances contre Israël est aussi un message adressé à ses alliés occidentaux. Il en est de même de l’évincement de la France en Afrique au profit de la Russie, de la Chine ou de la Turquie.

Dans un monde qui devient chaotique, la politique des sanctions n’a pas permis, pour l’instant, de faire fléchir les États visés par des mesures restrictives. En fait, les sanctions sont souvent vues comme un complot contre les puissances émergentes et vécues comme une fierté nationale : vont-elles assez loin ou sont-elles seulement symboliques ?

Faute de réelles solutions européennes sur divers sujets, nous nous sommes liés dangereusement avec la Turquie, sur les questions migratoires, et avec l’Azerbaïdjan, pour des raisons énergétiques. Chacun connaît pourtant les visées territoriales de ces deux pays et les liens historiques qui les unissent.

Madame la secrétaire d’État, dans ces conditions, comment envisagez-vous de dialoguer avec ces États, notamment après la prise de vive force du Haut-Karabagh par l’Azerbaïdjan ? Pour mémoire, au cours des dernières décennies, le groupe de Minsk n’a pas été en mesure d’obtenir une solution pacifique et négociée à propos du Haut-Karabagh.

Quelles seront les conséquences, s’il y en a, de la guerre éclair menée par l’Azerbaïdjan sur la politique européenne du Partenariat oriental, et quelles aides humanitaires met-on en place ?

Après le bannissement des productions pétrolières et gazières russes, envisageons-nous de réduire notre dépendance aux sources d’énergie de la Caspienne, dans le cadre d’une vision stratégique globale ?

Je souhaite aussi, à mon tour, appeler votre attention sur les questions migratoires.

L’intensification des flux en direction, non seulement de l’Union européenne, mais aussi du Royaume-Uni – la géographie est têtue ! –, témoigne d’une crise migratoire porteuse de nombreux dangers.

Je pense tout d’abord au sort des migrants, qu’il convient de rappeler. Souvent moins bien traités que des marchandises, ces femmes, ces hommes et ces enfants périssent régulièrement en mer ou sur les routes.

Je pense ensuite au renforcement des organisations criminelles : le trafic d’êtres humains leur vaut des profits colossaux pour des risques très limités, du moins pour elles. En parallèle, on constate la saturation des dispositifs d’accueil des États et, in fine, la montée de l’inquiétude des Européens au sujet de l’immigration incontrôlée extra-européenne.

Nous savons aussi que certains États utilisent l’« arme migratoire » pour semer la discorde entre membres de l’Union et au sein des populations européennes. Cette stratégie de fracturation de l’intérieur commence malheureusement à porter ses fruits : les récents scrutins qui se sont tenus en Allemagne illustrent la percée de l’extrême droite et je crains que les résultats des prochaines élections européennes ne traduisent lourdement cette tendance.

Dès lors, envisage-t-on réellement de tarir ces flux ou seulement de les gérer et de les répartir ? C’est, à mon sens, la question centrale, face à laquelle les Européens attendent une réponse politique et non des mesures techniques.

Qu’en est-il de l’accord entre l’Union européenne et la Tunisie, que les autorités locales rechignent à mettre en œuvre, et quelle fiabilité peut-on attendre de la Turquie, dont le pouvoir dit ne plus rien attendre de l’Europe ? Comment coopérer en Afrique avec certains des pays d’origine, dont les autorités – la France est bien placée pour le savoir – résultent de récents coups d’État militaires ?

Madame la secrétaire d’État, avant de conclure, je me dois de dire un mot de la Chine.

Une prise de conscience européenne tardive émerge à l’égard de cette puissance, sur le déséquilibre des échanges, le non-respect de la propriété intellectuelle, les différences de normes ou encore, évidemment, les visées géopolitiques chinoises.

Les autorités européennes ont récemment annoncé vouloir défendre les domaines stratégiques, qu’il s’agisse des semi-conducteurs, de l’intelligence artificielle, des technologies quantiques ou de la biotech. Quand et comment ces mesures seront-elles mises en place ? Quelles dispositions va-t-on prendre pour lutter efficacement contre la concurrence déloyale et contrer la coercition économique menée par la Chine ? On a bien en tête les mesures économiques de la Chine à l’encontre de la Lituanie, qui soutient Taïwan.

Quelles mesures envisage-t-on en réponse aux nouvelles régulations approuvées récemment par la Chine en matière de cybersécurité, de contre-espionnage et de gestion des données ?

Enfin, il faudra suivre de près les évolutions de l’économie chinoise : une éventuelle aggravation de la crise que connaît ce pays présenterait un risque important pour le monde et notamment pour l’Europe – dépendance, quand tu nous tiens…

Telles sont les quelques observations dont je souhaitais vous faire part avant ce Conseil européen. Son ordre du jour peut encore évoluer, mais je crois pouvoir dire que la tâche est immense et je crains que vous n’ayez perdu beaucoup de temps.

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