Intervention de Jacques Fernique

Réunion du 11 octobre 2023 à 22h00
Débat préalable à la réunion du conseil européen des 26 et 27 octobre 2023

Photo de Jacques FerniqueJacques Fernique :

Monsieur le président, madame la secrétaire d’État, mes chers collègues, le débat européen ne peut effectivement pas faire abstraction de la sidération provoquée par le terrorisme massif du Hamas.

Ces crimes systématiques et ces enlèvements à grande échelle traduisent la volonté délibérée de déclencher un embrasement fatal, de réactiver puissamment un cycle de haine qui brise toute perspective d’apaisement et fasse basculer des pays des Proche et Moyen-Orient.

En face, on trouve un gouvernement d’extrême droite qui amalgame tous les Palestiniens, parle d’« animaux humains » et de « siège total de Gaza ». Ce choix serait celui de la punition collective, infligée à plus de deux millions de personnes. N’est-ce pas précisément la réaction qu’escompte le Hamas ?

Face à l’horreur, l’Union européenne doit soutenir et le droit à la sécurité d’Israël et les droits légitimes des Palestiniens. Elle ne peut pas sombrer dans une logique d’amalgame et de haine. C’est pourtant cette logique qui transpirait dans l’annonce faite lundi dernier par le commissaire hongrois Várhelyi. À en croire ce dernier, l’Union européenne entendait suspendre tout son programme d’aide aux Palestiniens : en évoquant une telle punition collective et indiscriminée, il laissait entendre que les millions de l’Europe étaient détournés, voire alimentaient le Hamas.

On sait que la Commission a rétrogradé. L’Union européenne a affirmé hier son opposition au siège total de Gaza et la Commission ne parle plus que de « revoir » le dispositif d’aide.

C’est le résultat, dit-on, des réactions de l’Espagne, du Luxembourg, de l’Irlande, du Danemark. En outre, pour être légale, la révision d’un programme de cet ordre nécessite tout de même une proposition de la Commission européenne et une majorité qualifiée des États.

Quel rôle la France a-t-elle joué dans cette séquence confuse. Y a-t-il eu une réaction et, si oui, laquelle ? Pour éviter cette confusion, n’aurait-il pas fallu décider une réunion immédiate du Conseil européen, qui aurait permis une expression à la hauteur des événements ?

Les Arméniens du Haut-Karabakh, victimes d’une épuration ethnique d’ampleur, attendent de nous que nous prenions nos responsabilités et que nous fassions preuve de solidarité.

La complaisance gazière avec l’Azerbaïdjan doit cesser. Il ne peut plus être question d’un « partenariat fiable et durable » avec Bakou, pour reprendre les termes de la présidente de la Commission européenne. TotalEnergies et Patrick Pouyanné ne peuvent continuer d’afficher leur entente avec Aliyev.

Le Parlement européen demande des sanctions et une enquête sur l’origine des exportations de l’Azerbaïdjan, qui est une plaque tournante, on le sait, des contournements des sanctions contre la Russie ; suivons-le !

Les Ukrainiens, eux aussi, attendent de nous que nous prenions nos responsabilités et que nous fassions preuve de solidarité, alors qu’ils vivent un cauchemar depuis l’invasion russe. Notre solidarité ne peut pas leur faire défaut. Les importations européennes de gaz liquéfié et de nucléaire en provenance de la Russie augmentent de nouveau.

Le gouvernement polonais a décidé de ne plus livrer d’armes à l’Ukraine et le soutien durable des États-Unis paraît incertain, à l’approche de l’élection présidentielle l’an prochain. L’Union européenne ne peut pas laisser se déliter notre soutien aux Ukrainiens ; tenons sur ce point !

Face à l’invasion russe, notre réponse consiste à offrir une perspective d’élargissement de l’Union aux Balkans occidentaux et à l’Ukraine, pays insécurisés par un lourd voisinage… Le sommet de Grenade de vendredi dernier s’en veut le point de départ.

L’élargissement est une nécessité au regard de la situation géopolitique, bien sûr, mais aussi souhaitable qu’il puisse être, il n’est ni réalisable ni crédible sans une réforme du fonctionnement européen. On ne peut s’embourber à plus de trente États dans les blocages et les limites du fonctionnement actuel, qui plus est avec un budget contraint par des contributions nationales sans cesse marchandées. Avançons sur la réforme du fonctionnement et sur le déploiement des ressources propres, qu’il faut arrêter de reporter sans cesse.

Dans une Union à vingt-sept, les sujets de désaccords et de tensions sont déjà nombreux. Parmi eux, on connaît les difficultés que soulève le pacte sur la migration et l’asile, en discussion depuis trois ans, alors même que les demandes d’asile augmentent, que la crise climatique entraîne de nouveaux flux de réfugiés et que la situation au Proche-Orient bascule. Une réforme de ce pacte n’a donc jamais été aussi urgente.

Pourtant, en l’état, ce texte de compromis voté par vingt et un pays, dont la France, suscite plus de malaise que de fierté. Les yeux sont certes rivés sur la Hongrie et la Pologne, qui refusent tout mécanisme de solidarité, mais, selon nous, c’est l’essence même du pacte sur la migration et l’asile qui est néfaste. Pourquoi adopter dans la précipitation un texte médiocre, qui, d’une certaine façon, tend à criminaliser les ONG qui sauvent des migrants en mer ? Les personnes fuyant la guerre, l’oppression ou la mort ne doivent être traitées ni comme des menaces ni comme des flux migratoires irréguliers !

Cette nécessité de construire collectivement, de réformer notre cadre commun va à contre-courant des réflexes de repli et de la tentation de faire cavalier seul, auxquels incitent les crises qui déferlent.

« Reprendre le contrôle » – take back control – tel a été le mot d’ordre du Brexit. La France ne peut pas entonner cet air-là ! Bruno Le Maire a dit hier en substance que sortir du marché européen de l’énergie, c’était sortir de l’Europe. Pourtant, c’est un autre son de cloche que l’on entend aujourd’hui, la France ayant annoncé, par la voix du Président, qu’elle s’apprête à « reprendre le contrôle – il a choisi ces mots – du prix de l’électricité ». Quel est le signal envoyé ? Est-ce que « l’Europe, ça commence à bien faire » ?

Madame la secrétaire d’État, vous nous envoyez ce soir un signal différent, en nous assurant qu’il faut rester, j’ai bien entendu, dans le cadre d’un marché solidaire transfrontalier. Oui ! C’est tout de même l’appartenance au marché européen qui a assuré notre approvisionnement cet hiver, quand notre parc nucléaire était défaillant !

Enfin, l’autre front sur lequel l’Union européenne ne doit pas reculer, c’est celui du pacte vert, le Green Deal. À cet égard, je pense au glyphosate, que la Commission européenne s’apprête à autoriser de nouveau pour dix ans, malgré des milliers de procès et les vies brisées, malgré la reconnaissance des liens entre malformations et exposition prénatale à ce désherbant. La France doit défendre la santé des agriculteurs, qui sont les premiers exposés ! Elle doit jouer sans ambiguïté un rôle moteur pour faire interdire le glyphosate dans l’Union européenne.

Oui, la période est rude : face au risque de recul, de régression, de repli et d’éclatement, l’Europe doit tenir sur ses valeurs, sur la solidarité, sur les politiques de transition. Pour cela, elle a besoin d’une France qui agisse pleinement en Européenne.

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