L'heure est au recueillement, au respect de la famille de M. Bernard, qui vit des moments dramatiques.
Le présent projet de loi ouvre, par son intitulé, un débat intéressant autour du partage de la valeur créée au sein de l'entreprise.
Entre 1950 et 2021, la part des salaires dans la valeur ajoutée a perdu quatre points, tandis que le taux de marge des entreprises a progressé de deux points.
Cette évolution contraire entre salaires et taux de marge démontre non seulement que la valeur créée dans les entreprises n'est pas mieux répartie et ne bénéficie pas davantage aux travailleurs qui l'ont créée, mais surtout que ce sont les actionnaires et les patrons qui en tirent profit.
Ainsi, en dix ans, le montant des dividendes versés aux actionnaires par les 100 plus grandes entreprises a augmenté de 57 %. Pendant ce temps, les prix flambent et la situation devient insupportable pour des Français, qui se voient contraints de débourser des sommes de plus en plus exorbitantes pour subvenir à leurs besoins vitaux, tels que l'énergie, les carburants et, surtout, la nourriture.
L'inflation a entraîné une perte de 720 euros du pouvoir d'achat des salariés en 2022, avec une facture encore plus salée pour les ménages ruraux et les plus modestes.
La pauvreté augmente : notre pays compte aujourd'hui 9 millions de pauvres. Désormais, 18 % des ménages vivent continuellement à découvert, et 31 % des Françaises et des Français sautent des repas, parce qu'ils n'ont pas les moyens de se nourrir.
Il faut en finir avec le racket de la grande distribution, qui, d'un côté, met la pression sur nos agriculteurs et, de l'autre, fait les poches des familles.
L'inégalité entre le monde du travail et le monde des spéculateurs se renforce dans notre pays.
Ce projet de loi de partage de la valeur aggravera les injustices au lieu de les résorber. Au passage, il sciera la branche de notre pacte social.
Premièrement, les primes, la participation, l'intéressement, l'épargne retraite, l'actionnariat salarié et tous les autres dispositifs dits « de partage » de la valeur reposent sur des déductions fiscales et des exonérations de cotisations sociales qui dégradent les finances publiques.
En 2022, les dispositifs de participation et d'actionnariat salarié ont conduit à une baisse de 1, 8 milliard d'euros des recettes publiques, en plus des 3, 5 milliards d'euros perdus à cause des exonérations de cotisations sociales.
La fiscalisation des primes imposée par le Conseil d'État ne compensera pas la perte de ces 5 milliards d'euros de recettes à la sécurité sociale.
Ces dispositifs extrêmement coûteux pour les finances publiques s'apparentent d'ailleurs à une subvention déguisée des entreprises sans aucune contrepartie.
Deuxièmement, les dispositifs de participation et d'actionnariat salarié se substituent aux augmentations de salaire.
Selon l'Insee, dans 30 % des cas, la prime exceptionnelle de pouvoir d'achat (Pepa) est privilégiée par les employeurs au détriment de l'augmentation des salaires. L'Insee en conclut que « les effets d'aubaine semblent […] se traduire par des revalorisations salariales plus faibles » que celles qui étaient attendues sur le salaire de base.
De ce grand remplacement des salaires par des primes découle une perte de droits associés pour les travailleurs. Alors que le Gouvernement a volé deux années de vie à la retraite à l'ensemble des salariés, la constitution de droits futurs devient pourtant une préoccupation pour nombre de nos concitoyens.
Troisièmement, la répartition entre salariés des primes, de la participation, de l'intéressement et de l'épargne salariale est particulièrement inégalitaire : ceux qui en profitent le plus sont en effet ceux qui ont déjà les salaires les plus élevés. Ces dispositifs valorisent les hauts salaires quand la priorité devrait être de relever les bas salaires et de réduire les inégalités au sein des entreprises. Ne parle-t-on pas de plus en plus aujourd'hui des travailleurs pauvres ? N'en côtoyons-nous pas chaque jour dans nos permanences ?
Quatrièmement, de tels mécanismes reposent sur les bénéfices des entreprises. Or ces dernières usent de mécanismes d'évasion fiscale qui permettent d'afficher un bénéfice fiscal net négatif, en plaçant les bénéfices au sein de succursales situées dans des paradis fiscaux.
Selon le Conseil d'analyse économique, la lutte contre le transfert de bénéfices semble être un « instrument de premier ordre pour toute politique de partage de la valeur ».
Par conséquent, ce texte est de la poudre aux yeux des salariés.
Lorsque le Président de la République défend la création d'un « dividende salarié », son projet consiste à nier le lien de subordination qui existe dans l'entreprise en donnant l'illusion que les travailleurs pourront profiter d'une partie du fruit de leur travail.
Monsieur le ministre, à l'Assemblée nationale, vous avez indiqué : « Il s'agit d'œuvrer davantage pour le pouvoir d'achat des salariés, afin de faire face à l'inflation, mais aussi de répondre à une forte demande de participation des salariés dans la marche de leur entreprise, aspiration qui rejoint le désir de démocratie au travail. »
Nous pourrions nous accorder sur une telle vision de l'entreprise, lieu de démocratie sociale où les travailleurs auraient leur mot à dire sur les décisions stratégiques, si votre gouvernement n'avait pas supprimé les comités d'hygiène, de sécurité et des conditions de travail (CHSCT), diminué le nombre de représentants syndicaux dans les instances et criminalisé l'action syndicale lors de la mobilisation contre la réforme des retraites.
Il est intéressant de le noter, la seule véritable obligation de ce projet de loi est l'instauration de la prime de partage de la valeur qui sera mise en place par décision unilatérale de l'employeur, au mépris des organisations syndicales.
L'urgence est de relever les minima de quatre-vingt-six branches professionnelles, qui sont inférieurs au Smic.
L'urgence est de conditionner les aides publiques à l'absence de délocalisation des emplois et à l'augmentation des salaires, de garantir l'égalité salariale entre les hommes et les femmes et d'indexer les salaires sur l'inflation.
Pour notre part, nous ne souhaitons pas voir les revenus du travail soumis aux aléas des performances et des contre-performances des entreprises.
Nous avions déposé des amendements en ce sens ; ils ont été déclarés irrecevables par la commission, car jugés trop éloignés du texte. Et nos autres amendements ont tous été rejetés en raison – je cite – de leur « non-conformité » à l'ANI ; évidemment qu'ils ne pouvaient pas y être conformes, puisque nous ne proposons pas le même projet de société !
Le seul véritable partage de la valeur, ce sont les salaires et leur indexation sur l'inflation, qui ne figurent pas dans le projet de loi.
Hier, lors de la conférence sociale, vous avez écarté une fois de plus la question des salaires, la reléguant au second plan.
Ce projet de loi n'améliorera pas le pouvoir d'achat des salariés de façon durable. Par conséquent, les sénatrices et les sénateurs du groupe CRCE-K vous invitent à voter la présente motion tendant à opposer la question préalable.