Intervention de Olivier Dussopt

Réunion du 17 octobre 2023 à 14h30
Partage de la valeur au sein de l'entreprise — Discussion en procédure accélérée d'un projet de loi dans le texte de la commission

Olivier Dussopt :

Madame la présidente, mesdames, messieurs les sénateurs, je suis très heureux d’être ici devant vous pour présenter le projet de loi portant transposition de l’accord national interprofessionnel (ANI) relatif au partage de la valeur au sein de l’entreprise, au lendemain d’une conférence sociale qui a réuni les partenaires sociaux sur la question de l’évolution des salaires dans le temps et de l’incitation à l’emploi.

Ces travaux, cette réflexion sont complémentaires de ce que les partenaires sociaux ont voulu à travers l’accord national interprofessionnel du 10 février dernier : renforcer le partage de la valeur dans les entreprises.

C’est un sujet sur lequel le Gouvernement les avait saisis le 16 décembre 2022, en s’engageant à transcrire fidèlement l’accord national interprofessionnel si celui-ci venait à être signé.

Avec le présent projet de loi, adopté par l’Assemblée nationale le 29 juin dernier, nous tenons notre engagement d’une transposition intégrale et exacte de l’accord signé par les partenaires sociaux en matière de partage de la valeur.

Je souligne tout d’abord que ce projet de loi revalorise le travail au bénéfice du pouvoir d’achat des ménages. Ainsi, il s’inscrit dans le sillage des réformes menées depuis 2017.

La loi relative à la croissance et la transformation des entreprises de 2019, dite loi Pacte, a permis de simplifier la mise en place d’accords d’intéressement et de participation dans les petites et moyennes entreprises (PME).

Plus récemment, la loi portant mesures d’urgence pour la protection du pouvoir d’achat, votée au mois d’août 2022, a permis de faciliter le recours à l’intéressement dans les PME et d’instaurer une nouvelle prime de partage de la valeur. Cette prime a profité à 5, 5 millions de salariés en 2022, pour un montant total de 4, 4 milliards d’euros.

La France est aujourd’hui le deuxième pays européen où les dispositifs de partage de la valeur sont les plus répandus et, en définitive, les plus rémunérateurs pour les salariés.

Bien entendu, ces dispositifs n’ont pas vocation à se substituer aux salaires. Nous devons être exigeants sur ce point, d’autant que les deux éléments sont complémentaires. L’accord national interprofessionnel, ainsi que le texte qui vous a été soumis rappellent ce principe.

Les salaires font l’objet de toute l’attention du Gouvernement dans la période d’inflation que nous connaissons.

En application de la loi, le salaire minimum a été revalorisé six fois depuis la fin de l’année 2021, avec une hausse globale de 12, 4 % depuis janvier 2021.

Ces revalorisations ont évidemment des conséquences directes sur la situation des minima conventionnels, dont beaucoup sont passés en dessous du Smic. Nous comptons sur le dialogue social pour que la situation se rétablisse.

La conférence sociale qui s’est tenue hier a donné lieu à une réflexion nourrie sur les salaires, en particulier sur la manière de mobiliser les branches et les entreprises sur ce sujet crucial. Nous aurons l’occasion dans les prochains mois d’avancer sur la question du dynamisme du dialogue de branche.

J’en reviens au projet de loi que vous allez examiner dans quelques instants.

Les mesures du texte sont concrètes et répondent à deux aspirations importantes des Français : œuvrer davantage pour le pouvoir d’achat des salariés et favoriser la participation de ceux-ci à la marche de leur entreprise.

Conformément à l’accord, le projet de loi met l’accent sur les classifications. Nous partageons pleinement l’importance accordée à cette question, qui a été mise en évidence lors de la conférence sociale.

La révision des classifications est un levier au service de la progression de carrières lisibles et dynamiques. Les organisations de branche doivent donc se réunir une fois tous les cinq ans pour examiner la nécessité de renégocier les classifications, et ce dans le cadre des conventions collectives.

Or le constat est sans appel : au 30 septembre 2023, 63 % des branches du secteur général n’avaient pas révisé leurs grilles de classification depuis plus de cinq ans ; 43 % ne l’avaient pas fait depuis plus de dix ans ; 9 % n’y avaient pas procédé depuis plus de vingt ans.

C’est pourquoi le texte prévoit l’obligation d’engager une négociation d’ici au 31 décembre 2023 en vue de l’examen de la nécessité de réviser les classifications pour les branches qui n’ont pas effectué cet examen au cours des cinq dernières années.

Cette disposition complète l’obligation périodique en vigueur en instaurant une date butoir. Il s’agit d’une mesure concrète pour améliorer les rémunérations. Cela permet d’agir sur l’éventail des salaires et de valoriser les parcours professionnels des salariés.

Nous savons que les révisions des classifications peuvent être très complexes ou techniques. Aussi, la Première ministre et moi-même avons pris hier devant les partenaires sociaux l’engagement de mettre en place un suivi et un accompagnement renforcés des négociations de branche sur les classifications. Nous mobiliserons les services du ministère du travail pour accompagner les branches professionnelles.

