« Quand vous avez votre taxe foncière qui augmente, ce n’est pas le Gouvernement : c’est votre commune qui le décide. Et c’est un scandale quand j’entends des élus qui osent dire que c’est la faute du Gouvernement. ».
Tels sont, madame la présidente, monsieur le ministre, mes chers collègues, les propos qu’a prononcés le Président de la République dans un entretien du 24 septembre dernier, au cours duquel il n’a pas hésité à mettre publiquement en cause les maires sur le délicat sujet de l’augmentation de la taxe foncière dans certaines communes.
Vous en conviendrez, une telle sortie n’est pas de nature à apaiser les relations et à renouer les liens avec les maires.
La controverse porte sur les raisons de cette augmentation de la taxe foncière qui motive la tenue du présent débat.
Deux visions s’affrontent sur le sujet. D’un côté, selon le Président de la République, c’est l’incurie des équipes locales qui explique les hausses parfois importantes de la taxe foncière. De l’autre, aux yeux des élus concernés, les réformes hasardeuses menées par l’exécutif ces dernières années sont une des explications à donner à de telles hausses.
Dans un contexte d’inflation, un tel sujet est nécessairement sensible.
Néanmoins, attention à ne pas se laisser aller à l’emballement médiatique autour d’un sujet que l’on sait épidermique, car, dans les faits, comme l’indique la direction générale des finances publiques (DGFiP) dans une note publiée au début du mois de septembre dernier, près de 85 % des communes ont décidé, en 2023, de ne pas augmenter leur taux de taxe foncière sur les propriétés bâties.
Ces chiffres aussi doivent guider nos débats, quoiqu’ils ne changent pas le fond du problème. Or de quel problème parle-t-on ?
Suppression de la taxe professionnelle, suppression de la taxe d’habitation : en quinze ans, les impôts sur lesquels les élus avaient un pouvoir de taux ont disparu.
« Dieu se rit des hommes qui déplorent les effets dont ils chérissent les causes », déclarait Bossuet. Comment ne pas percevoir dans l’intervention du Président de la République une cécité volontaire quant aux conséquences des réformes fiscales que celui-ci a lui-même imposées aux collectivités locales ?
En supprimant tous les leviers fiscaux à la main des élus, il a fait de la taxe foncière la seule ressource fiscale sur laquelle ils ont encore un pouvoir, faisant d’elle la variable d’ajustement des budgets communaux, qui, je le rappelle, ont une obligation d’équilibre.
Avec la fin de la taxe d’habitation et la suppression des impôts de production, le lien fiscal entre l’habitant et son territoire ne tient quasiment plus qu’à la taxe foncière. Et, derrière, c’est une certaine idée de la décentralisation qui ne tient plus qu’à un fil !
L’augmentation de la taxe foncière me paraît ressembler au chant du cygne de la fiscalité des collectivités locales.
Cette augmentation, parce qu’elle a trait à l’impôt, est une question politique, au sens noble et fort du terme. Il y va de l’organisation de la cité, de son avenir, donc de celui de chaque citoyen.
Cette question pose encore plus crûment la question de l’autonomie fiscale des collectivités locales.
Parce que l’autonomie fiscale locale est au cœur de la décentralisation, il est crucial de considérer qu’elle est essentielle au bien-être des citoyens, c’est-à-dire à la démocratie, au développement économique et à la justice sociale.
Monsieur le ministre, la majorité des dégrèvements, exonérations, voire suppressions d’impôts locaux que vous faites sur le dos des élus traduisent votre inlassable politique de l’offre, qui part du principe dogmatique qu’un allégement de la fiscalité favorise le développement économique.
C’est ce point de vue, parfois radicalement antifiscal, qui a été développé avec force par les courants de pensée libéraux, comme l’école du Public Choice ou l’école libertarienne, dans les années 1970-1980, avec pour objectif une substitution du marché à l’État en « affamant la bête ».
De fait, par vos mesures, vous avez totalement déstabilisé la fiscalité locale à la française, alors qu’il importe de répondre au risque d’éclatement ou d’éparpillement de la fiscalité, ainsi qu’à celui d’une augmentation simultanée de la pression des divers impôts.
Il est par conséquent indispensable que le système fiscal soit globalement cohérent et, pour cela, qu’il soit régulé. C’est là une condition essentielle pour que la diversité et la complexité du système n’évoluent pas vers le désordre, le chaos ou l’implosion.
Pour conclure, je crois qu’il est un peu trop facile, pour le Président de la République, de se dédouaner de toute responsabilité dans l’augmentation de la taxe foncière dans certaines communes.
Monsieur le ministre, ne pensez-vous pas que s’interroger sur les conséquences de vos réformes fiscales, c’est déjà expliquer les hausses de taxe foncière ?