Cette obligation d’entamer une négociation sur les classifications motive notre souhait de voir le texte être examiné assez rapidement : nous tenons à ce que la négociation soit effective avant le 31 décembre 2023, pour permettre l’entrée en vigueur de l’ensemble des dispositions au cours de l’exercice fiscal de l’année 2024.

Le projet de loi vise aussi à améliorer la couverture des petites et moyennes entreprises en matière de partage de la valeur.

Nous le savions déjà, et des études récentes l’ont rappelé, la mise en place de dispositifs de partage de la valeur est trop inégale et à l’avantage des plus grandes entreprises.

Ainsi, 70 % des salariés des entreprises de plus de 100 salariés disposaient d’un accès à un dispositif de participation en 2020, contre 3 % des salariés des entreprises de moins de neuf salariés et 6 % de ceux des entreprises comptant entre 10 et 49 salariés, alors même que ces dernières sont le cœur de notre tissu économique.

Nous développons pourtant depuis plusieurs années une politique volontariste favorisant la mise en place de l’intéressement dans les entreprises de moins de 50 salariés : je pense à la possibilité de le mettre en place par décision unilatérale sous certaines conditions, à la mise en place d’accords types d’intéressement permettant de garantir les exonérations de cotisations sociales, à la création d’un site d’accompagnement à la mise en place des accords d’intéressement, ou encore à la réduction des délais d’instruction de ces mêmes accords.

Cependant, les entreprises de moins de 50 salariés ne sont toujours pas soumises à l’obligation de mettre en place des dispositifs de participation.

Il nous faut donc aller plus loin si nous voulons développer le partage de la valeur dans ces petites entreprises. Quatre dispositifs essentiels de ce texte y contribuent.

D’abord, le projet de loi permet aux entreprises de moins de 50 salariés de négocier, par accord de branche ou d’entreprise, des formules dérogatoires à la formule légale de participation. C’est une souplesse de plus offerte aux petites entreprises pour faciliter la mise en place de la participation.

Ensuite, pour généraliser les dispositifs de partage de la valeur dans les petites entreprises, celles de 11 à 50 salariés devront mettre en place un tel dispositif dès lors qu’elles auront réalisé un bénéfice net fiscal positif supérieur à 1 % de leur chiffre d’affaires pendant trois années consécutives ; c’est le terme de l’accord national interprofessionnel.

Il n’y a pas de raison que les entreprises de plus de 50 salariés soient obligées de mettre en œuvre un dispositif de partage de la valeur, et pas celles de moins de 50 salariés qui le peuvent.

Lors de l’examen de ce projet de loi, les députés ont ajouté des dispositions spécifiques aux structures de l’économie sociale et solidaire. Défendues par le secteur et soutenues par toutes les organisations signataires de l’accord national interprofessionnel, elles ciblent un secteur important, qui représente environ 10 % de l’emploi.

Par ailleurs, les entreprises de plus de 50 salariés auront jusqu’au 30 juin 2024 pour négocier les conséquences en termes de partage de la valeur de la réalisation de bénéfices exceptionnels. Suivant les recommandations du Conseil d’État, ces dispositions sont désormais sécurisées, car la négociation sur la définition de l’augmentation dite « exceptionnelle » du bénéfice repose sur des critères prévus par la loi, comme la taille de l’entreprise.

Enfin, l’exonération fiscale applicable aux salariés dont la rémunération est inférieure à 3 Smic pour ce qui est de la prime de partage de la valeur sera prolongée jusqu’au 31 décembre 2026 dans les entreprises de moins de 50 salariés.

Ce projet de loi améliore des dispositifs existants et en prévoit de nouveaux.

D’abord, il facilite l’utilisation de la prime de partage de la valeur. Les entreprises pourront ainsi verser cette prime jusqu’à deux fois par an, au lieu d’une seule aujourd’hui. En outre, la prime pourra être versée sur un plan d’épargne salariale, ce qui permettra au salarié de bénéficier d’une exonération fiscale pour les sommes bloquées.

De manière générale, le texte prévoit une série de simplifications et d’assouplissements, avec notamment la sécurisation du versement d’avances par trimestre pour la participation et l’intéressement.

J’entends parfois dire que la prime de partage de la valeur est une mauvaise idée, car elle se substitue aux salaires. Il est vrai que l’Insee et le Conseil d’analyse économique (CAE) ont récemment publié des études sur les effets de substitution aux salaires.

Nous ne remettons jamais en cause les analyses de l’Insee. En revanche, nous les prenons avec toute la précaution nécessaire, comme nous y invite l’Institut lui-même, puisqu’il indique que la marge d’erreur de son étude est « importante ».

Cela étant, l’Insee montre qu’il y a « sans doute » – je reprends à dessein les termes qu’il a employés – eu quelques effets de substitution, sans être totalement affirmatif, parce que, par construction, les effets de comportement, ainsi que les effets d’aubaine sont souvent difficiles à estimer.

Surtout, le principe de non-substitution est désormais explicite dans la loi pour tous les dispositifs de participation. Il s’agit d’un principe général du code du travail que nous rappelons dans la loi s’agissant plus particulièrement des dispositifs de participation.

Le texte contribue également à rapprocher les intérêts des salariés et ceux des actionnaires au travers du nouveau plan de partage de la valorisation de l’entreprise. Mis en place par accord pour l’ensemble des salariés ayant au moins un an d’ancienneté, pour une durée de trois ans, il leur permet de bénéficier d’une prime dans le cas où la valeur de l’entreprise a augmenté durant les trois années que dure le plan.

Enfin, le projet de loi développe l’actionnariat salarié en prévoyant de rehausser le plafond global général d’attribution gratuite d’actions de 10 % à 15 % du capital social pour les grandes entreprises et les entreprises de taille intermédiaire (ETI), et de 15 % à 20 % du capital social pour les PME.

Pour conclure, j’insiste sur le fait que ce projet de loi est le fruit du dialogue social, doublé de notre engagement d’une transposition fidèle de l’accord.

À la fin de l’année 2022, j’ai invité les partenaires sociaux à engager une négociation nationale interprofessionnelle pour améliorer les dispositifs de partage de la valeur. Le document d’orientation les invitait à négocier pour renforcer le partage de la valeur entre travail et capital au sein des entreprises et à améliorer l’association des salariés aux performances de l’entreprise.

Ce texte est donc d’abord un exercice de démocratie sociale réussi.

L’ANI a été conclu le 10 février 2023, signé par les trois organisations patronales représentatives, à savoir le Mouvement des entreprises de France (Medef), la Confédération des petites et moyennes entreprises (CPME) et l’Union des entreprises de proximité (U2P), et par quatre des cinq organisations syndicales représentatives, en l’espèce la CFDT, la CFTC, FO et la CFE-CGC.

C’est la preuve que le dialogue social fonctionne et qu’il produit des solutions concrètes et consensuelles au bénéfice des Français et, en l’occurrence, des salariés, pour le partage de la valeur.

C’est pourquoi nous avons proposé et défendu ce projet de loi avec un principe simple : l’accord et rien que l’accord. Nous avons mené des concertations et coconstruit ce texte à chaque étape de son élaboration.

Je n’ai défendu ni soutenu aucun amendement auquel l’ensemble des signataires de l’accord national interprofessionnel n’auraient pas donné leur accord préalable, à l’exception de l’amendement adopté en commission à l’Assemblée nationale sur l’initiative du rapporteur du texte qui tend à avancer d’une année l’entrée en vigueur de l’obligation de mise en œuvre d’un dispositif de partage de la valeur pour les entreprises de 11 à 50 salariés.

Je souhaite évidemment que cette méthode puisse prospérer au Sénat ; je l’ai déjà indiqué au stade de l’examen du texte en commission.

Les travaux menés par la commission des affaires sociales du Sénat, en particulier par votre rapporteure, Frédérique Puissat, démontrent – en tout cas, à mes yeux – l’attachement des sénateurs au respect de l’accord et aux équilibres du texte. Je salue son travail, ainsi que celui de l’ensemble de la commission.

Je sais que vous êtes particulièrement sensibles à ce que le texte soit fidèle à l’accord national interprofessionnel.

Si je prends acte des positions de votre commission, je proposerai néanmoins le rétablissement de certaines mesures, notamment celles qui figuraient dans le texte initial, comme les dispositions des articles 2 et 3 sur le suivi des dispositifs avec les partenaires sociaux, qui avaient été acceptées par l’ensemble des signataires de l’ANI et transposées dans le projet de loi initial.

J’émettrai également un avis favorable sur tout amendement visant à rétablir l’article 10 bis, sur les critères de responsabilité sociétale des entreprises (RSE) dans l’intéressement, car il s’agit pour nous d’un point d’équilibre important du texte, sur lequel tous les signataires de l’ANI s’étaient accordés.

Par ailleurs, comme la commission l’a signalé dans son rapport, certaines clauses de l’accord ne relèvent pas de la loi et ne nécessitent pas de dispositions législatives. Elles sont soit de nature réglementaire, soit de l’ordre de la pratique, soit satisfaites par le droit existant.

Certaines de ces mesures font actuellement l’objet d’échanges avec les partenaires sociaux. Cela explique vraisemblablement certaines des positions, que je peux comprendre, adoptées par votre commission, quand bien même le Gouvernement aurait soutenu telle ou telle d’entre elles à l’occasion d’un nouvel examen du texte à l’Assemblée nationale.

Mesdames, messieurs les sénateurs, nous présentons aujourd’hui un projet de loi qui concerne le cœur du travail et de sa valeur. C’est une proposition d’équilibre, de concertation et de solidarité voulue par une immense majorité des partenaires sociaux.

L’adoption de ce projet de loi serait un gage de confiance à la fois dans le dialogue social et la démocratie parlementaire, et contribuerait à apporter des solutions concrètes qui bénéficieront à tous les salariés français.

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